L’ancien maire (Les Républicains) de Bordeaux était pour, le candidat marcheur contre. Mais dans leur accord pour le second tour des municipales, Nicolas Florian et Thomas Cazenave s’étaient engagés à revoir profondément la Rue bordelaise, rejoignant ainsi Pierre Hurmic, hostile au projet.
Aujourd’hui, les deux hommes, sur les bancs de l’opposition, critiquent le choix du nouveau maire de ne pas faire barrage à cet axe commercial entre la gare et la Garonne, sur le territoire d’Euratlantique. Le conseiller municipal Renouveau Bordeaux rappelle qu’il n’était « pas contre l’idée de refaire ce quartier de la gare ».
« En revanche, poursuit-il, le parti pris urbanistique de la Rue bordelaise, avec ses 25000m2 de surface commerciale ne correspond plus à la manière dont on fait la ville. Il fallait donc mener le combat avec plus de vigueur. »
Rendre les armes
A l’instar de l’ancien maire, il juge que Pierre Hurmic avait plus de marges de manoeuvre qu’il ne veut le dire pour renégocier avec Apsys, le promoteur commercial, et l’EPA Euratlantique, dont l’édile a pris la présidence en octobre dernier.
« Oui c’est une opération d’intérêt national mais les maires du territoire sont dans la gouvernance, et celui de Bordeaux préside le conseil d’administration, rappelle Thomas Cazenave. On peut diligenter une inspection, regarder les conditions juridique, peut être diligenter un audit sur les conditions réelles d’équilibre financier du projet… Je trouve que Pierre Hurmic a rendu les armes bien vite sur ce qui était pour lui un dossier totémique, et que ça renvoie hélas à une forme d’impuissance publique. »
Le maire de Bordeaux avait cependant une fenêtre de tir très étroite entre son entrée au conseil d’administration, qui lui a permis d’accéder aux informations sensibles dont les élus bordelais étaient tenus écartés, et la date limite fixée par la direction de l’EPA pour arrêter son choix – le conseil d’administration du 20 janvier 2020. Fabien Robert, ex premier adjoint de Nicolas Florian, pose pourtant l’alternative suivante :
« Soit Pierre Hurmic a sciemment menti pendant toute la campagne électorale car il disposait en réalité de toutes les informations sur ce projet, soit il ne connaissait pas le dossier et il a été convaincu par ses porteurs de l’absolu nécessité de rénover ce bout de quartier extrêmement dégradé et de lui redonner vie. »
Bordeaux Ensemble, le groupe de l’ancienne majorité municipale, ouvre le procès en duplicité du nouveau maire :
« Dire que tout était fait et signé dans l’opacité est un mensonge, assène Nicolas Florian. Nous avions pris la précaution avec l’EPA de ne rien figer formellement avant les élections et l’équipe en place n’est pas liée par un engagement formel : il n’y avait pas de permis de construire délivré et il devait y avoir une mise en conformité du plan local d’urbanisme. Si Pierre Hurmic avait voulu l’arrêter, il était en capacité de le faire. »
100 patates
Ce dernier affirme au contraire avoir découvert sur le tard que le projet était « très avancé ». Ainsi, la nouvelle équipe municipale réalise après avoir eu accès aux documents de l’EPA que la troisième étape du protocole entre l’EPA et Apsys a été validée en décembre 2019, lors d’un CA d’Euratlantique, alors présidé par Elizabeth Touton, adjointe à l’urbanisme de Nicolas Florian, puis actée le 9 mars 2020, une semaine avant les municipales.
Conséquence de ce passage en phase 3 : une indemnisation de 17 millions d’euros garantie à Apsys en cas d’arrêt du projet. Comment la mairie parvient-elle au montant de 100 millions justifiant son feu vert à la Rue bordelaise ? S’ajoutent à ces 17 millions 80 autres d’acquisitions foncières, 30 d’études et de travaux, plus 6 de frais de portage.
De ce total de 133 millions d’euros, la Ville déduit 30 millions correspondant aux recettes « en cas de programme 100% logement (scénario le plus rémunérateur de tous les programmes hors commerce) », indique-t-elle à Rue89 Bordeaux.
« L’ impact financier pour l’EPA serait donc de 103 millions d’euros, somme à laquelle peuvent s’ajouter des indemnités contentieuses non estimables à ce jour. Sans oublier l’impact sur la trésorerie de l’EPA estimé à 50 millions d’euros (correspondant à la somme immobilisée pour le foncier). »
De bon conseil
Les 103 millions d’euros auraient pesé sur les contribuables bordelais, mais aussi métropolitains. Le maire de Bordeaux s’est donc retrouvée isolé face à ses collègues, y compris de Bègles et Floirac, qui bénéficient des travaux d’Euratlantique, face au promoteur Apsys et face au gouvernement.
Thomas Cazenave, qui en est issu – il était délégué interministériel avant de se lancer à l’assaut de la mairie de Bordeaux -, aurait-il pu renverser la vapeur ? Il regrette en tous cas que le maire n’ait pas cherché son appui.
« Pierre Hurmic se plaint de n’avoir jamais eu connaissance de ce projet en conseil municipal. Pourquoi donc ne pas en avoir débattu sous sa mandature ? Le fait d’avoir de la transparence et le soutien des élus l’aurait peut-être aidé. »
Ou pas… Les échanges qui s’annoncent ce mardi lors du conseil municipal le confirmeront peut-être.
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