Fallait-il dire stop ou encore à la Rue bordelaise condamnée pendant sa campagne par le candidat écologiste ? Confronté à ce « choix binaire », Pierre Hurmic, devenu maire, n’a pas voulu « stopper une locomotive en marche », lancée par l’EPA (établissement public d’aménagement) Euratlantique.
Ce choix aurait été selon lui « grave et lourd de conséquences » : il aurait coûté aux contribuables bordelais et métropolitains 100 millions d’euros, correspondant principalement aux indemnités pour l’achat du foncier par Apsys, le promoteur privé sollicité par Euratlantique pour transformer la rue Saget et les ilots voisins en centre commercial.
Pas de doute pour l’avocat Hurmic : dans son droit (lire ci-contre), Apsys aurait poursuivi la ville et gagné. Or 100 millions, un tarif « plancher », indique le maire, c’est « un peu plus que le budget d’investissement annuel de la Ville de Bordeaux » et cela aurait « doublé le déficit public du projet Euratlantique », couvert contractuellement par l’Etat, Bordeaux Métropole, et les villes de Bordeaux, Bègles et Floirac.
Et cela aurait eu des « conséquences en chaines sur les aménagements structurants » portés par l’EPA : transformation en boulevard urbain des berges autoroutières rive gauche, création de pistes cyclables et de trottoirs sur le pont Saint-Jean, ou encore des projets urbains sur Bègles et Floirac… D’où l’hostilité de ces deux villes, comme de la métropole, à la remise en cause du projet.
« Nouvelle trajectoire »
Elles ont en revanche soutenu la « nouvelle trajectoire » voulue par Bordeaux pour cette rue commerciale entre la gare et la Garonne. « Une solution rapide ne pesant pas sur le bilan », selon Pierre Hurmic. Un conseil d’administration de l’EPA – que le maire de Bordeaux préside depuis le 16 octobre mais dont le véritable patron est le directeur général nommé par l’Etat – a approuvé ce mercredi les aménagements demandés au promoteur Apsys.
A l’issue de semaines de négociations entre la mairie, l’EPA et Apsys, ce vaste projet de 67000 m2, dont 25000 de surfaces commerciales, sera amendé à la marge – il n’est pas question de revoir fondamentalement le modèle économique de mall porté par quelques grosses franchises internationales.
Les espaces voués au commerce ont été amputés de 1000 à 2000 m2, remplacés par des locaux dédiés à l’économie sociale et solidaire (soit l’équivalent de la surface de vente du futur projet ïkos), avec un choix d’attribution revenant à la Ville. Une maison des associations de 800 m2 verra également le jour.
20 millions de surcouts
Parmi les « évolutions positives » relevées par la mairie et l’EPA, le parc Descas – 2 hectares en face du château éponyme – sera réalisé 3 ans plus tôt que prévu, et livré avant 2025, quand la Méridienne (le nom donné par Apsys à sa rue commerçante) le sera en 2027-2028. Un parc nourricier – 1200 m² de fermes et jardins associatifs – jouxtera cet espace vert, à l’emplacement actuel des échangeurs routiers.
Apsys créera 50% de logements en plus (6200m2 au lieu de 4000 m² à 6200 m², soit un total d’environ 90 logements, dont 35% sociaux) en lieu et place de surfaces réservées à des hôtels. Il réduira de moitié le nombre de places de stationnement (500 places contre 1 000 initiales), se conformant ainsi à l’avis critique de l’Autorité environnementale. 250 places représentant 8000m2 seront transformées à terme en espace de logistique urbaine.
Alors qu’Apsys prévoit d’investir 450 millions d’euros (50 millions seront à la charge de l’EPA), ces surcouts devraient s’élever entre 10 et 20 millions d’euros, entièrement à la charge du promoteur.
Redoutant la colère des commerçants bordelais malmenés par la crise, et afin de réfléchir à la place du commerce en ville à l’horizon 2030, Pierre Hurmic a par ailleurs annoncé la création d’un comité des enseignes associant les collectivités, la CCI, la Chambre des Métiers et de l’Artisanat. Apsys sera engagée « contractuellement à produire régulièrement des études de positionnement et d’impact sur le tissu commercial existant » devant elle, En amont et pendant toute la durée de vie du projet, il orientera sa programmation commerciale.
Contre-pouvoir
Cette dernière, précise la mairie devra être « centrée sur la réponse aux besoins quotidiens du quartier » et « privilégier des commerces qui ont quasiment disparu du centre-ville de Bordeaux obligeant ses habitants à prendre leur voiture pour fréquenter des zones commerciales périphériques. » Et, par exemple, leurs magasins de bricolage, de puériculture ou d’ameublement.
« Le promoteur a accepté de jouer la transparence, se félicite Pierre Hurmic. Même si le dernier mot lui appartient, je le vois mal aller à l’encontre de l’avis de ce comité, d’autant qu’il pourra s’adjoindre les éclairages d’un comité d’expertise. C’est un contre-pouvoir qui n’était pas prévu au départ. »
Enfin, la mairie a demandé des garanties sur l’usage public de la rue. Celle-ci sera une propriété privée mais elle devra être ouverte « 24h/24, 7 jours/7 » :
« C’est la garantie d’un quartier ouvert et intégré à la ville à l’opposé de la privatisation de l’espace public comme cela a été fait pour la promenade Sainte-Catherine », relève la Ville.
Pour le maire, ne pas avoir renversé la table donne des marges avec Euratlantique sur les projets à venir, comme Amédée Saint-Germain, où la Ville et les riverains veulent plus de parcs et moins de béton.
« Cet accord sur la Rue bordelaise permet de stabiliser la trajectoire financière d’Euratlantique, selon son directeur général par intérim, Alexandre Villatte. Nous allons entamer une période de concertation sur Amédée et sans cet accord, on aurait été plus restrictif dans nos capacités d’écoute et d’accompagnement. »
Reste à voir quelles seront les conséquences politiques pour Pierre Hurmic. Critiqué sur sa gauche pour un « manque de courage » et sur sa droite pour son « sectarisme », le maire écologiste prie que la Rue bordelaise (elle ne devrait finalement pas porter ce nom là) n’apparaisse pas comme un recul iconique.
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