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Sandra Patron : « l’ADN du Capc, c’est à la fois un centre d’art et un musée »

Arrivée il y a six mois, la nouvelle directrice du Capc devait lancer sa programmation en juin 2020 et la crise sanitaire a contrarié ses projets. Mais Sandra Patron rebondit sur l’actualité avec une première exposition sur le confinement, « Le Cours des choses », et décale ainsi son programme. Dans cet entretien, elle développe ses projets pour l’institution bordelaise : un label Centre d’art contemporain d’intérêt national, une exposition manifeste, un lieu de résidence dans le musée, une nouvelle charte graphique, et, grande nouveauté, une exposition en partenariat avec le Frac Nouvelle-Aquitaine en juin 2021 à la Base sous-marine.

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Sandra Patron : « l’ADN du Capc, c’est à la fois un centre d’art et un musée »

Rue89 Bordeaux : Votre arrivée à Bordeaux commence par un confinement de deux mois ! Comment l’avez-vous vécu ?

Sandra Patron : Très déstabilisant ! J’étais arrivée depuis peu dans une ville que je ne connaissais pas bien et je me retrouve à la découvrir grâce à une balade quotidienne d’une heure pendant le confinement.

C’était le moment où je posais les bases de mon projet. J’ai vécu une forme de deuil du fait que je ne pouvais pas dérouler les choses comme je le voulais. Assez rapidement, je me suis sentie très démunie. Sans fonction sociale. Il y avait des corps de métiers qui étaient très sollicités et le mien pas du tout. Ça interroge quand on travaille dans le milieu de l’art de ne pas avoir une place dans la cité.

On a échangé avec Alice Motard [commissaire en chef du musée, NDLR] sur cette situation et la frustration qu’elle génère. On a alors décidé de faire une exposition, « Le Cours des choses », qui va réagir à cette période d’une manière très directe.

Comment ?

Une des choses qu’on a pu faire pendant le confinement était de regarder des vidéos d’artistes. Surtout que beaucoup de musées ont commencé à ouvrir leurs archives.

Avec Alice Motard, isolée chacune de son côté, on a partagé plein de choses, mais aussi des émotions communes qui touchent à la peur de la foule, la folie hygiéniste, la question de la contamination, le retour des animaux dans l’espace public… On s’est rendu compte que ce sont des choses que les artistes ont travaillé depuis longtemps. On a aussi découvert deux œuvres artistes faites pendant le confinement. Ça a été donc l’occasion de regarder ces vidéos à l’aune de cette crise sanitaire.

Exposition « Le Cours des choses » : Drop out, 2020, extrait vidéo (© Hoël Duret / ADAGP, Paris, 2020)

Vous pouvez nous citer quelques noms d’artistes ?

On aura par exemple Bruce Nauman, Absalon, mais aussi Anne-Charlotte Finel… Il y aura des œuvres récentes comme des œuvres historiques. Deux des vidéos ont été faites pendant le confinement. Ce sera une exposition qui va faire écho de manière organique à la crise.

La programmation initiale sera donc modifiée ou décalée ?

Oui, ce qui était prévu en avril sera repoussé à mi-septembre. La grande exposition « Le Tour du jour en quatre-vingts mondes » aura lieu fin novembre. C’est une exposition collective qui réunit des œuvres de la collection du Capc et un ensemble des nouveaux dépôts du CNAP (Fonds national d’art contemporain).

Vous avez présenté cette exposition dans une vidéo sur la page Facebook du Capc comme un manifeste. Pourquoi ?

Cette exposition aura pour moi une valeur de manifeste en regard de mon projet artistique et culturel que je souhaite développer au Capc. Depuis mon arrivée, je suis face à deux grandes questions. La première concerne l’histoire même du Capc en tant qu’acteur historique et important de l’art contemporain en France. Qu’est ce qu’on fait avec cette histoire sans être dans la nostalgie d’un monde aujourd’hui disparu ?

Il y a des revendications puissantes qui émergent […] j’estime que l’art a une vraie responsabilité.

L’autre question relève de la place d’une institution d’art contemporain dans le monde très particulier où nous vivons. Il y a des revendications puissantes qui émergent – que ce soit les gilets jaunes, que ce soit #metoo… – et qui veulent une place dans le débat public et estiment en être écartées, voire minorées. Elles appellent à un changement dans nos systèmes de représentations individuelles et collectives. J’estime que l’art a une vraie responsabilité. Or il a toujours représenté les mêmes communautés, toujours les mêmes zones géographiques… Il est temps de décentrer notre regard.

