Les tambours résonnent et une fumée mauve se propage. Quand les Ultramarines se rassemblent, ça se voit. Et ça s’entend. Le principal groupe de supporters bordelais a réuni ce samedi plus de 2000 personnes devant la mairie pour demander le départ des dirigeants du FCGB, qu’ils jugent trop mercantiles.
« Un cri de de colère, un cri d’inquiétude, mais aussi un cri de passion », prévenaient-ils sur leur compte Twitter. L’occasion, aussi, de retrouver l’ambiance des grands soirs après 4 mois sans match de football. Contactés cette semaine par Rue89 Bordeaux, les Girondins de Bordeaux se refusaient au moindre commentaire. Le ton était donné. Le match pouvait commencer.
La veille, les Ultras bordelais avaient rencontré Nicolas Florian, le maire de la ville, afin de fixer les derniers détails de ce rassemblement. Plus tôt dans la journée, les supporters s’étaient inquiété que la manifestation puisse être menacée par l’arrêté préfectoral interdisant les rassemblements non déclarés dans le centre-ville. Un dispositif qui ne s’appliquait pas à la place Pey-Berland samedi.
Jour de foot
En 2018, les ultras bordelais voyaient déjà d’un mauvais œil la reprise du FCGB par le fonds d’investissement américain GACP (General American Capital Partner), associé à King Street, puissant fonds d’investissement new-yorkais qui gère près de 19 milliards d’actifs.
Ils demandent la démission de Frédéric Longuépée depuis septembre 2019. Or, celui qui fut un temps président délégué du club en est devenu le PDG et dispose des pleins pouvoirs depuis que King Street s’est séparé de GACP pour devenir l’unique actionnaire des Girondins en décembre dernier.
Pendant plus de 2 heures, les prises de parole s’enchainent sur la place Pey-Berland. Et la foule s’embrase à l’écoute des messages d’anciennes gloires du club comme Alain Giresse et Christophe Dugarry, qui ont tenu à apporter leur soutien à distance. Certains supporters sont venus de loin et ont roulé toute la nuit pour participer au rassemblement. En rouge et blanc, les Herri Norte Taldea, des supporters ultras de Bilbao, ont traversé la frontière pour soutenir les Ultramarines.
A la tribune, Laurent Perpigna et Florian Brunet, deux des porte-paroles des Ultramarines, haranguent la foule. Ils reviennent sur l’histoire de leur club, rappellent l’ère Bez et la décennie dorée des Girondins des années 80, la descente aux enfers aussi, lors de la relégation administrative en seconde division de 1991. Ils s’expliquent surtout sur le divorce entre les dirigeants du FCGB et les supporters.
Interdiction de stade
« C’est le scandale de la billetterie qui a fini par briser nos relations », glisse Florian Brunet, qui fait référence à de nombreux témoignages de supporters qui affirment ne pas avoir pu accéder au Virage Sud lors des matchs Bordeaux-Metz et Bordeaux-Brest, en septembre 2019, faute de places disponibles. Si le club plaide une erreur, les Ultras affirment eux avoir connu de nombreux problèmes de billetterie tout au long de la saison et dénoncent une volonté, de la part des dirigeants, de vider le Virage Sud.
Pire, aux yeux des supporters : en décembre, le club prenait l’initiative inédite d’interdire l’accès au Matmut Atlantique à l’un de ses supporters en contournant les autorités administratives et judiciaires. Une décision sans précédent, comme l’explique Hubert Azera, avocat des Ultramarines :
« En temps normal, la préfecture peut, pour motif de sécurité, prendre une interdiction administrative de stade. Il y a aussi des interdictions judiciaires qui font suite à une procédure pénale ou à des poursuites du parquet. Mais que le club prenne lui-même la décision de refuser l’accès au stade à un de ses supporters, ça ne s’est jamais vu à Bordeaux. »
Cassure idéologique
Si les ultras bordelais se lèvent contre la politique sécuritaire des dirigeants du FCGB, c’est surtout car Frédéric Longuépée nourrit, depuis mai 2019, le projet d’évincer David Lafarge, le responsable emblématique de la sécurité du club qui a su gagner la confiance des supporters depuis 1998. Une décision radicale qui pourrait avoir une réelle incidence sur le Virage Sud, tant l’on sait, en France, qu’en matière de réglementation sur les tribunes, de nombreuses questions sont laissées à la libre appréciation des directeurs de sécurité.
« La véritable cassure, le fond du problème est idéologique » explique Florian Brunet :
« Leur philosophie est simple. Ils veulent créer toute une activité autour du stade, développer les activités autour du terrain pour faire venir un nouveau public, comme s’il n’en existait pas. Et ensuite, peut-être que ce développement de l’activité amènera de l’argent au sportif. Notre philosophie est totalement contraire. Pour nous, tout doit partir du sportif. Il n’y a absolument pas besoin, à Bordeaux, d’aller chercher un nouveau public. Ce public existe. Il faut simplement le faire revenir au stade. »
#GirondinsLeaks
Mais, un club peut-il réellement se mettre à dos ses supporters ? Pour renouer le contact avec leur base, les dirigeants bordelais ont eu une idée : créer un « conseil de membres », une instance se voulant représentative des supporters, aux membres triés sur le volet. Lors de ses réunions, les langues se délient. En mai, la publication par les Ultramarines des #GirondinsLeaks, 5 enregistrements sonores issus des échanges du conseil, allait mettre le feu aux poudres.
