Pour s’occuper des malades du coronavirus en réanimation au CHU de Bordeaux, il faut redoubler de précautions. Benjamin Clouzeau et son équipe revêtent masques, blouses, charlottes et gants avant d’entrer dans une des chambres de l’unité.
Plusieurs fois par jour, ils doivent se mettre à cinq pour retourner sur le dos et faire sa toilette à un patient sous assistance respiratoire, placé en coma artificiel.
« Cela leur permet d’être oxygénés, indique le docteur Clouzeau. Ils sont même curarisés : c’est un médicament qui paralyse toute leur activité musculaire, car ils reçoivent des traitements spécifiques contre le virus, des traitements antibiotiques car il y a souvent des co-infections. »
Ces malades risquent de devoir rester ventiler trois semaines à un mois. Dans le meilleur des cas…
« Les fonctions respiratoires sont atteintes, le pronostic vital est engagé, c’est loin d’être une situation anodine, poursuit le praticien. Mais la grande chance de ces quatre patients, c’est qu’ils sont jeunes – le moins âgé a 26 ans -, c’est leur plus grande ressource pour passer ce cap. »
300 lits prévus en réanimation
Ces malades les plus gravement atteints par le coronavirus dans le région ont un autre point commun, souligne Benjamin Clouzeau : « Ils ont tous pris des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS, type Ibuprofène), que les gens utilisent en automédication, et qu’il faut bannir à tous prix » – comme le préconise le ministre de la santé.
Par ailleurs, les quatre personnes en réanimation ont « quasi systématiquement des malades dans leur entourage ». Aussi, le médecin salue les mesures de confinement mises en place ce mardi.
« Elles vont permettre d’amortir le plus possible l’afflux prévisible de patients. Trois patients en réanimation sont arrivés d’un coup, lundi, un quatrième aujourd’hui. La Nouvelle-Aquitaine est encore préservée du Covid-19, on est en décalage par rapport à d’autres régions très touchées. Mais cela nous permet de voir arriver la vague et de pouvoir y faire face. »
Le CHU de Bordeaux a ainsi prévu de réserver 300 lits en réanimation pour les cas les plus sévères – qui ne représentent heureusement que 5% des cas détectés pour 80% d’infections bénignes.
« La vague arrive, mais nous sommes en situation que ce ne soit pas un tsunami », abonde Denis Malvy, chef de l’unité maladies infectieuses, tropicales du voyageur à Pellegrin.
Triple merci
Ce conseiller scientifique auprès du ministre de la santé Olivier Véran s’est exprimé avec un masque ce mardi en conférence de presse – présentant les symptômes du covid-19, il est en cours de dépistage. Il estime qu’il faudra attendre 10 à 15 jours pour constater l’impact des mesures de confinement sur la propagation du virus. Avec optimisme :
« Si les mesures barrières sont respectées et les chaînes de transmission rompues, nous aurons de moins en moins de patients hospitalisés avec des formes graves, et de façon plus étalée dans le temps. J’ai vu ce matin devant les boulangeries les Bordelaises et les Bordelais adopter ces mesures de distance avec beaucoup de patience, de sérénité et de gravité, et je leur dis un triple merci. Avec les dernières paroles du président de la République, nous sommes sur la voie d’un réveil et peut-être de la préservation de la situation actuelle de notre métropole. »
Une situation locale globalement plus favorable, donc, et qui ne devrait pas être bousculée par l’arrivée dans la région de franciliens en exil – du moins si ceux-ci respectent le confinement, estiment les experts.
Une stratégie de dépistage
Ce mardi 17 mars, la région Nouvelle-Aquitaine dénombrait ainsi 207 cas de Covid-19 confirmés (dont 47 dans le Lot-et-Garonne, et 34 en Gironde) et déplorait le décès de deux personnes. Dans la région Grand-Est, par exemple, ces chiffre s’élèvent à 1820 cas, dont 700 dans le Haut-Rhin, où les hôpitaux arrivent à saturation, et 61 morts (sur 175 décès en France et 7730 cas).
« En Nouvelle-Aquitaine, nous avons 27 nouveaux patients avant-hier (dimanche, NDLR), 28 hier, ce n’est pas le doublement tous les deux jours qu’on peut constater ailleurs en France, observe Hélène Junqua, directrice générale adjointe de l’Agence régionale de santé. Nous ne sommes pas en situation de débordement comme à Mulhouse, dans les Hauts-de-France ou en Île-de-France, et voulons mettre à profit cela pour soutenir les régions plus en difficulté et poursuivre notre stratégie de dépistage systématique des personnes revenant de zones à risque. »
Au stade 3 de l’épidémie, dans lequel se trouve la France, les tests sont en effet normalement réservés aux personnes dans un état grave. L’ARS se dit en capacité de réaliser jusqu’à 300 dépistage par jour, dont 200 au CHU de Bordeaux, et ainsi contribuer à davantage repérer et confiner les personnes malades.
Thérapies prometteuses
Sans afflux de patients, le plan blanc n’a pas été activé au CHU de Bordeaux, indique son directeur, Yann Bubien, mais 150 personnes sont mobilisées et plusieurs dispositions ont été prises : interventions chirurgicales non urgentes déprogrammées ou reportées, personnel invité à ne pas partir trop loin en congés, poste médical avancé en amont des urgences pour pouvoir accueillir tous les patients infectés et éviter de les mélanger avec les autres…
En amont, une cellule spéciale du Centre 15 se voit transmettre les appels présentant des suspicions de cas de coronavirus. Le SAMU reçoit actuellement deux fois plus de coups de fils – 2500 par jour contre 1000 à 1500 en temps normal.
En aval, l’hôpital Pellegrin travaille avec les autres structures privées et les médecins de ville pour le suivi les patients en ambulatoire.
Par ailleurs, le CHU participe activement aux recherches sur les médicaments contre le Covid-19. Cinq d’entre eux font l’objet d’essais cliniques, dont un antiviral « prometteur », selon Denis Malvy, qui a pu le tester également contre le virus Ebola. Une de ces thérapies sera testée sur une cohorte de 30 patients suivis en ambulatoire à Bordeaux.
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