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Thomas Ferrand, le mage des mets sages et des herbes folles

Dans une formule mini adaptée à la crise sanitaire, le festival des arts de la parole, Chahut, a invité l’artiste-botaniste Thomas Ferrand. Ses « Balades » proposent de (re)découvrir des plantes sauvages comestibles, médicinales, voire de se réconcilier avec des herbes jugées indésirables. Son message : redécouvrir les vertus de la nature tout simplement.

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Thomas Ferrand, le mage des mets sages et des herbes folles

Vous ne regarderez plus jamais les mauvaises herbes comme avant. A suivre Thomas Ferrand dans les sous-bois où, tantôt il caresse, tantôt il renifle, tantôt il goute, on jurerait qu’il est capable d’inventer la potion magique. Cet artiste-botaniste à l’allure de druide a mené ce week-end des « Balades sauvages » dans le cadre de Mini-Chahuts, version light du festival des arts de la parole.

Dans le parc des Berges de Garonne, au pied du pont d’Aquitaine, les premières consignes tombent : « Il ne faut pas hésiter. Une herbe il faut la sentir, la pincer, la malaxer entre les doigts… »

Sources

La berce, l’amarante, la benoîte urbaine… ce n’est pas ce qui manque dès les premiers pas dans ce carré de verdure de 8 hectares léché par les flots sauvages de la Garonne avant son entrée docile dans la ville. « On va jusqu’au bout du monde chercher du café ou du chocolat et on ignore ce qui pousse à côté de chez nous » tacle Thomas Ferrand. Le galvaudé « retour aux sources » prend son vrai sens et, comme il l’écrit l’invité de Chahuts dans un texte intitulé Friches publié en décembre 2019 :

« Il y a quelque chose de merveilleux dans les friches, comme un imaginaire de jungles naissantes dans les ruines de la modernité et du capitalisme. Cette expression usée jusqu’à la corde, de “Nature qui y reprend ses droits” n’a jamais été aussi appropriée que pour qualifier ces fascinants espaces anthropisés. »

Thomas Ferrand, tenant millepertuis et achillée millefeuille (WS/Rue89 Bordeaux)

Au bout du doigt chatouillant sa fleur, la berce dégage des effluves de pamplemousse et de noix de coco. Et on raconte même qu’elle challenge la libido avec ses propriétés aphrodisiaques. Stimulante et excitante, si la berce redonne l’appétit sexuel, ses voisines de pré ouvrent l’appétit tout court.

La benoîte urbaine se donne avec son subtile arôme de clou de girofle. L’amarante, coquettement surnommée « queue de renard », s’offre en quinoa généreuse et riche de protéine végétale. L’achillée millefeuille fleurit allègrement les salades. La mauve sylvestre donne du corps aux sauces et soupes avec ses mystérieuses propriétés mucilagineuses.

« Cueillir est une danse »

« Cueillir est une danse. Un geste. » écrit Thomas Ferrand. Et la danse continue dans cette surprenante forêt que quelques promeneurs discrets et les propriétaires des carrelet sur la Garonne arpentent régulièrement à l’ombre des aulnes, des saules et des sureaux.

Particularité de cette forêt, l’angélique des estuaires, une plante protégée en Europe qui compte une centaine de pieds sur les bords de la Garonne. Ses tiges séchées relèvent les plats d’une fine touche d’amande.

« L’aire géographique de l’angélique des estuaires est partagée entre la Gironde et la Dordogne. On peut considérer qu’elle est la plante propre à la région parmi la cinquantaine d’essences comestibles et médicinales que contient ce parc. »

Et pas la peine de demander à Thomas Ferrand de faire le distinguo entre les deux familles. « Ton aliment est ton médicament » rétorque-t-il. Ainsi, millepertuis ravive aussi bien les plats que les coups de blues. L’achillée millefeuille défie les douleurs et camphre les flans. L’armoise commune parfume les volailles mais aussi les sucreries. La grande chélidoine soigne les verrues et choie les salades. L’ortie tutoie les soupes et les sablés.

Sans parler des liqueurs de sureau ou de violette et des tisanes d’aubépine ou d’ortie encore.

La bardane (grandes feuilles) a inspiré la technique du velcro et sa racine cuisinée en gratin est appréciée au Japon et en Corée (WS/Rue89 Bordeaux)

Tombé dedans petit

« Enfant, j’habitais une maison dans les bois. Mon grand-père m’emmenait souvent en forêt me parler de plantes. Ça m’a toujours suivi. Après mon travail de théâtre, j’ai voulu faire une pause. J’ai pensé faire du maraichage mais j’ai vite compris que je ne voulais pas me remettre dans un système de production, que ce soit des spectacles ou des légumes. Vivant entre le Jura et la Normandie, je me suis finalement intéressé aux plantes qui poussent toutes seules. »

La nature devient alors son marché. Il y tente les expériences les plus délirantes… dans tous les sens du terme. « Il y a des herbes qui offrent des rêves intenses » répond-il si on le questionne sur d’éventuels accidents ou mésaventures. « Jamais rien de grave, quelques indigestions. Mais il faut y aller à petite dose pour tester. »

Avant d’être le curieux botaniste d’aujourd’hui, Thomas Ferrand a multiplié bien trop d’expériences pour son âge de 37 ans. Metteur en scène autodidacte, il a créé la compagnie Projet_Libéral. Egalement critique, il a fondé deux revues sur les arts et le spectacle vivant : mrmr et Volailles. Il a signé plusieurs spectacles parmi lesquels Idiot cherche village inspiré de plusieurs entretiens avec le philosophe Bernard Stiegler.

Après trois ans à étudier la botanique, et plusieurs voyages en Asie, et particulièrement au Japon et en Corée où la cuisine des plantes sauvages est monnaie courante, il développe désormais des projets « ethnobotaniques » ; faisant sienne cette citation de Guillaume Apollinaire : « Les mauvaises herbes même sont de celles que l’on pourrait rendre bonnes en en usant congrûment. »


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