Frédéric Longuépée, président délégué du club et Anthony Thiodet, responsable de la billetterie sont tous deux visés par ces leaks utilisés pour dénoncer la vision qu’ils portent en interne. Dans le premier de ces enregistrements, Anthony Thiodet affirme sur le ton de la confidence surveiller les supporters les plus virulents sur internet par le biais de leurs adresses IP. Une pratique déjà mise en œuvre par le Paris-Saint-Germain dans le passé.
Depuis 2016 et l’entrée en vigueur de la Loi Larrivé sur l’encadrement des supporters en France et la lutte contre le hooliganisme, les clubs peuvent refuser la vente de billets à certains spectateurs et les ficher informatiquement. En revanche, afin d’obtenir une adresse IP, la loi requiert l’intervention d’un juge auprès de l’hébergeur du compte, en l’occurrence Twitter, afin d’évaluer la légitimité de cette demande. Concrètement, une société, même au travers de son avocat, ne peut par elle-même collecter une adresse IP aux fins d’identification d’un internaute, auteur d’un contenu illicite sur Internet.
Pour l’heure, la CNIL n’a été saisie d’aucun signalement à ce sujet. Contacté par Rue89 Bordeaux, le directeur de la communication des Girondins de Bordeaux ne souhaite faire aucun commentaire. De leur côté les ultras bordelais ne prennent pas la menace du traçage par adresse IP au sérieux :
« Les dirigeants actuels des Girondins de Bordeaux colportent des mensonges qui ne visent qu’à rabaisser les gens. C’est ce qu’on a voulu montrer avec ces leaks, affirme Florian Brunet. »
Dans un second enregistrement, Anthony Thiodet laisse cette fois planer le doute sur une potentielle fraude à l’Urssaf durant le confinement :
« Sur les 32 personnes que je gère aux Girondins de Bordeaux, il y en a la moitié qui a été mise au chômage partiel total, il y en a certains autres qui ont été invités à purger leurs congés immédiatement. Mais je peux vous dire que tous ceux-là, ils ont continué à travailler. Même ceux qui étaient en congés, ils ont continué à travailler. Même ceux qui étaient en chômage partiel, ils ont continué à travailler. »
Le responsable de la billetterie des Girondins de Bordeaux affirmera quelques semaines plus tard regretter l’inexactitude de ses propos, précisant que le club n’avait « évidemment pas abusé du dispositif de chômage partiel » dans un entretien accordé à BFMTV.
« J’espère que le maire nous entend »
Face à la crise institutionnelle que traverse le club, les Ultramarines ne sont pas les seuls à demander des comptes au puissant fonds d’investissement américain. L’avenir du club bordelais a même occupé une part du débat politique dans la course au Palais Rohan. Ce n’est donc pas un hasard si Philippe Poutou, le leader de la liste Bordeaux en Luttes, et Pierre Hurmic, candidat Bordeaux Respire, ont répondu à l’appel des ultras en se joignant eux-aussi au rassemblement. Au micro, Florian Brunet déclare :
« J’espère que le maire de Bordeaux nous entend. Et que le prochain maire aussi. »
Plus tôt cette semaine, le supporter girondin soulignait l’importance de l’action municipale dans ce dossier. Et désignait directement la responsabilité du maire sortant, adjoint aux finances de la ville à l’époque du rachat des Girondins par les fonds d’investissement américains King Street et GACP :
« C’est à la mairie qu’il revient de protéger le patrimoine de la ville. Aujourd’hui le gouffre financier est énorme [42 millions d’euros]. Nicolas Florian a validé le projet de vente avec Alain Juppé alors qu’on leur expliquait que c’était un véritable danger pour le club. Si demain le club est relégué en Ligue 2, ils auront des comptes à rendre. »
Bras de fer politique
Depuis son entrée en fonction, l’édile bordelais veut se poser en médiateur avec les actionnaires, reconnaissant peiner à le faire. En février dernier, il avait déjà reçu le président des Girondins Frédéric Longuépée et Daniel Ehrmann, directeur du management et décideur chez King Street, à l’hôtel de Ville, sans parvenir à désamorcer la crise ouverte entre les supporters et les dirigeants du club girondin.
Alors, depuis, Nicolas Florian hausse le ton. S’il était reconduit dans ses fonctions, le locataire du palais Rohan affirme qu’il convoquerait dès la semaine prochaine les dirigeants du fonds d’investissement américain, et non plus Frédéric Longuépée.
Une rencontre à laquelle Pierre Hurmic souhaite lui aussi être associé afin de « donner plus de force à une initiative portée par des représentants des Bordelais, au-delà de leur diversité et de leurs préférences politiques » explique-t-il dans un courrier adressé au maire. Le candidat écologiste à la mairie de Bordeaux s’était déjà opposé au rachat du club par un fonds spéculatif en 2018 lors d’un vote à la métropole. Il demande aujourd’hui la démission de Frédéric Longuépée, conformément aux souhaits des Ultramarines.
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