La députée crie dans la cohue :
« Vous n’êtes pas la majorité du peuple. On ne peut pas prendre en otage tous les Français. Ce soir, c’est une cérémonie de bilan. »
« Vous volez aux pauvres, vous donnez aux riches, voilà votre bilan de l’année », lui rétorque un homme excédé.
Trente minutes de clameur. Un face-à-face parfois véhément. Des chants, des slogans, des cris, deux pétards… La salle capitulaire de la cour Mably à Bordeaux n’avait jamais connu une telle agitation.
🚨 Des opposants à la réforme des retraites perturbent les voeux de la député LREM de Gironde Catherine Fabre (@cfabreAN) à Bordeaux ⬇️#Grève #réformedesretraites #GrèveGénérale #Grève16janvier #Retraites #Bordeaux pic.twitter.com/RQxnd35mhB
— Hippolyte Radisson (@H_Radisson) January 16, 2020
Ce jeudi soir, quelques heures après la manifestation intersyndicale à Bordeaux qui a mobilisé entre 4000 et 20000 personnes, des dizaines d’opposants à la réforme des retraites se sont donné rendez-vous à la cérémonie des vœux de Catherine Fabre. La députée République en marche (LREM) est aussi ambassadrice et responsable de la réforme des retraites auprès des parlementaires du groupe.
Parmi les trouble-fêtes, certains avaient rempli le formulaire d’inscription pour la cérémonie, d’autres ont déjoué le service d’ordre. D’autres encore ont simplement forcé le passage.
Avocats, enseignants, Gilets jaunes…
« Bonsoir à tous, on va pouvoir commencer notre cérémonie des voeux pour l’année 2020. »
La députée a à peine le temps de prononcer ces quelques mots que des avocats du barreau de Bordeaux, bâtonnier en tête, enfilent leur robe et déposent des cartes d’électeurs factices et des affichettes « Avocats en voie de disparition » au pied du pupitre.
« Le ras-le-bol n’est pas récent. On avait déjà montré notre mécontentement lors de la réforme de la justice il y a un an », rappelle Simon Takoudju, représentant des jeunes avocats du conseil de l’Ordre.
Dans la salle située en plein triangle d’or bordelais, une grande partie de l’auditoire se met à chanter à l’unisson l’hymne des Gilets jaunes :
« On est là, on est là, même si Macron ne le veut pas, nous on est là ! »
Catherine Fabre se retrouve (quasi) seule – les quelques sympathisants de la députée présents dans la salle se font discrets – face à la vague de colère qui défile dans la rue depuis le 5 décembre.
« C’est la première fois que je vois une politicarde », lance un Gilet jaune, qui se réjouit de l’opération.
« Est-ce qu’on peut se parler ? »
« Je vois bien la démonstration de force, mais est-ce qu’on peut se parler ? », demande la députée, micro en main.
La tentative est un échec. A tel point qu’elle cherche en Philippe Poutou, porte-parole du NPA, un interlocuteur. « Ha non, pas moi ! », lui répond-il tout sourire.
« L’idée, c’était de montrer qu’il y avait de l’agitation. Le rapport de force est la seule façon de dialoguer avec ce gouvernement », expliquera un peu plus tard l’ancien candidat à la présidentielle.
De l’agitation, il y en a. Certains passent derrière le pupitre, prennent le micro. D’autres haussent le ton ou chantent « on veut du homard ! ».
Une réforme « magnifique »
La députée descend de l’estrade et tente, face à ceux qui l’interpellent, de défendre cette réforme qu’elle « assume » et « trouve magnifique ». Elle le répète à qui veut l’entendre que sa « porte est ouverte pour en parler ».
« J’ai toujours accepté des auditions quand on me les a demandées. Mais là, la réunion publique est prise en otage. Les conditions ne sont pas respectueuses. »
Pour Pierre Leroy, jeune directeur d’école à Sallebœuf (33) et membre du collectif Rive droite, la soirée illustre le « dialogue de sourds » qui s’est instauré.
« L’an dernier, j’avais interpellé la députée sur la loi Blanquer [réforme de l’enseignement, NDLR]. Avec d’autres enseignants, on avait eu un rendez-vous avec sa collaboratrice, où on a pu poser nos questions. On devait avoir un retour, on n’en a jamais eu », regrette-t-il.
« Débat cadenassé »
Il est 19h39 quand la députée remonte sur l’estrade et prend la parole :
« La cérémonie ne peut pas avoir lieu dans de bonnes conditions, je vais vous demander de quitter les lieux. »
« La cérémonie ne peut pas avoir lieu dans de bonnes conditions » Après 45 minutes houleuses et plusieurs tentatives de dialogue, la députée LREM de #Bordeaux Catherine Fabre a décidé d’annuler l’événement#Grève #réformedesretraites #GrèveGénérale #Grève16janvier #Retraites pic.twitter.com/8Ymk7Vsk6w
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Les manifestants applaudissent.
« On n’a pas empêché la tenue de la réunion, on a porté contradiction à LREM dans ce débat totalement cadenassé », estime Yves, critique de théâtre à Bordeaux.
Des policiers de la brigade spécialisée de terrain – l’un d’eux muni d’un LBD – accompagnent Catherine Fabre jusqu’à la sortie. Les opposants à la réforme l’assurent : ils ne vont pas attendre le 24 janvier, date de l’examen du projet de loi en conseil des ministres, pour mener de nouvelles actions.
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