Il ne fait pas toujours bon de trainer dans les bars ou discothèques quand on est bordelaise. Sur le port de la Lune comme ailleurs, le milieu festif devient le terrain favori des frotteurs, harceleurs, voire violeurs. Tout comme une étude nationale réalisée par l’association Consentis révèle que plus de la moitié des femmes affirment (60%) avoir été victimes de violences sexuelles dans des lieux festifs, une étude du Planning familial 33 le confirme à l’échelle locale.
La fête et l’alcool exacerbent ce type d’agressions, mais il faut noter des intentions clairement malveillantes.
« Dans un bar, je suis allée chercher un verre avant de rejoindre un groupe d’amis à l’étage. Trois garçons sont venus me parler quand je commandais. Ils m’ont un peu distraite et retenue pendant que j’avais mon verre. Au bout de vingt minutes, j’ai commencé à sentir le sol flancher et la tête qui tournait. J’ai voulu rejoindre mon groupe d’amis mais j’avais du mal à tenir debout. Quand ils ont commencé à m’accompagner vers la sortie, une amie à moi est descendue de l’étage et m’a récupérée. La bande des trois mecs a vite déguerpi et moi j’ai beaucoup vomi. Puisque je n’avais rien bu en arrivant au bar, on suppose avec mes amies qu’une drogue avait été mise dans mon verre. »
Viol
Il est difficile d’affirmer que ce récit se soit déroulé à Bordeaux (beaucoup de réponses, anonymes, sont de Bordeaux et de sa métropole, d’autres viennent cependant d’autres villes comme Paris, Lyon, Nice, Montpellier…). Il a été recueilli via le questionnaire en ligne piloté par Camille Contré pour le Planning familial 33 qui mène une étude afin de « réduire les violences sexistes, sexuelles en milieu festif, et favoriser le repérage et la prise en charge des situations de violences ».
Lancé début novembre, et toujours ouvert jusqu’à fin décembre, il a recueilli 178 réponses. Quand la jeune fille se fait rattraper in extremis par son amie dans le témoignage précédent, 23 autres rapportent avoir été victimes d’un viol – défini comme un acte de pénétration sexuelle commis avec violence, contrainte, menace ou surprise.
« J’étais à l’anniversaire d’un ami dans une salle des fêtes, j’avais trop bu, je dormais dans le camion de ma meilleure amie avec elle et une autre amie, comme je ne me sentais pas bien elles m’ont aidé à aller me coucher, en prenant soin de refermer le camion derrière elles. Le lendemain je me suis réveillée avec le pantalon à l’envers, je n’ai pas fais le rapprochement sur le coup. J’avais honte, je ne comprenais pas… »
La suite détaille un viol sur une personne alcoolisée, ce qui peut être qualifié de « viol par surprise ». Un autre témoignage rapporte un fait de Stealthing, une violence sexuelle méconnue :
« J’ai vécu un retrait de préservatif sans que je ne sois prévenue. J’ai appris cette année qu’il s’agissait d’un viol. »
Frotteur
Les bars, les discothèques, les concerts et les festivals sont en haut du tableau des lieux où les violences se comptabilisent. Il y a également les soirées étudiantes ou entre amis. Certains témoignages cochent plusieurs cases et d’autres répètent avec lassitude les mécanismes d’agression.
» Le fameux “je me frotte à toi par derrière en te prenant par la taille” qui m’est arrivée plusieurs fois. »
« J’ai senti quelqu’un derrière moi, un gars à peine plus âgé que moi avec son pote. Il se collait à moi pour que je sente son sexe sur ma fesse ».
« … les soit disant “dragueurs” sur la piste de danse, les frotteurs, les mecs bourrés, les relous… »
« En boîte de nuit, la main au niveau de mes fesses sans mon autorisation. »
Les agressions atteignent leur summum sur le registre du sexisme. Propos (67%), injures (55%), comportement (65%) : le panel bat des records en manière d’outrage.
« La situation qui m’est arrivée le plus souvent (en tant que victime ou témoin) concerne les agressions et harcèlement, de la part de mecs cis qui, une fois qu’on leur répondait en leur disant d’arrêter, commençaient à avoir des injures/propos sexistes. »
« Propos sexistes en discothèque ou dans les bars, rendus banals, ainsi que des regards intimidants. »
« Pute, salope… chuchoté quand tu danses en boîte hétéro. »
Les outrages sexistes sont ainsi en forte recrudescence. Deux ans après la promulgation d’une loi en 2018 créant des infractions spécifiques, ce délit désormais recensé par les forces de l’ordre enregistre depuis lors une augmentation de 74% dans l’Hexagone.
Sans relou
A travers cette étude, le Planning familial 33 entend proposer un protocole à tout le milieu festif à partir de 2021, en Gironde voire en Nouvelle-Aquitaine. Communication en amont, prévention et sensibilisation du public, formation des organisateurs et bénévoles, prise en charge, celui-ci s’inspire du plan Sacha, mis en place en Belgique depuis 2018.
Les données de l’étude locale sur la prise en charge des victimes après une agression faisant état de nombreuses lacunes, ce protocole suggère la création d’une « zone sans relou » ou « safe zone ». Selon les conclusions du questionnaire, 79% des personnes s’y rendraient en cas de violences.
« Prévenir la sécurité ou les organisateurs ne m’est pas venue à l’esprit car il s’agissait de violences qui sont malheureusement fréquentes donc banalisées, et pas considérées comme devant être remontées aux oreilles des organisateurs », détaille une victime après une agression.
A noter le travail de nombreuses associations nationales : Consentis, et son groupe Facebook BienVeillance, accompagne les acteurs de la vie festive et sensibilise sur le terrain autour du consentement. Serein.e.s travaille avec différents publics et organisateurs d’événements pour créer des espaces d’échanges et d’écoute.
Des citoyens s’organisent par ailleurs. A Bordeaux, le groupe Facebook Solidaires Jamais Solitaires propose de faire raccompagner ses membres par des personnes de confiance.
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