Exposition « Le Tour du jour en quatre-vingt mondes » : Sylvie Blocher, Change the Scenario, 2013 (© Adagp, Paris, 2020 / Cnap)

Cette dernière question rejoint la volonté d’une démocratisation culturelle. Bien sûr, c’est un mot fourre-tout. Mais il est temps de changer notre logiciel de pensée. Car on voit bien qu’on ne répond pas à une partie de la population qui ne pousse pas les portes des lieux culturels. Il faut donc s’interroger et développer des stratégies.

Vous avez une idée de ces stratégies ?

Il n’y a pas de recettes miracles, il y a beaucoup de petites choses à faire. Un travail de dentelle. Prenons l’exemple de l’exposition de Lubaina Himid, que j’ai programmée initialement au Mrac [Musée régional d’art contemporain Occitanie-Pyrénées Méditerranée à Sérignan que Sandra Patron dirigeait avant d’arriver au Capc, NDLR] et qu’Alice Motard a fait venir à Bordeaux. C’est une artiste africaine autour de qui on a organisé une série de conférences avec des intervenants très engagés sur la question des populations africaines et leurs représentations. On a vu un public y assister qui n’était pas le même que celui du vernissage de l’exposition.

Ce constat a soulevé des questions. Comment et pourquoi des populations peuvent venir et assister à telle ou telle forme de rencontres. Pourquoi le public se sent concerné quand un sujet raconte une partie de l’histoire… Ce sont des petites choses mais qui nous poussent à réfléchir et à envisager des solutions ultra-locales.

Comme ?

Mon expérience dans le champ de l’art s’est nourrie du fait que j’ai dirigé des lieux très excentrés. On allait chercher les gens là où ils étaient. A Sérignan, où c’était encore moins naturel pour le public de pousser la porte d’un centre d’art qu’à Bordeaux, on a développé une forme de partenariat avec le milieu associatif, le champs social, les prisons…

On était dans une logique de construction avec le public pour créer ce que j’appelais à l’époque les résidences secondaires qui permettait des échanges avec les artistes.

Quel type d’association feriez-vous pour le Capc ?

Les associations vont dépendre du projet artistique. Je ne veux pas des rencontres artificielles. On fera des propositions autour de la parole de l’artiste et de son projet. Je prends l’exemple de l’artiste Samara Scott qui fera une installation dans la nef. On a créé un workshop avec les étudiants des beaux-arts de Bordeaux et des étudiants de la Gerrit Rietveld Academie d’Amsterdam pour réagir à l’installation.

On fera également des rencontres autour de l’exposition « Le Tour du jour en quatre-vingts mondes » qui va durer un an, dont certaines sont prévues en collaboration avec Le Rocher de Palmer à Cenon.

Un lieu de résidence sera installé dans le bâtiment du Capc

Je compte également créer un lieu de résidence dans le bâtiment même du Capc. Elle sera dans l’ancien bureau de la direction qu’on va isoler du reste et faire quelques travaux pour accueillir des artistes. L’idée de cette résidence est de préciser les partenariats.

Vous évoquez souvent le patrimoine dans votre projet global. Quelle place il aura ?

Toute la base de mon projet est de dire que l’ADN du Capc, c’est à la fois d’être un centre d’art et un musée. Et c’est ce qu’on va continuer à faire. On va demander à être labellisé « Centre d’art contemporain d’intérêt national ». On va créer des dialogues, qui sont déjà existants en réalité mais on va surtout les rendre lisible ; même si d’une direction à une autre la dimension centre d’art a été parfois plus présente, et d’autre fois c’est la dimension musée.

Globalement, c’est ce qui fait du Capc un lieu singulier, il n’y a pas beaucoup d’autres lieux comme ça en France. Autant le renforcer et le développer.

Comment vous allez faire ?

Un musée, c’est un lieu où on voit une collection, donc la collection sera toujours présentée. C’est ce que j’appelle une collection activée. C’est-à-dire qu’elle sera toujours en dialogue soit avec d’autres collections comme c’est le cas de l’exposition « Le Tour du jour en quatre-vingts mondes », soit en dialogue avec un artiste… elle sera toujours en mouvement. Cette question du mouvement est aussi un enseignement qu’on peut tirer de ce qu’est un centre d’art.

La collection sera également présentée hors les murs, puisqu’en juin 2021 et pour la première fois, il y aura une exposition avec le Frac et le Capc à la Base sous-marine.

Une nouveauté !

Tout à fait. C’est une exposition où je serai commissaire avec Claire Jacquet [la directrice du Frac, NDLR]. Nous allons faire une sélection d’œuvres de chaque collection et adapter le choix des pièces bien sûr aux conditions de la Base sous-marine. Il n’y aura donc pas de peintures, ni de dessins fragiles, mais plutôt des sculptures, des installations, ou de la vidéo.

