Le mercredi 6 mai, Emmanuel Macron a annoncé les mesures tant attendues de soutien au secteur culturel. Si la réouverture des musées et des bibliothèques est envisagée prochainement, les salles de spectacles naviguent encore à vue.
« Je ne sais pas dire où sera cette épidémie pour la saison prochaine. Il va falloir créer sous contrainte extrême, imaginer d’autres formes. Il faut penser dès maintenant une saison hors norme, renouveler les publics, aller chercher les gens qui ne viennent jamais », avait précisé le président de la République.
Ce discours, les directions des salles de spectacles de la métropole bordelaise l’ont entendu. Tous expriment le profond désir de rouvrir leurs lieux à condition de pouvoir garantir la sécurité de tous, spectateurs et professionnels. Les quelques exemples de scènes labellisées rapportés dans cet article en témoignent. Le ministère de la culture ayant fait passer la consigne de « paiement des droits d’auteur et des cessions programmées et annulées », les reports sont privilégiées.
« La saison est prête, on attend de savoir si elle peut être mise en place », avance Florence Tournier-Lavaux, secrétaire générale du Théâtre National de Bordeaux en Aquitaine.
« Il faut que le partage ait lieu, que les spectacles soient vus. C’est crucial ! », affirme de son côté Stéphan Lauret, directeur de la Manufacture CDCN Nouvelle-Aquitaine (Bordeaux – La Rochelle).
« Nous n’avons pas le cadre qui nous permettrait de nous projeter », abonde Didier Estèbe, directeur du Krakatoa à Mérignac.
La saison prochaine s’écrit alors en hypothèses qui se font et se défont chaque semaine, difficile pour un secteur qui a l’habitude d’anticiper énormément. Surtout que pour la saison 2021/22, certains engagements sont déjà pris et les conventionnements avec l’État se signent sur plusieurs années.
Bas les masques
Pour imaginer à quoi pourrait ressembler la réouverture des salles de spectacle, il faut se référer au rapport de l’infectiologue François Bricaire publié le 30 avril. Il recommande des mesures de distanciation pour les spectateurs (1 siège sur 3) et les interprètes ou encore la suppression des buvettes.
Pour des structures dont l’autofinancement représente une part importante des budgets, rouvrir avec ces exigences paraît périlleux. Si certains l’envisagent avec précaution, cette solution paraît suicidaire pour d’autres :
« Le CDCN fonctionne en mode dégradé depuis plusieurs années, explique Stéphan Lauret. Nous rencontrons de grosses difficultés. Nous n’avons pas les moyens financiers de faire venir des équipes de nettoyage trois fois par jours : entre les spectacles, les repas du personnel… »
Cette crise a toutefois un effet positif, celui de souligner l’importance des réseaux professionnels et de révéler toute leur force. C’est le cas à l’échelle nationale. Les scènes labellisées de la Métropole ont aussi mis en place leur propre réseau en janvier. Depuis le début du confinement, les réunions en visioconférence se réitèrent tous les 15 jours pour établir des façons de travailler, d’accompagner les artistes, échanger sur les problématiques rencontrées, mettre en place des projets collectifs et des outils communs, pour penser l’après.
Résidences d’été
Le début du printemps a été le temps de la fermeture douloureuse des salles. Depuis le début du confinement, les équipes ont travaillé sur les possibilités de reports de dates, assurant leur rémunération aux artistes en cas d’annulations. Un soutien rendu possible grâce aux conventions engagées avec l’Etat et aidé par certains spectateurs qui ont refusé le remboursement de leurs billets au profit des artistes déprogrammés (60% des billets vendus pour la saison 2019-2020 n’ont pas demandé le remboursement au TnBA).
Si la diffusion de spectacles ne peut être envisagée pour le moment, au Carré-Colonnes, on pense au temps de la création. La directrice des salles basées à Saint-Médard-en-Jalles et Blanquefort, Sylvie Violan, prévoit de reprendre un programme de résidences de création dès le 6 juin prochain avec 10 compagnies régionales qui ont été contraintes d’annuler leurs temps de travail ces dernières semaines, au Carré-Colonnes ou à la Méca.
On retrouve, entre autres, la compagnie Auguste-Bienvenue qui devait jouer en mars ou encore Hamid Ben Mahi qui reprend son « Chronics » en collaboration avec Michel Schweizer. D’autres ont été avancées pour ventiler le calendrier du lieu.
