« Mizère ici même », « Tour de fous » sont inscrits dans l’ascenseur du HLM tout juste réparé, après trois semaines de panne. Mauvaise isolation, invasion de punaises de lit, porte d’entrée bloquée, urine dans les parties communes… La grande tour de la résidence Saraillère, construite dans les années 1970 présente tous les signes d’un logement vétuste.
Aicha Kebir, occupe depuis près de 40 ans l’un de ses appartements.
« L’eau chaude ne marche plus, je n’ai plus de chauffage la nuit, des jeunes fument des joints dans l’immeuble ».
La retraitée de 63 ans et Hervé Vicente, son ami de l’appartement 14, décrivent les difficultés quotidiennes que vivent le peu d’habitants encore présents.
C’est pourquoi en 2014, l’ancien maire socialiste, Alain David (qui, devenu député en 2017, a cédé son fauteuil à Jean-François Egron), promettait de restructurer l’ensemble du secteur Saraillère, dans le cadre d’un projet de renouvellement urbain.
Labyrinthe grisâtre
Ce projet d’intérêt régional, qui concerne aussi les quartiers Palmer et 8 mai 1945, compte 9 000 habitants et 3 500 logements dont 83% sont sociaux. La Résidence Saraillère, regroupant 560 logements au total, se situe entre les arrêtes Jean Zay et La Marrègue du tram, dans le bas-Cenon.
Si on entend les enfants jouer et les voisins causer, le climat n’est pas des plus accueillant. L’ensemble de logements est complètement enclavé. Ce labyrinthe de structures grisâtres, « représente le repère idéal pour les jeunes qui viennent dealer la nuit » explique Hervé Chiron, directeur de projets politiques de la ville.
La démolition de la tour, la restructuration des logements, la création d’allées bordées d’arbres et l’installation du Centre de Prévention et de Loisirs de jeunes de Cenon (CPLJ), ouvriront la « cité » vers l’extérieur. Le projet de rénovation des trois quartiers, coûtera 115 millions d’euros, dont 51 millions pour Saraillère. 342 logements y seront réhabilités et 136 démolis, sous l’égide de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU). Jean-François Egron en fait un des principaux enjeux de campagne, pour les élections des 15 et 22 mars prochains.
La ville de 25000 habitants souhaite ainsi détruire deux parcelles d’immeubles et la grande tour de la Saraillère. Si la loi Solidarité et de renouvellement urbain (SRU) lui impose un taux de logements sociaux de 25%, la commune en compte 39%, dont une majorité de logement très sociaux, et a donc décidé de ne pas reconstruire à l’endroit de ces démolitions. Objectif : « drainer le quartier avec de grandes voies de passage, végétalisées » et éviter les effets « ghetto », explique son maire.
En rendant le quartier plus agréable, il espère favoriser aussi l’arrivée d’entreprises et aider les 23% de chômeurs de Cenon à trouver un emploi.
Feu vert après cinq ans de négociations
Sur la table depuis 2015, ce projet de renouvellement qui devait selon le protocole de préfiguration signé il y a trois ans, être livré en 2024, n’a toujours pas commencé. La restructuration de la Saraillère et des autres quartiers concernés – Palmer et Sellier – dans le cadre d’une même opération renouvellement urbain n’a eu de cesse d’être reportée.
« Nous attentons depuis deux ans, la signature d’une convention nécessaire à leur financement, de la part de l’État entre autres » affirme Jean-François Egron.
En effet, l’État n’a toujours pas signé la convention qui permettait à la commune et à la Métropole de bénéficier de ces fonds et de financer les démolitions, malgré son engagement à le faire. La préfecture, en devoir de réserve, n’a pas souhaité s’expliquer sur cette mise en suspens.
« C’est un combat de plusieurs années, il faut y retourner et y retourner. Voir plus loin qu’une période de mandat » affirme le maire sortant, tête de liste (PS-PC-EELV) à Cenon.
Pour Fabrice Moretti, candidat sans étiquette à la mairie de Cenon et ancien conseillé de la majorité, « prendre des engagements qui ne dépendent pas de la ville n’est pas raisonnable ». L’adversaire de Jean-François Egron dénonce un programme « trop ambitieux », que l’union de gauche de pourra pas tenir « comme ça a été le cas il y a six ans ».
