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Les 568 naufragés oubliés du paquebot « Afrique », parti de Bordeaux il y a un siècle

Le 12 janvier 1920, le paquebot « Afrique » fait naufrage à 40 km des côtes de la Nouvelle-Aquitaine. Il y aura 34 rescapés seulement. Cette catastrophe est tombée dans l’oubli et, avec elle, la mémoire de 192 tirailleurs sénégalais.

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Les 568 naufragés oubliés du paquebot « Afrique », parti de Bordeaux il y a un siècle

Son épave git à plus de 40 mètres quelque part en face des Sables-d’Olonne, à 40 km de la terre ferme. Elle est localisée et explorée, voire filmée à plusieurs reprises.

Pourtant, la dernière page du naufrage le plus meurtrier de l’histoire de la marine civile française n’est toujours pas définitivement écrite. Non seulement ce malheur n’a pas d’explication qui convainc les descendants des 568 naufragés, mais il n’a surtout pas la place qu’il mérite dans l’Histoire avec un grand H.

C’était il y a 100 ans, le paquebot « Afrique » qui venait de quitter Bordeaux fait naufrage le 12 janvier 1920 avec, à bord, 602 passages : des militaires, des missionnaires, des fonctionnaires, mais aussi des aventuriers en quête d’une autre vie au lendemain de la Première Guerre mondiale.

Paquebot Afrique vers 1910 (cc Wikipedia/Carte postale André Boucher)

Le navire bondé

9 janvier 1920, quai des Chartrons à Bordeaux, un paquebot de 119 mètres de long attend d’embarquer ses derniers passagers. Son imposante cheminée flanquée d’étoiles rouges libère la fumée de ses deux machines à vapeur de 7 200 chevaux, prêtes à mettre en route les deux hélices à l’arrière du bateau.

Le steamer de la compagnie des Chargeurs réunis est sur le point de prendre la route du Sénégal. C’est un modèle récent pour ne pas dire « moderne ». Il est sorti fin 1907 des chantiers anglais Swan Hunter et Wigham Richardson, situés à Newcastle, ville du Nord-Est de l’Angleterre. Il a déjà effectué de nombreuses traversées jusqu’aux ports africains et a servi pendant la Première Guerre mondiale à amener en renfort des troupes coloniales vers la France.

Ce vendredi, 602 personnes sont à bord : 275 passagers s’entassent dans les cabines des première, seconde et troisième classes, initialement prévues pour 227. Dans l’entrepont, 192 tirailleurs sénégalais sont installés. Et 134 membres de l’équipage répondent aux ordres du commandant Antoine Le Dû, 43 ans, un marin expérimenté tout juste nommé à la tête du navire.

Parmi les passagers, une personnalité : l’évêque Hyacinthe Jalabert, vicaire apostolique de la Sénégambie (Sénégal), accompagné de 17 missionnaires de sa congrégation du Saint-Esprit. Il transporte un trésor pour achever l’édification de la cathédrale Notre-Dame-des-Victoires de Dakar : 30 millions de francs-or.

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Le naufrage

Les amarres larguées vers 19h, l’Afrique remonte l’estuaire de la Gironde durant la nuit où le vent souffle fort. Le lendemain matin, 10 janvier, sur le point de prendre l’Atlantique, le chef mécanicien signale de l’eau dans les cales de chaufferie sans pouvoir en identifier l’origine.

Prévenu, le commandant Le Dû fait réduire l’allure. Les pompes sont activées mais vite bouchées par la crasses des chaudières. Les hommes tentent de pomper l’eau eux-mêmes mais ils sont vite dépassés. En surrégime, la moitié des chaudières arrêtent de fonctionner.

Face à la pleine mer, Antoine Le Dû découvre la tempête. Il décide de faire route vers La Pallice, le port de La Rochelle. Il faut donc virer de bord mais la mer et le vent ne facilitent pas la manœuvre. Les avaries se multiplient et poussent le commandant à demander du secours le matin du 11 janvier. Un navire répond à l’appel : le Ceylan, parti lui aussi de Bordeaux le 10 janvier pour aller en Amérique du Sud.

Plus gros et plus puissant, le Ceylan propose à l’Afrique de le remorquer mais Antoine Le Dû estime l’opération impossible et refuse. Reprenant la manœuvre pour rejoindre la Pallice, il échoue à plusieurs reprises et les machines du navire lâchent l’une après l’autre. 

Vers 18h, l’Afrique est à nouveau malmené par le vent. La salle des machines est abandonnée et l’électricité coupée. Dans la nuit, le Ceylan perd de vue le bateau à la dérive. Ce dernier heurte un bateau-feu devant le plateau de Rochebonne et l’eau s’engouffre dans le bateau. Les canots de sauvetage sont mis à l’eau mais les passagers ont du mal à embarquer. Le bateau coule à pic passé minuit. Il n’y aura que 34 rescapés : 20 membres de l’équipage, 13 Sénégalais (l’un d’eux décédera sur le pont du navire sauveteur) et 1 passager civil.

Radeau du paquebot Afrique avec 13 Sénégalais sur le point de rejoindre Le Ceylan (cc/Wikipedia – photographie Jean Nugue, passager du Ceylan)

L’oubli

Après le drame, l’incompréhension. Plusieurs enquêtes innocentent les Chargeurs réunis après les soupçons de mauvais contrôles techniques sur le navire au départ de Bordeaux. Une enquête permet même de condamner les familles des victimes à verser des dommages-intérêts à la compagnie pour diffamation.

Ce sentiment d’injustice est d’autant plus renforcée que le naufrage de l’Afrique n’a pas les honneurs de la presse, focalisée à l’époque sur l’élection présidentielle française du 17 janvier, 5 jours après le drame. Malgré le lourd bilan humain, la catastrophe est peu relayée.

« Comment se fait-il que ce drame qui a fait 600 victimes à quelques kilomètres de la côte française soit tombé dans l’oubli ? » se demande Daniel Duhand, coréalisateur d’un documentaire sur ce naufrage et auteur du livre « Mémoires de l’Afrique ». Le nombre de naufragés ne fait pas le poids dans la mémoire collective face aux millions de morts de la Première Guerre mondial suppose-t-il.

Sur ce sujet, Karfa Diallo mène une autre bataille. Le fondateur de l’association Mémoires et Partages adresse en 2018 une lettre ouverte à Emmanuel Macron demandant qu’un hommage national soit rendu aux « combattants sans corps dont l’âme réclame justice ». A Bordeaux, plusieurs expositions tentent de sortir ces « tirailleurs naufragés » de l’oubli.


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