« On travaille avec la médecine du travail, les syndicats et d’autres théâtres pour définir un protocole sanitaire, nous explique Sylvie Violan. La circulation des personnes est réduite au minimum. Ça nous permet d’éprouver ce qui peut être fait dans ces conditions ».
A noter que des rencontres avec le public auront lieu dans les deux villes, chaque samedi jour de marché jusqu’au 25 juillet, à l’occasion de petites présentations, improvisations ou impromptus, réalisés par les artistes en résidence, sur les balcons du Carré et des Colonnes.
Concerts sur écran
Des résidences au Rocher de Palmer à Cenon auront également lieu cet été. La plupart étaient déjà prévues en juillet, leur nombre a été légèrement augmenté pour répondre à la demande (sachant qu’elles impliquent moins de 10 personnes). Les résidences du musicien Atrisma, ou encore le projet polymorphe Mémoires en friche de Stimbre, se tiendront sans concerts en sortie.
Pour ce qui est des concerts, ils seront à suivre en live pour finir la saison 2019-2020, grâce à des captations de concerts dans la salle 650 sans public. Après le oudiste Mostafa El Harfi, en concert pour le collectif Bienvenue il y a quelques jours, Benkadi Trio sont attendus fin mai et le 20 juin, pour la journée national des réfugiés, l’association Jamira propose un artiste. Le live sera à suivre sur la page Facebook et sur le site du Rocher.
De plus, le Rocher envisage une version adaptée de ses Inédits de l’été, des concerts gratuits dans le cadre de l’Eté métropolitain (la saison des spectacles de Bordeaux Métropole, NDLR) dans plusieurs communes du territoire.
« Malgré l’annulation de l’Eté métropolitain, certaines communes ont manifesté leur envie de faire des choses. Je pense que c’est possible si c’est bien organisé notamment dans des lieux comme le parc du Bourgailh à Pessac où l’amphithéâtre est gigantesque et en plein air », imagine son directeur Patrick Duval.
Quant à la fête des 10 ans du Rocher de Palmer prévue en septembre, il est probable qu’elle soit annulée. Les concerts seront alors en ligne ou dans avec des jauges respectant les consignes de l’Etat.
Un anniversaire, il en était aussi question au Krakatoa. Le mois de mars devait être synonyme de grande fête avec un programme consacré aux 30 ans de la salle de concert. La fermeture n’en a été que plus douloureuse. Didier Estèbe reconnaît qu’accueillir les groupes en résidence serait « le domaine dans lequel on peut faire le plus mais pour l’instant on attend d’avoir un cadre d’action défini ».
Les habitués de la salle de concert se contenteront donc des lives des artistes de la Pépinière confinés comme ceux d’Obsimo et de Yudimah.
Loin des yeux
Pour le TnBA, qui vient de subir un cambriolage, les locaux rouvriront courant juin pour les comédiens étudiants de l’ESTBA uniquement, en vue de la préparation des concours.
Les spectateurs se consoleront eux avec les capsules vidéos des artistes complices dans la programmation « Ecran Total, Loin des Yeux, Près du cœur » à suivre sur les réseaux sociaux.
Côté danse, le CDCN se retrouve véritablement empêché de mettre en place son projet global sur le territoire, lui qui a une antenne à La Rochelle, soit à plus de 100 kilomètres. Les portes de La Manufacture resteront fermées, des travaux étant prévus tout l’été.
« Nous ne sommes pas qu’un lieu de diffusion, on fait partie de la totalité de la chaîne de production », explique Lise Saladin. La directrice déléguée du CDCN ajoute :
« La danse est la grande oubliée. La question des corps dans cette discipline est centrale. Comment envisager des spectacles de danse sans ces rapports ? Peut-être que les artistes auront envie de créer avec ces contraintes, sans aucun contact physique, mais nous n’imaginons pas l’imposer. »
Le CDCN a sollicité des artistes confinés Meytal Blanaru, Claudia Catarzi et Mathilde Monnier qui s’inscriront dans la future saison. Le résultat, c’est un programme en ligne « Danse on air » : des cours, des performances et diverses ressources « avec le souci de ne pas substituer le virtuel au vivant, mais avec l’envie de continuer à penser, rêver, voire construire ».
