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Journal d’un paradis artificiel en temps de crise

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Journal d’un paradis artificiel en temps de crise

Journaliste, confiné volontaire depuis quelques semaines dans une cabane cachée dans les bois, sous les pins qui dominent Lacanau-Océan, en Gironde, me voilà donc à nouveau assigné à résidence. Le bouquin en cours d’écriture attendra. Merci M. Covid ! Mais au moins, j’ai un coup et quelques astuces d’avance pour survivre au confinement. D’autant qu’il m’a fallu déménager. Une famille en galère profitera mieux que moi des silences de la cabane.

Me voilà donc installé dans un petit appartement, sur un grand balcon d’où l’on aperçoit l’océan, et depuis cinq jours, le vide sidéral qui l’entoure. Bye bye mimosa, écureuils bondissant, sangliers sauvages et matins gazouilleux… Bonjour les embruns, le grand large, à écouter les rouleaux de printemps de sa majesté Atlantique.

Je vais donc tenter ici, régulièrement, de scruter le vide et puiser dans les silences. Pas dans un trip égotique mais à l’écoute du fracas actuel du monde, des discussions de coursives, de forêts et de plages, des nouvelles qui vont courir dans le bled endormi. Au moins je me sentirai l’égal du malheur des autres. Pas d’autre solution. Que de prendre son mal en patience.

Il y a donc la mer, les plages, les sentiers, les forêts, le supermarché, le bureau de tabac : tout cela désespérément vide, ou presque. L’œil aiguisé par mon regard d’entomologiste amateur, j’ai tout de suite remarqué deux espèces endémiques dominantes : les hommes à planches et les femmes à chiens. Je m’explique. Lacanau, c’est le paradis du surf. A toutes saisons, on croise donc en bord de plages le barbu averti ou profane, qui vient taquiner les vagues légendaires. Pour ce qui est des femmes à chiens, et bien on les croise en masse sur les longs sentiers qui longent le littoral.

Des personnages, mais des éléments aussi. Si il y a bien quelque chose d’insaisissable, d’inconfinable, d’impossible à mettre en bocal ou domestiquer, c’est lui. Il faut alors juste humer son sens, son odeur, sa vitesse, sa direction. Et selon son humeur, en délice matinal ou avis de tempête, comme ce mois de novembre où il a déboulé sur les côtes à fond les manettes, 140 Km/h au compteur. En Gascon, les marins du Bassin d’Arcachon tout proche, distinguent plusieurs types de vents et les ont baptisés de plusieurs noms : le terrau soufflant du nord ; le vent de vela, idéal pour la voile ; le vent seren se levant le soir ; ou bien la ventena qui précède la bourrasque.

Tous les deux jours, sur le site Médiapart, je tiens donc une sorte de « Journal du bord », celui de l’océan, des territoires et gens isolés, des plages vides, des Parisiens qui arrivent et du précipice qui approche. Un paradis artificiel en temps de crise.

Philippe Gagnebet, journaliste


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