En attendant cette signature, la municipalité et le bailleur Mesolia Habitat se sont engagés à reloger les 136 ménages de la résidence Saraillère concernés par la démolition. Les habitants qui devront être relogés, ont signé une charte en mars 2019, leur garantissant trois propositions de logements vacants selon, leur situation familiale, financière et leur souhait d’affectation.
« Je ne veux pas partir »
Pour Hervé Vicente et Aicha Kebir, quitter cette tour qu’ils détestent autant qu’ils l’aiment est un véritable déchirement, mais qu’ils savent nécessaire.
« Je suis née dans ce quartier, je ne connais rien d’autre » s’inquiète Aicha.
La Cennonaise a même demandé un délai pour passer un dernier Noël dans « sa » tour. Pour Hervé, la difficulté est de se séparer de ses voisins, qu’il considère comme sa famille. Cet ancien ouvrier au chômage a même traversé une période de dépression, ne parvenant plus à manger à sa faim.
Malgré la vétusté du bâtiment de Mesolia Habitat, une solide communauté d’entre-aide s’est tissée au sein de la tour de 14 étages. Les deux locataires partagent leurs craintes. La retraitée redoute de s’éloigner de l’appartement de sa mère, qui vit dans l’immeuble d’en face, de voir son loyer augmenter, de déménager 40 ans de vie dans un appartement trop petit…
De son côté Hervé, cherche un emploi, il ne sait donc pas où déposer ses choix d’affectation. Des incertitudes qui repoussent l’échéance et créent de véritables angoisses. Malgré tout, les résidents de la tour admettent que celle-ci doit être démolie pour le bien du quartier. « La ville a dû s’apercevoir que le Haut-Cenon serait au top niveau alors que dans le Bas-Cenon, on avait encore du travail… », admet Aicha.
Un long cheminement
Parmi les 136 ménages de la Saraillère qui ont signé la charte il y a un an, il n’en reste que 44 à réaffecter. Mais Gwennoline Desplat, l’assistante sociale chargée par la municipalité du relogement estime que certains blocages sont à prévoir, car les derniers à partir « rencontrent généralement plus de contraintes que les autres ».
Elle explique que dans de tels projets, les premiers à être relogés sont volontaires. Pour les autres, les services dédiés à la mairie et chez le bailleur, doivent consacrer plus de temps et d’attention à chaque dossier.
« Ça prend du temps parfois, je dois construire avec ces personnes un projet de budget, pour que leurs parcours locatifs soient une ascension pour eux, et non une régression ».
Elle souligne que le souci, est que parfois, les changements de situation depuis leur arrivée dans la tour ne leur permet plus de prétendre à n’importe quel type de logement.
« Par exemple, beaucoup me demandent un logement en pavillon alors qu’ils touchent le RSA ».
Sans compter qu’il faut les rassurer individuellement pour qu’ils acceptent d’en discuter. Aicha et Hervé racontent que les bruits de couloir font tomber un certaine nombre de locataires dans la psychose :
« Ils vont nous obliger à partir avant juin », « ils vont remplacer notre tour par pleins de constructions », « ils n’ont pas pris en charge le déménagement des voisins »…
Si légalement la charte oblige la mairie et Mesolia à faire trois propositions, Gwennoline Desplat et Jean-François Egron assurent qu’ils n’imposeront à personne un appartement qu’il n’aime pas et qu’ils feront « autant de propositions que nécessaire avant de trouver la bonne option ».
Le bailleur s’est fixé comme délai, une démolition en 2021 mais l’assistante sociale chargée du relogement et le maire socialiste, insistent sur le fait que cette date sera décalée autant qu’il le faudra. Le maire estime qu’avec tous les blocages rencontrés, l’ensemble des différents projets ne devrait pas être livré avant 8 ou 10 ans, mais qu’ils méritent de prendre le temps nécessaire.
« On le connaît Monsieur Egron, il s’arrête pour nous dire bonjour, prend le temps de nous parler, il a même passé le réveillon avec des riverains » explique Hervé Vicente.
Aicha Kebir aussi se réjouit que le maire se rendent si disponible sur le territoire de la commune. Les habitants de la Saraillère sont inquiets mais ne semblent pas en tenir rigueur à leur maire.
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