Top départ septembre
Dans d’autres villes certains lieux n’envisagent de rouvrir qu’en décembre. Ce n’est pas le cas à Bordeaux, non pas par manque de précautions mais par souci de l’engagement auprès des artistes, quitte à devoir annuler dans quelques semaines. Le scénario envisagé penche vers une ouverture des salles en septembre ou octobre autour de saisons adaptées ou rééquilibrées.
Dans cette optique, l’Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine (OARA), agence pour soutenir le spectacle vivant, a garanti son soutien à tous les spectacles coréalisés qui sont assurés d’un report en 2020 ou 2021 et prendre en charge les frais déjà engagés pour les représentations annulées et qui ne seront pas reportées.
Dans les salles de concert de musiques actuelles, le public a l’habitude de venir assister à des concerts debout. Une pratique qu’il semble impossible de conjuguer avec les normes sanitaires. La première date programmée au Krakatoa est toutefois annoncée au 24 septembre prochain, le report du concert des rappeurs belges Isha et Swing.
A l’inverse, le Rocher de Palmer a la chance d’être beaucoup plus flexible et de pouvoir jouer sur les différentes jauges de ses 3 salles aux tailles différentes. Patrick Duval affirme qu’il ouvrira en septembre :
« Je suis agacé de la paranoïa ambiante. En Espagne, on parle déjà de la réouverture des salles. Mon collègue de San Sebastian prépare le festival de jazz pour juillet avec une programmation locale et un nombre de spectateurs réduits quand nous, nous sommes tétanisés. Il faut qu’on essaie ! Des choses sont possibles ! »
Le patron du Rocher joue donc l’adaptabilité. Tout ce qui a été annulé du second semestre de cette saison (la salle propose des programmations semestrielles) a été reporté à la saison suivante. IAM revient à la rentrée d’octobre et John Butler et Cat Power reviennent donc en juin 2021.
D’autres « gros » rendez-vous sont ajoutés par ailleurs. Deux soirées électro en novembre 2020 invitent Etienne de Crécy et Yuksek et Rone est attendu en mars 2021. En octobre, le Festival Ragnagnas Party avec un concert de Pomme est également maintenu (plus de 300 places vendues en plein confinement).
Le Rocher anticipe même sur d’éventuelles nouvelles annulations et prévoit déjà des solutions de repli. Les artistes sont ainsi programmés en double ! A noter que contrairement à certains pays, en France un billet de concert est obligatoirement remboursé en cas de report ou d’annulation.
FAB first
Pour les salles de théâtre et danse, la rentrée se déclinerait à partir du 2 octobre autour du FAB – Festival International des Arts de Bordeaux Métrople. Sa programmatrice Sylvie Violan nous explique avoir augmenté le nombre d’artistes locaux présents. S’agissant des troupes internationales, certaines tournées ont été annulées, elle attend de connaître la date de réouverture des frontières pour celles qui sont maintenues :
« On s’adapte ! La saison prochaine sera de toute façon différente. »
Elle connaîtra des ajustements : des formats alternatifs hors les murs auxquels la structure est habituée. Ce sont des spectacles sous forme de parcours, au plus près du public, sur de petites jauges. Les spectacles scolaires iront dans les écoles, sur un format de « spectacles à emporter », un catalogue déjà proposé il y a quelques années. Dans les salles, le nombre de représentations est augmenté pour pouvoir accueillir plus de public si la jauge devait être réduite.
Multiplier les représentations n’est pas une option pour le CDCN.
« Économiquement ce n’est pas possible. De plus, l’équipe était déjà en tension avant. Je ne vois pas comment elle pourrait tenir avec une saison plus chargée. C’est la saison de tous les dangers ! On doit cumuler exigence sanitaire et problèmes budgétaires », s’inquiète Stéphan Lauret.
« Dans le domaine de la danse, on est dans une “économie du peu” depuis trop longtemps déjà (peu de décors, peu de costumes, peu d’interprètes dans la plupart des spectacles, trop de petites formes). On n’a fait aucune économie avec ce confinement pour le moment ce ne sont que des risques. Augmenter le nombre de représentations et diminuer le public semble impossible… à moins d’une chaîne de solidarité très forte », lâche Lise Saladin sans trop y croire.
Lorsqu’on aborde le sujet de la fréquentation, tous sont inquiets. Nul ne sait quelle sera l’attitude du public à l’issue du confinement. Retrouvera-t-il le chemin des salles de spectacle ? Et en aura-t-il l’envie et les moyens ?
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