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Camera Silens : le street punk à Bordeaux, ses cliques et ses claques

L’ouvrage Camera Silens, signé par les membres du groupe du même nom et orchestré par Patrick Scarzello, débute par une plongée totale (jusqu’à la pointe de la crête) dans les années 1980 à Bordeaux. Il raconte aussi la cavale, la réapparition, puis la disparition de Gilles Bertin, chanteur et braqueur repenti. Un livre complet sur une formation qui a inscrit en force le punk dans l’histoire locale. Cinquième et dernier coup de cœur de notre série d’été 2020 « Pages à plages ».

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Camera Silens : le street punk à Bordeaux, ses cliques et ses claques

L’immersion est rare. On en sort un poil étourdi. Comme une réunion de famille qui déterre toutes les histoires oubliées d’une époque difficile, les vieux secrets dévoilés qui montent au cerveau. On tourne la dernière page de la première partie du livre (une grosse moitié) avec le sentiment d’avoir vidé son sac chez un sombre psy, d’avoir posé un fardeau estampillé No Futur. Et dans un soupir, on lâche un « oi! ».

Ce sont les années 1980. Le Bordeaux de Chaban et des façades couleur suie. Les grilles pour empêcher l’accès aux quais du port. Le no man’s land de la gare Saint-Louis à l’autre infréquentable bout de la ville. La base sous-marine comme un paradis interdit. Les Capus où le monde appartient à ceux qui se couchent tard. Et les bars qui jouent à l’école de la vie.

Il y a aussi la place Saint-Projet, refuge des sans projets. Dans ce quartier Saint-Pierre, devenu quarante ans plus tard quartier témoin du Bordeaux-trip-advisor, « toute la raïa keupone et la zone alcoolisée se croisent près de la fontaine » écrit Patrick Scarzello. Ici, les héros sont parfois à l’héro, et les tronches scotchés à la blanche croisent les jeans blanchis à la javel. Sont nés les premiers squats et sont morts les premiers malades du sida.

Bienvenue au côté destroy de la belle endormie où on dort debout jour et nuit sans quitter ses randjos. Où trois-quatre garçons ajoutent à l’abécédaire de Bordeaux, quelques part entre dix-huitième siècle, port de la lune, canelé et grand cru, une entrée en force : « punk ». C’est ici que naît Camera Silens.

Gilles Bertin, Philippe Schneeberger dit Schné, et Benoît Destriau, la première formation de Caméra Silens (© photo Jean-Marc Gouaux)

Mot à mot

Le livre, Camera Silens paru au Castor Astral, est complet, même trop. Il raconte l’histoire de Camera Silens avec et sans Gilles Bertin, en prison une première fois, et en cavale à partir d’avril 1988 suite au braquage de quelques 11 millions de francs dans un dépôt de la Brinks. On connaît la suite. Une reddition en 2016 défraye la chronique et met le nom de Camera Silens sur toutes les lèvres, en France et en dehors. C’est sans doute pour cette raison que l’histoire de ce groupe punk ne peut se raconter sans les frasques de son premier chanteur jusqu’à son décès.

Dans un esprit de conversation de zinc, les membres du groupe (Gilles Bertin, Benoît Destriau, Bruno Cornet, Eric Ferrer, François Borne, et Jean-Marc Gouaux) prennent la parole tout le long de ce récit, paroles rapportées mot à mot. D’autres proches du groupe y parsèment leurs souvenirs. Patrick Scarzello apporte discrètement de quoi relier chaque bribe à son contexte et ajoute ce qui se dit et ce qui se lit, par-ci par-là.

Viennent ensuite les comptes rendus des assises de Toulouse en juin 2018, du rappel des faits par le juge jusqu’au rapport d’étude sur la personnalité par l’intervenante socio-judiciaire (fort intéressant), en passant par les échanges avec le repenti.

Des critiques, des articles (certains de Thierry Saltet qui signe une impeccable préface sur mesure), voire de posts Facebook, sont rapportés fidèlement, jusqu’aux réactions, commentaires, emojis et nombre de « like » !

La deuxième partie, ultra médiatisée, n’a certes plus de secrets pour personne ou presque. Cependant la première partie joue des subtilités et rappelle, à raison, que le genre musical de Camera Silens est celui de la rébellion, de la classe ouvrière et prolétarienne. C’est le « street punk » (venu répondre « aux artistes punks poseurs »), avec les utopiques prétentions de la oi! de réunir punks et skinheads.

Le tout Bordeaux keupon

Au fil des 300 pages – un pavé ! –, tout Camera Silens est écrit noir sur blanc, sans tricher, « sur scène comme dans la vie ». D’où vient le nom. Comment et où le premier concert a eu lieu. Que fait une banque parmi les mécènes de leur première galette vinyle. Qu’est-ce que ce public, cette clique, cette « famille », et comment il a fini par peser sur la carrière du groupe. Pourquoi la violence comme une malédiction à chaque concert et la difficulté de s’en défaire.

Vous croiserez des figures de « l’anti-société » de l’époque. Les membres du groupe évidemment, du trio Gilles-Benoît-Schné, au quatuor Gilles-Benoît-Eric-Bruno et ensuite Benoît-Eric-Bruno-François. Les potos des pogos, de la famille aux incontournables, de l’ « Immortel » Grand Claude au survolté Petit David, en passant par Bidasse le « fidèle », Patou et Caniche « les inconditionnels », et les frères Boisson « embrouilles à gogo »…

Vous fréquenterez des adresses mythiques. De l’éphémère bar le Luxor, l’irrésistible bar le Babylone, le « bienveillant » magasin Gaby Music rue Fondaudège, le libraire et disquaire Bulle de la place du Parlement, le QG Chiquito, et le Bar des Cours…

L’ouvrage rend hommage aux quelques fanzines du milieu Hello Happy Taxpayers ou encore Rassclat (et sa pilule magique), sans oublier l’incontournable On est pas des sauvages. On regrette cependant le silence autour des radios libres (FM Graffiti, La Vie au Grand Hertz…) où Suicide, Réalité, ou Pour la Gloire ont souvent squatté les ondes dans un même esprit de ralliement.


#Pages à plages

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