Sandra Patron (photo Frédéric Deval)

Allez-vous continuer la programmation Satellite en partenariat avec le musée du Jeu de Paume ?

Nous arrêtons notre partenariat avec le musée du Jeu de Paume. L’idée était d’abord de partir sur un espace Jeune création, mais l’idée d’un petit espace pour la jeune création ne me satisfaisait pas. Nous allons avoir Samara Scott dans la grande nef alors qu’elle a 30 ans. Cette notion de jeune création ne correspond plus à la réalité actuelle des artistes. Sur cette question, on va plutôt se tourner vers le nouveau programme de résidence qui s’appelle « Les Furtifs ».

« Les Furtifs » emprunte son nom au roman de science-fiction d’un auteur que j’apprécie, c’est Alain Damasio, dans lequel les furtifs sont des êtres qui ont la particularité de pouvoir se métamorphoser suivant si le contexte est hostile ou accueillant. C’est une assez jolie métaphore pour qualifier ce qu’est toute une jeune génération d’artistes qui ne veut pas forcément ses 80 m2 pour une exposition mais qui veut faire une conférence performée, ou investir un grand espace public, ou une expo sur internet… Donc on a décidé de faire une résidence qui a la particularité de ne pas avoir ni d’espace, ni un temps. Ce sera juste un budget et à partir de là c’est le projet d’artiste qui va conditionner l’espace et le temps qu’on va lui donner.

Pour moi, ce qui est important c’est de créer des espaces de liberté.

Que devient l’espace qui accueillait la programmation Satellite ?

On va créer un espace « Cosa mentale ». Cette idée est issue d’une discussion avec Alice Motard où on s’est dit qu’il y a quelque chose de passionnant auquel le public n’a jamais accès, c’est toutes les discussions en amont avec les artistes qui nous montrent ce qui les a menés au travail présenté. Ce « Cosa mentale », quand on fait une exposition avec un artiste ou un commissaire dans la nef, sera une extension de son cerveau et toutes les références qui nourrissent son travail.

Pour moi, ce qui est important c’est de créer des espaces de liberté. Ne pas créer des formats rigides dans lesquels les artistes doivent répondre à un cahier des charges.

Vous prévoyez également de refaire l’identité visuelle du musée. Vous en êtes où ?

On a choisi l’agence Spassky Fischer, qui signe l’identité graphique du Mucem à Marseille et du Mac Val [musée d’Art contemporain du Val-de-Marne, NDLR]. On est entrain de travailler sur un logo, un site internet, mais aussi une signalétique intérieure et extérieure. On aura une première phase en novembre et en février 2021 une phase concernant la façade du musée et la circulation.

Pourquoi refaire cette identité visuelle quand on sait que cela représente une dépense ?

J’ai bien conscience que ça peut paraître comme une coquetterie. Ça l’est parfois, mais dans ce cas, ça ne l’est pas, parce qu’il y a un gros problème de visibilité et de lisibilité sur la façade et à l’intérieur. Nul part on dit ce que c’est et qu’est ce qu’on peut y voir. Alors que ce sont des informations de bases. Egalement pour les publications qui manquent d’unité.

Quel est le budget de cette refonte ?

25000 €.

Qu’en est-il de la gouvernance du Capc puisqu’il a été question de le séparer de la collectivité municipale ?

C’est toujours dans la feuille de route, mais pour l’instant rien de nouveau.

Où en est-on de la mutualisation avec l’association Arc en rêve ?

Il y a un recrutement pour la direction en cours. J’ai rencontré Francine Fort et je lui ai dit qu’on se mettra autour de la table quand la nouvelle direction arrivera.

A quoi cette mutualisation pourra ressembler ?

Quand je pense à une mutualisation, je le fais de ma place de directrice, donc dans le sens d’une intelligence collective. On partage ce bâtiment et son usage. Il y a donc plein de choses à inventer. Ça me semble normal qu’Arc en rêve soit inscrit sur la façade par exemple, et qu’ils aient leur moment dans la nef tous les deux ou trois ans. Ce qui sera le cas en 2021.

Un dernier mot sur ce que représente pour vous le Capc ?

Le premier jour où je suis arrivée à Bordeaux après ma nomination à la direction du Capc, j’ai revu ce moment où, adolescente de 17 ans, j’étais venue voir des expositions qui m’ont complètement marquée.

En être aujourd’hui la directrice, c’est une sacrée responsabilité. C’est le type de poste où on sait qu’on est attendu au tournant. Mais si on raisonne comme ça, on ne fait rien et on est saisi par le stress. Il faut se projeter, dire voilà ce que je peux lui donner.


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Photo : SB/Rue89 Bordeaux

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