Alerté par des riverains en 2019, Jacques-Eloi Duffau est intervenu trop tard pour sauver la cinquantaine de grands pins d’une forêt sur le point d’être rasée à Aubiac, dans le Sud-Gironde.
« Il ne reste aujourd’hui plus que deux de ces arbres magnifiques, vieux de 150 ans et hauts de 30 mètres, comme on en voit pratiquement plus puisqu’ils sont coupés à l’âge de 20 ou 30 ans, raconte cet amoureux de la nature de 72 ans. Mais il y avait encore toute une chênaie et une châtaigneraie. Je suis venu sur le site et j’ai acheté du jour au lendemain, au prix fort. Cette parcelle de 8 hectares se serait vendue moins de 40000€, j’ai déboursé 55000€, mais je m’en foutais. »
Fondateur d’une entreprise de fluides industriels basée à Talence qui porte son nom, et dont s’occupe désormais son fils, Jacques-Eloi Duffau investit désormais dans l’écologie.
« J’ai toujours été sensible à l’environnement, dont j’ai pu voir la dégradation toute ma vie, confie-t-il. Je suis originaire d’un petit village du Lot-et-Garonne où je chassais et pêchais, où l’arrivée de l’agriculture intensive dans les années 60 a été une catastrophe. C’est facile de critiquer les hommes politiques, mais si les particuliers n’engagent pas aussi leur responsabilité, rien ne changera. »
« Je le fais parce que ça urge »
Grâce au réseau de naturalistes de la Sepanso, association dans laquelle il est engagé, le mécène achète des « espaces naturels en péril » :
« Je ne suis pas Crésus, mais j’ai vendu un appartement à Arcachon qui était devenu invivable, et j’ai investi plus de 300000€. La biodiversité a une valeur extraordinaire, cela les vaut largement ».
Outre cette forêt dans le Bazadais, il a ainsi fait l’acquisition de 40 hectares près de Belin-Béliet, au bord de la Leyre, une « magnifique zone d’étalement de la rivière, où on trouve des loutres et des cistudes ».
« Là encore les propriétaires étaient en train de tout couper, et voulaient encore sortir 150 chênes au moment de la vente. J’ai dit non, j’achète au prix fort, c’est terminé ! Le problème c’est que la sylviculture pratiquée à l’heure actuelle esquinte tout. On passe du matériel qui broie tout sur son passage, et il ne reste plus une grenouille. »
Jacques-Eloi Duffau fait tout ça « parce que ça urge et qu’il faut bien mettre des barrières en attendant qu’on comprenne qu’il faut s’engager dans une transition ». Pour affirmer cette décision sur le temps long, le propriétaire forestier vient de signer avec le Département de la Gironde un contrat ORE (obligation réelle environnementale), premier du genre en Nouvelle-Aquitaine.
« C’est l’engagement d’un citoyen qui se fait aider par la République pour affirmer cette décision sur un temps long. Car après moi, qui va s’en occuper ? Dans 10 ans, je ne serai peut-être plus là, mes enfants voudront peut-être vendre… Les pouvoirs publics vont pouvoir assurer sa protection. »
Donnant-donnant
Ce contrat sera en vigueur pendant 99 ans, indique Jean Touzeau, vice-président de la Gironde en charge de la valorisation du patrimoine environnemental et touristique :
« Ce bien qui lui appartient et qu’il peut léguer aura toujours une destination d’espace naturel sensible (ENS). C’est un accord donnant-donnant : le propriétaire a des obligations – il ne peut pas utiliser des produits phytosanitaires ou des fertilisants, ni faire circuler des véhicules motorisés ou toucher au réseau hydrographique. En contrepartie, le département classe la forêt parmi ses 4500 hectares en ENS, ce qui la protège totalement, en assure la gestion et l’entretien, en installant par exemple des haies ou des murets, et mène des analyses. »
Un recensement de la faune et de la flore dans la forêt et dans les deux ruisseaux qui la traversent a ainsi établi la présence de la couleuvre à collier, de salamandre ou encore des dernières écrevisses à patte blanche de Gironde.
« L’intérêt c’est qu’on pourra sensibiliser les enfants », reprend Jacques-Eloi Duffau, qui veut aussi y faire un espace de formation à l’agroforesterie. Alors qu’il s’apprête à conclure un autre contrat de protection pour sa forêt au bord de la Leyre, il espère désormais convaincre d’autres propriétaires de l’imiter. Du côté du département, on signale justement que son initiative a « fait tâche d’huile », et que d’autres ORE pourraient être établis dans le Médoc.
« La plus belle donation, c’est de donner en héritage du vivant », salue Jacques-Eloi Duffau.
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