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Des sans-abris aux sans-voix, les colères sourdes d’Eric Chevance

Il avait ouvert un profil Facebook en 2013 pour les besoins de la campagne municipale bordelaise de l’année suivante. Très vite, le réseau social est devenu une tribune où Eric Chevance a régulièrement publié des billets d’humeur et des prises de position. L’Ire des Marges édition a réuni un ensemble posté entre 2013 et 2017 sous le titre « Qu’allons-nous faire de nos colères ? ». Premier coup de cœur de notre série d’été 2020 « Pages à plages ».

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Des sans-abris aux sans-voix, les colères sourdes d’Eric Chevance

Les colères d’Eric Chevance sont sourdes. Et pourtant, il ne manque pas de les crier sur la place publique. Elles sont sourdes car qui connaît le citoyen sait qu’il n’est pas de ceux qui s’emportent jusqu’à perdre raison. Il est souvent engagé et parfois enragé. Avec une conviction telle qu’il affiche une assurance paisible et calme sans failles.

Quand il rejoint le socialiste Vincent Feltesse dans la course – perdue – à la mairie de Bordeaux en 2014, il découvre la mécanique de l’influence et la nécessité d’être « présent » sur les réseaux sociaux. Eric Chevance suit une formation et ouvre un profil Facebook. Ses premiers textes sont partisans.

« Puisqu’il fallait dans tous les lieux, réels ou virtuels, défendre notre projet et attaquer celui de notre principal adversaire […], je me suis inscrit sur Facebook et y ai publié régulièrement libelles et chroniques traitant de la culture, mais aussi parfois d’autres thématiques » avertit l’avant-propos.

« Portrait subjectif »

Des libelles critiques oui, satiriques parfois, diffamatoires jamais. Car leur auteur n’est pas de nature tordue et quand il vise, il est humainement juste. L’on peut lui reprocher parfois un excès d’utopie mais jamais de zèle. Sa sincérité fait foi. Si l’éditrice, Bérangère Pont, a voulu réunir l’ensemble de ses textes sans faire de tri, il reconnaît qu’il n’écrirait pas certains textes aujourd’hui de la même manière.

« Je ne pense plus la même chose qu’il y a 4 ou 5 ans, j’ai évolué, je suis bien plus radical. Il y a donc des textes que j’écrirais différemment, ou même que je n’écrirais pas du tout. »

Peu importe, l’éditrice revendique ce « portrait subjectif » de ces années passées. Faisant fi d’une sélection qui aurait pu permettre de réunir tous les textes (jusqu’à la date de publication puisque l’auteur continue ses posts), Bérangère Pont envisage un deuxième recueil allant jusqu’à nos jours, même si la publication actuelle n’est pas présentée comme un premier tome.

« L’idée du journal me séduisait, explique-t-elle. Je suis une grande lectrice de journaux. Dans un journal, il y a parfois beaucoup d’insignifiants, de répétitions, du fragile, voire du maladroit, mais c’est souvent là que se nichent des choses importantes, mine de rien. C’est une sorte de musique, avec cette idée de se mettre dans une durée. Les textes qu’on peut trouver moins forts servent aussi de liant à l’ensemble. »

Éric Chevance est enseignant associé à la filière d’études théâtrales de l’université Bordeaux-Montaigne. Il est engagé aux côtés des migrants et réfugiés au sein du collectif Bienvenue (© Jérôme Victoire)

Visionnaire ?

Celui qu’Alain Juppé a qualifié de « porte-voix sans voix » déroule ainsi son engagement politique dès le 17 octobre 2013, muté au fil du temps en engagement social jusqu’au 31 décembre 2017.

S’il faut s’amuser de certaines coïncidences, on retient les prévisions qui ouvrent et qui ferment le livre : le 2 décembre 2013 Eric Chevance se demandait si le maire de Bordeaux et ancien premier ministre allait finir son mandat d’édile, c’est finalement non ; et le 31 décembre 2017 il s’interrogeait sur la promesse du président Macron de sortir tous les sans-abris des rues, qui n’a pas abouti.

Le long des 200 pages du livre, défilent des opinions politiques mais aussi des sujets de société brassant la cause des intermittents du spectacle en passant par la nécessité d’accueillir les réfugiés, ou encore la dénonciation des violences policières. « Des réactions épidermiques » comme dit l’auteur. « Des sujets à polémiques et à revendications. »

« J’ai envie de partager ce que je ressens. Les premiers textes de la campagne m’ont vite donné le goût d’écrire pour rendre public et d’assister aux débats que ça génère. J’assiste à ces débats avec intérêt et beaucoup de textes ont été commentés. Je réponds ponctuellement car je n’ai rien de plus à dire. Ce que j’ai à dire, je l’ai dit dans mon post. »

Gauchisé et optimiste

Au fil du temps, Eric Chevance dit devenir « gauchisé » et multiplie les flèches à l’encontre de son ancienne « famille » politique des municipales 2014, étant société civile jamais encarté. Dans son viseur, le gouvernement du président Hollande. Un texte publié le 30 avril 2016 liste ses questions, florilège de tout ce qui le préoccupe :

« Pensez vous que la façon dont la France traite les migrants, ces désespérés parmi les désespérés, est conforme aux valeurs qui ont présidé à votre engagement ? […]
Pensez vous que l’abandon, à l’initiative du gouvernement, en décembre dernier, d’un amendement permettant de lutter contre la fraude fiscale, est conforme aux valeurs qui ont présidé à votre engagement ? […]
Pensez-vous que l’article premier du projet de loi El Khomri, qui dit que des limitations peuvent être apportées aux libertés fondamentales de la personne si elles sont justifiées par les nécessités fondamentales de l’entreprise, est conforme aux valeurs qui ont présidé à votre engagement ? […]
Pensez vous que les violences policières dont nous sommes témoins aujourd’hui, violences injustifiées et principalement dirigées non sur les casseurs mais sur des manifestants pacifiques, est conforme aux valeurs qui ont présidé à votre engagement ? […]
Pensez vous que la situation dans laquelle se trouvent de nombreux, toujours plus nombreux précaires, intermittents pas seulement du spectacle, chômeurs et laissés pour compte, est conforme aux valeurs qui ont présidé à votre engagement ? […] »

Libre et acerbe, mais jamais « pessimiste, ni défaitiste, ni décliniste », Eric Chevance se dit même optimiste. « Optimiste, mais néanmoins inquiet. »

Qu’est ce qu’un livre apporterait alors à un flux disponible (et public) d’un profil Facebook ? « Contrairement aux posts facebook qui percutent et ont une fonction de combat en quelque sorte, là il s’agit vraiment d’une autre approche », raconte l’éditrice. Une vision globale certes, mais aussi le plaisir de se procurer un objet éditorial unique et rare, entièrement fait main, limite collector (avec son erratum si possible qui contient un texte supplémentaire de l’auteur sur les… erratum !). 144 textes (ou 145) sont réunis dans ce livre, deuxième de la nouvelle collection Contrevues au format exceptionnel. 90 exemplaires sont à ce jour confectionnés, certains sont disponibles à La Machine à Lire.


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