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Le Guide du Bordeaux colonial éclaire un passé qui ne passe pas

Une couverture flamboyante signée Tardi, un titre qui dérange ou du moins interroge, le Guide du Bordeaux colonial, sort en librairie le 4 juin. Si Paul Bert ou encore Paul Broca ne sont pour vous que des noms de rue, l’ouvrage entend révéler le côté obscur de l’Histoire auquel ils renvoient.

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Le Guide du Bordeaux colonial éclaire un passé qui ne passe pas

« Si on pense aux millions de personnes dont la peine a permis la magnificence de notre Bordeaux, il est juste que ce patrimoine appartienne à l’humanité toute entière. » 

C’est sur ces mots d’introduction que s’ouvre le guide, renvoyant avec ironie à l’inscription de Bordeaux au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais quelle réalité se cache derrière la splendeur de la place de la Bourse et de l’ensemble urbain des façades classiques auxquelles on doit cet honneur ? 

Les auteurs vous proposent de le découvrir, nom après nom, dans cet abécédaire écrit à plusieurs mains – c’est le résultat d’un travail mené par le collectif Sortir du colonialisme Gironde –, et édité chez Syllepse.

Derrière les monuments, les maux

Ce guide répertorie pas moins de 200 noms – des militaires, des politiques, des armateurs, des scientifiques… –, tous ayant pris part de loin ou de près au système de domination coloniale. Les auteurs entendent ainsi montrer comment la ville de Bordeaux s’est construite.

Des lieux, emblématiques de Bordeaux, tels que la place des Quinconces, font ainsi partie du paysage colonial de la ville. On apprend, par exemple, que se tenaient là, au XIXe siècle, les foires coloniales. Parmi les attractions les plus prisées de l’époque, lors de ces événements, les « zoos humains », consistaient à exhiber des villages entiers, capturés dans les colonies. Des Kanaks, ou encore des tribus africaines étaient ainsi montrés, tels des animaux, à la bourgeoisie bordelaise. Ces foires perdureront jusque dans les années 1930

« Village africain » à Bordeaux en 1907 (http://etudescoloniales.canalblog.com/DR)

Les bornes chronologiques du guide – de la fin du XVIe siècle à nos jours – peuvent surprendre. C’est une manière de dire que le colonialisme n’a pas pris fin avec l’abolition de la traite négrière et la décolonisation. L’exploitation de l’Homme par l’Homme, le travail forcé, perpétrés encore aujourd’hui par certaines multinationales, en sont la continuité. Ils inscrivent ainsi les rapports de domination Nord-Sud dans cette histoire.  

Bordeaux « fer de lance de la colonisation »

La parution de l’ouvrage a volontairement été accélérée pour coïncider le Sommet Afrique-France, qui devait se tenir à Bordeaux du 4 au 6 juin, mais a été annulé en raison de la crise sanitaire. André Rosevègue, l’un des auteurs, et le collectif Sortir du colonialisme Gironde souhaitaient organiser un contre-sommet :

« Mais lorsque la question du financement de ce sommet a été soumise en conseil municipal, et que le contre-sommet a été évoqué, un des adjoints au maire l’a qualifié de sommet de délinquants. Il nous paraissait important que les chefs d’États africains en visite à Bordeaux sachent dans quelle ville ils sont. »

Une ville qui « a joué un rôle central dans la construction de l’empire colonial », poursuit André Rosevègue, par ailleurs membre de l’Union Juive Française pour la Paix.

« En 1919, Edouard Faure, qui a droit à sa rue, était un riche négociant bordelais devenu président de la Chambre de commerce en 1930. Il inaugure la nouvelle exposition coloniale par un discours dans lequel il explique que Bordeaux, grâce à celle-ci, va pouvoir reprendre son rôle de fer de lance et d’organisateur de la colonisation. La vérité c’est que les édiles bordelais sont très fiers de leur histoire, de cette construction coloniale et qu’ils tiennent à honorer un certain nombre de gens pour cela. »

Ou de famille, à l’instar des Balguerie-Stuttenberg, des armateurs ayant fait fortune dans le négoce colonial. André Rosevègue précise :

« Il n’y pas de prénom mentionné sur la place du cours du même nom, car c’est la famille qui est honorée, précise André Rosevègue. C’est inscrit dans la pierre. »

Lainé et Portal, défenseurs de la traite

D’autres noms révèlent l’importance d’acteurs locaux dans l’entreprise coloniale. C’est le cas de Joseph Lainé, né à Bordeaux en 1768, qui a donné son nom aux entrepôts destinés à stocker les denrées coloniales, et où loge aujourd’hui le CAPC. Cet avocat et préfet de Gironde a été ministre de l’intérieur entre 1816 et 1818, puis représentant du lobby des armateurs négriers aux côtés du baron Portal. Il fut un des plus fervents opposants à l’abolition de la traite.

D’autres ont eu une influence plus indirecte, mais tout aussi décisive, comme Paul Broca. Il existe à Bordeaux une rue portant le nom de ce natif de Sainte-Foy-la-Grande. Et l’Université de Bordeaux l’a aussi choisi pour  baptiser son nouveau centre des neurosciences. Le guide nous apprend pourtant comment les travaux de ce scientifique au XIXe siècle se trouvent au fondement des théories racistes qui ont justifiées la domination coloniale…

Les membres du collectif Sortir du colonialisme
Le collectif Sortir du colonialisme Gironde, présentent leur Guide du Bordeaux colonial (AG/Rue89 Bordeaux)

Ce guide réveillera-t-il les consciences ? Ses auteurs, tout comme André Rosevègue, l’espèrent :

« On révèle la réalité coloniale de Bordeaux, après c’est aux gens de s’en saisir. Faut-il débaptiser ou pas les rues portants les noms des personnages qui ont pris part à la traite négrière ou qui seraient auteurs de théories raciales ? C’est un débat auquel on ne souhaite pas prendre part. »

Avec ce guide, le collectif d’auteurs entend dépasser les non-dits sur le colonialisme. Sans être moralisateur mais en mettant en exergue une vérité qui dérange jusque dans les salles des conseils municipaux de la Ville, à l’instar du débat sur une rue Frantz-Fanon.

Des choix qui, aujourd’hui, interrogent, et sur lesquels le guide entend apporter un éclairage. « Sachons qui sont ces personnes ! » avertit André Rosevègue. Pour les auteurs du collectif Sortir du colonialisme, l’ouvrage se veut avant tout un travail de vulgarisation et doit permettre, pas à pas, que les Bordelais regardent leur histoire en face.


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