Le tribunal de Bordeaux va-t-il ordonner à Nicolas Florian à faire cesser en urgence un « trouble manifestement illicite » ? Et lui interdire « d’adresser dans le cadre de sa campagne électorale tout courrier entretenant la confusion entre sa qualité de maire et sa qualité de candidat » à la mairie de Bordeaux ?
C’est l’enjeu du verdict que, à cinq jours du second tour de l’élection municipale, rendra le juge des référés ce mardi – à moins qu’il ne se déclare incompétent, comme le lui demande la défense du maire-sortant.
A l’audience ce lundi après-midi, Maître Michel Dufranc estime en effet que Pierre Hurmic aurait dû se tourner vers le tribunal administratif, d’après lui seul juge des procédures électorales.
« M. Hurmic a saisi le tribunal judiciaire pour s’en servir de tribune médiatique, estime l’avocat de Nicolas Florian, prenant pour preuve la salle remplie d’une dizaine de journalistes. C’est ça qui intéresse [le rival du maire-sortant] : faire parler de lui, jeter le trouble sur l’honnêteté d’un candidat adverse et en tirer un bénéfice électoral. »
Et ce, poursuit l’avocat hors prétoire, alors que le candidat écologiste est distancé dans les sondages. A l’origine de l’assignation de Nicolas Florian, Pierre Hurmic pointe au contraire « un problème de loyauté et d’éthique » dans l’envoi par le candidat-maire d’un mail invitant les électeurs à voter dimanche 28 juin, deuxième tour des élections municipales.
Entonnoir
Problèmes pointés par son avocat, Pierre Fribourg : ce courriel envoyé depuis l’adresse du candidat Florian, comportant le logo de la Ville de Bordeaux et dans lequel Nicolas Florian « fait à trois reprises état de sa qualité de maire », invite ses destinataires à cliquer sur un lien leur proposant de signer une procuration.
« Mais celle-ci ne peut être donnée que pour voter M. Florian, c’est un entonnoir », estime Me Fribourg, pour qui le « trouble illicite » ne fait aucun doute : « le candidat profiterait de sa qualité de maire pour organiser sa campagne ». Il synthétise :
« Nicolas Florian avait la possibilité en sa qualité de maire d’adresser un courrier aux électeurs ; en sa qualité de candidat, il pouvait adresser une lettre aux mêmes électeurs pour leur dire « votez pour moi ». Mais il ne pouvait pas dans le même mail utiliser sa qualité de maire pour tenter d’obtenir de manière orientée par pression un vote à son profit ».
Pour ce dernier, « l’honnêteté minime eut été de dire vous pouvez donner une procuration pour l’un des trois candidats » en lice pour le second tour.
Urbi et surtout orbi
Autre « question préoccupante » soulevée par le requérant :
« Comment M. Florian a-t-il ces adresses mail ? C’est assez facile à imaginer : un certain nombre d’habitants sont amenés à écrire à la mairie pour savoir si le théâtre ou la déchetterie sont ouverte. Il est évident que la mairie collectionne ces adresses mail et les utilise. »
L’avocat rappelle que l’utilisation de données personnelles est « très réglementée : on ne peut pas utiliser comme on veut des adresses mail communiquées données pour telle fin, et utilisées à une autre ».
Pour Me Fribourg, le code électoral « indique très clairement que toute manœuvre qui pourrait s’apparenter à une fraude et aurait pour finalité d’obtenir des suffrages (…) est répréhensible ».
Sans révéler le nombre de mails envoyés et de procurations glanées de la sorte, Me Dufranc minimise l’impact de cette chasse aux votes :
« Sur 150000 électeurs à Bordeaux, la mairie a reçu pour le 1er tour 1700 procurations . Pour le 2e, 1000 sont à ce jour parvenues en mairie, et ils savent que 400 devraient être favorables au maire. Voilà les chiffres et le drame qu’on vous peint urbi et orbi et surtout orbi d’ailleurs. »
J’ai demandé à la lune
Rien à voir donc avec le scandale des procurations à Marseille, où la justice mène l’enquête. Une comparaison « de journalistes », raille l’avocat de Nicolas Florian. Celui-ci écarte les arguments du défenseur de Pierre Hurmic. Le logo de la Ville ? C’est en fait celui de l’Union pour Bordeaux, l’alliance Florian-Cazenave, qui reprend les trois croissants croisés, symboles du port de la Lune, et tombés dans le domaine public.
Les mentions de son titre de maire ? « M. Florian peut s’en prévaloir « à tout moment et sur tout document » électoral, d’après les documents officiels.
Enfin, poursuit Me Dufranc, l’achat ou la location de bases de données à des fins commerciales ou politiques est légale ; le RGPD (règlement général sur la protection des données) est respecté puisque que les destinataires peuvent se désabonner ; et Influence Maker, société prestataire de l’équipe du candidat pour cette campagne de mailing, « atteste n’avoir traité aucun fichier de source municipale ou institutionnelle ».
« Tout le monde se répand sur les réseaux sociaux pour donner son avis sur tout et son contraire, il ne faut pas s’étonner que les adresses mail soient ensuite récupérées », plaide l’avocat de Nicolas Florian.
15 plaintes à la CNIL
Certes, la CNIL (commission nationale informatique et libertés) a bien alerté la Ville après avoir reçu 15 plaintes de Bordelais liées à la campagne électorale du maire, indique Me Dufranc. Mais, promet-il, Nicolas Florian a garanti à la CNIL que le dispositif répondait à ses attentes…
Ce n’est toutefois pas sur le fond que le tribunal devra se prononcer. Il mettra le holà s’il juge que certaines pratiques sont susceptibles de fausser l’élection, alors que seulement 96 voix séparaient les deux candidats au premier tour. Ce serait alors un sacré camouflet pour le maire sortant.
Pierre Hurmic demande à ce qu’il soit condamné à une astreinte de 100 euros par infraction (nouveau mail envoyé) constatée, et à 200 euros par jour de retard à communiquer le nombre de personnes concernées. Mais le juge pourrait aussi renvoyer la balle à la juridiction administrative, pour un litige qui serait alors post-électoral.
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