« Je me souviens de mon arrivée en France, j’avais 14 ans. Un passeur nous a déposé dans un jardin public à Paris, en pleine nuit. Il a dit qu’il allait nous chercher à manger et il n’est jamais revenu. J’ai marché jusqu’à une entrée de métro, je me souviens encore de son nom : Porte de La Chapelle. »
Originaire du Pakistan, Muhamad a aujourd’hui 25 ans . Il a la nationalité française et vit à Bordeaux. Devenu chef d’entreprise dans le BTP, son aventure est digne d’un roman de Romain Puertolas.
Muhamad n’a que 13 ans lorsque sa famille, au Pakistan, le confie à un passeur. C’était en 2009, se souvient-il :
« Mes parents ont vendu un terrain pour le payer. Ils lui ont donné 7000 euros pour qu’il m’amène en Europe. Quand j’ai quitté ma famille je ne savais pas ce qui m’attendait. Je me rappelle avoir pleuré pendant des heures dans la voiture qui m’emportait. »
Un départ vécu comme un arrachement dans l’espoir d’une vie meilleure :
« Mes parents ont pris ce risque car ils voulaient que je réussisse. Il n’y a avait pas d’avenir pour moi au Pakistan. »
Parti par la route de son pays, il se retrouve en Méditerranée sur une embarcation de fortune où il manque de perdre la vie. Arrivé sur les côtes grecques, il est enfermé durant 5 mois dans un camp de réfugiés. Il réussit à le quitter et s’embarque pour l’Italie. Sur place un autre passeur le récupère. C’est ainsi qu’il se retrouve à Paris.
Parcours sans faute
Dans la capitale française, il tente de trouver des membres de sa communauté, mais il n’en a pas le temps et se fait prendre par les services de police. Il est alors contrôlé une première fois puis relâché. L’adolescent, apeuré, monte alors dans un train au hasard, sans en connaître la destination. A cette époque il ne parle pas un mot de français. Quelques heures plus tard il descend dans une ville qui lui est inconnue, Bordeaux :
« Je suis arrivé un jour de décembre 2011, à minuit, je me souviens du froid. J’ai à nouveau croisé une patrouille de police qui m’a contrôlée pour la deuxième fois et on m’a embarqué au commissariat. Je n’avais pas mangé depuis deux jours ! »
La suite c’est celle du parcours classique des mineurs étrangers pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance. Muhamad atterrit au Centre de La Verdière à Lormont. Jusqu’à leurs 18 ans, les mineurs non accompagnés (MNA ) n’ont pas besoin d’avoir de titre de séjour. Pour obtenir leur régularisation à leur majorité, ils doivent avoir entamé une formation diplômante ou professionnalisante. Muhamad apprend le français et passe un CAP d’électricité.
Ce parcours sans faute lui vaut, à 18 ans, d’obtenir la nationalité française. En 2016 il crée son entreprise. Celle-ci emploie aujourd’hui plusieurs salariés et enregistre pas moins de 500 000 euros de chiffre d’affaire annuel.
« Elle m’a dit, c’est un métier pour les Blancs »
Muhamad n’est pas une exception. Emmanuel, 22 ans, est aujourd’hui mécanicien sur avion dans l’industrie aéronautique. Arrivé en 2012 du Congo, il a passé son bac à Bordeaux. Parce que les préjugés ont la vie dure, il n’a pu compter que sur sa détermination :
« On oubli le passé parce que c’était dur. Il y a le racisme, il est réel. J’ai toujours été fasciné par les avions. J’ai su très tôt que je voulais en faire mon métier. Un jour je me suis retrouvé face à une conseillère d’orientation qui a tenté de me dissuader. Quand je lui ai dit que je voulais travailler dans l’aéronautique, elle m’a dit que c’était un métier pour les “blancs”… Elle me proposait des formations dans la maçonnerie. »
Mohamed Keita, 19 ans, vient de remporter le 2e prix d’un des meilleurs apprentis de Nouvelle-Aquitaine dans le prêt-à-porter. Il est à Bordeaux depuis 2017. Parti de Côte d’Ivoire, lui aussi, sans avoir pu prévenir ses parents, il s’est retrouvé livré au trafic d’être humains. Après un passage par la Libye, où il a été obligé de travailler pendant plusieurs mois pour payer son voyage, il se retrouve en Italie, puis arrive enfin à gagner la France. Aujourd’hui il travaille à Bordeaux, pour un créateur de robe de mariée, et rêve de créer sa propre marque.
Il y a aussi Ansoumane, originaire de Guinée. Arrivé lui aussi mineur en France, il est aujourd’hui économiste et travaille auprès un chef d’Etat africain, après avoir travaillé un temps au ministère français de l’économie et des finances. Son passage à Bordeaux l’a conduit sur les bancs de la faculté de droit, à Science Po, puis dans une grande école à Londres.
Ansoumane, Mohamed, Emmanuel et Muhamad ont un point commun : tous sont d’anciens pensionnaires de La Verdière, une Maison d’enfant à caractère social située à Lormont, qui accueille des MNA.
Leur nombre a augmenté depuis 2016 suite au démantèlement de la jungle de Calais. Ces migrants qui rêvaient de rallier l’Angleterre ont été répartis dans les différents départements de France. En Gironde, leur nombre est passé de 300 il y a cinq ans à 1300 aujourd’hui.
Des citoyens du monde
Des histoires comme celles-ci, Garand Coulibaly, directeur de La Verdière, en a plusieurs à raconter. Depuis plus de trente ans, il accompagne de jeunes étrangers dans leur intégration.
Il est catégorique : à plus de 90% tous les jeunes mineurs non accompagnés passés par le centre sont, aujourd’hui, bien intégrés dans la société. Une réussite qui ne doit rien au hasard :
« A La Verdière, quand un jeune arrive on prend le temps de construire un projet avec lui. On fait tout pour bien l’orienter. On ne sait pas ce qu’ils ont traversé. Ils n’en parlent pas. On commence donc par faire un travail d’apaisement. »
Car leurs parcours chaotiques, et leurs vécus souvent traumatiques sont parfois lourds à porter. Garand Coulibaly se souvient en particulier de l’un d’entre eux :
« Il y a quelques années, un jeune homme avait réussi son parcours et avait un travail. Mais un jour il a décompensé. Il s’est jeté sous un train parce qu’il n’avait pas pu dire au revoir à sa mère avant de quitter son pays. »
Pour prévenir de tels drames, il existe désormais un accompagnement spécifique, explique-t-il :
« Beaucoup quittent leur pays sans avoir pu prévenir leur famille. Quand on voit que cela les empêche de construire leur parcours, on choisit de les ramener quelques jours dans leur pays pour faire un peu de médiation familiale. Cela leur enlève la culpabilité. Ils se sentent plus légitimes quand ils reviennent en France. »
Avoir un métier, devenir autonome, et être capable de partir exercer partout dans le monde, c’est le pari que fait Garand Coulibaly pour ces jeunes migrants. Comme il aime le rappeler aux nouveaux arrivants : « On vous forme pour être des citoyens du monde. »
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