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Le squat de la Zone libre évacué, 300 personnes expulsées et dispersées

A 6 heures ce jeudi matin, la préfecture a évacué le squat de Cenon, où vivaient 300 personnes environ. Quelques dizaines d’entre elles ont accepté de monter dans des bus en partance pour les quatre coins de Nouvelle-Aquitaine, une centaine d’autres ont tenté de se réfugier à la cathédrale de Bordeaux. La Ville les accueille provisoirement à l’Athénée municipal, dans l’attente de vraies solutions de l’Etat.

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La Zone Libre a vécu. Dès 6h ce jeudi matin, les forces de l’ordre ont bouclé l’ancienne résidence Paul-Ramadier, à Cenon, interdisant toute entrée et pressant les occupants à faire leurs bagages et à évacuer les lieux. Il y a là 150 policiers et gendarmes, soit « un pour deux personnes », calcule Brigitte Lopez, du collectif de soutien, qui ne décolère pas.

« Enéal, propriétaire des lieux, avait dit que rien ne se ferait ici avant plusieurs années, alors où est l’urgence de jeter dans la rue, dans le froid, 300 personnes ? »

La préfecture de Nouvelle-Aquitaine n’en recense elle que 120, mais un tiers des occupants, sans papier sous le coup d’une OQTF, a quitté les lieux depuis mercredi, lorsque l’annonce de l’expulsion a été officialisée.

Si l’opération est menée en douceur (exceptés quelques lacrymogènes projetés sur des militants opposés à l’expulsion), le réveil est raide pour ceux restés sur place, dont de nombreuses familles – 80, d’après le collectif de soutien. Elles n’ont en effet appris que la veille, tout comme les associations et les collectivités locales, qu’elles devraient partir.

« Je peux dormir dans ma voiture »

Chargées de valises et de sacs de courses, des bébés dans les écharpes ou les poussettes, elles sortent sur le parking du centre commercial de la Morlettte. Michael charge une voiture pour déposer sa femme et ses quatre enfants – tous scolarisés – dans un centre d’hébergement où il n’y a pas de place pour lui. « Je vais me débrouiller, je peux rester dans la nature ou dormir dans ma voiture », dédramatise-t-il.

Les larmes aux yeux, Nino quitte plus désemparée un logement où elle vivait depuis l’ouverture du squat novembre 2019.

« La police me proposait de partir à Toulouse mais mes enfants sont scolarisés ici, mon fils au collège à la Bastide, ma fille en maternelle à la Benauge, alors je veux rester à Bordeaux. »

En France depuis 10 ans, cette trentenaire originaire de Géorgie, n’a pas encore ses papiers et craint de ne pas se voir proposer un « logement pérenne » – l’Etat n’est en effet tenu d’héberger que les demandeurs d’asile et réfugiés, et dénombre 22 familles dans cette situation.

Destination inconnue

Comme Nino, beaucoup refusent donc de monter dans les neuf cars affrétés par la préfecture et en partance vers les villes de toute la Nouvelle-Aquitaine, dont Guéret ou Parthenay, à 3 heures de Bordeaux. Des agents de la préfecture demandent leur situation à deux jeunes qui semblent chercher un bus. Ils ne comprennent pas la question, secouent la tête. « Montez dans le car pour Limoges », leur est-il répondu.

« Au total, 58 personnes ont accepté la proposition d’hébergement faite par l’État, indique un communiqué de la préfecture publié dans l’après-midi. Ce sont 230 places (122 hors Gironde, 108 en Gironde) qui avaient été réservées dans 9 des 12 départements de la région Nouvelle-Aquitaine. (…) Toutes les personnes qui le souhaitaient se sont donc vues proposer une solution de mise à l’abri. Des masques, du gel et des paniers repas leur ont été distribués. »

La préfecture affirme que « certaines associations présentes sur les lieux ont dissuadé les personnes évacuées d’accepter les propositions d’hébergement allant jusqu’à tenter de les récupérer dans les bus ». Ce que les militants concernés assument, afin de ne pas laisser se « disperser dans la nature » des familles qui ont bien entamé leur processus d’intégration dans la métropole bordelaise, et qui risquent de se retrouver rapidement dehors :

« Un hébergement pérenne, c’est aussi ce que promettait la préfecture aux trois familles expulsées d’un squat lundi dernier à Bordeaux, et après trois nuits d’hôtel elles sont à nouveau à la rue », fustige Brigitte Lopez.

Aussi, les associations (collectif Bienvenue, Médecins du Monde, Secours catholique…) on en effet incité ceux dont la situation administrative était la plus délicate à ne pas partir. Dans un communiqué diffusé ce jeudi soir, ils dressent ainsi le bilan des évacuations :

« Les familles en demande d’asile ont été envoyée vers un CADA. Comment ne pas être étonné qu’il ait fallu attendre une expulsion manu militari pour que l’Etat réponde à ses obligations.Les personnes avec des titres de séjour ont été orientées sur des dispositifs à Angoulême, niant
ainsi leurs démarches d’insertion sur la métropole bordelaise. Près d’une quarantaine de personnes sont montées dans des bus pour Guéret et Limoges, où ils vont bénéficier d’un hébergement d’urgence puis orientées sur des dispositifs correspondant à leur situation sociale ; nombre d’entre eux ont des droits incomplets et ont de grand risque de
recevoir des Obligations de quitter le Territoire, alors qu’ils cherchaient asile et protection en France. Cet éloignement forcé brise volontairement les liens de solidarité tissés localement. »

Nouveau chapitre

Depuis mercredi, leurs bénévoles se démènent de leur côté pour loger certaines familles chez des hébergeurs solidaire. Ce jeudi matin, celles toujours sans solution ont rejoint le parvis de la cathédrale de Bordeaux, que le collectif envisage alors d’occuper – une « action choc » afin de replacer la question de l’hébergement au cœur de la métropole, et de gagner un écho médiatique approchant celui de l’église Saint-Bernard.

Finalement les portes de Saint-André, qui devaient ouvrir à 10h pour la messe, restent closes. Consulté, le diocèse a estimé être « incapable d’y héberge correctement des familles » :

« Il n’y a par exemple qu’un seul WC, et il n’est pas accessible à cause d’un chantier dans la sacristie, justifie le père Samuel Volta, vicaire général du diocèse. Quand on parle de dignité des personnes, celle-ci n’était ici pas garantie. »

Pendant ce temps, depuis la mairie de Bordeaux arrivent du café et des couvertures de survie dans lesquelles s’enroulent les enfants et les aînés. Adjointe en charge des cohésions sociales, Harmonie Lecerf a une conversation téléphonique animée avec la directrice départementale de la cohésion sociale (DDCS) :

« Pouvez-vous me confirmer que l’Etat ne fera rien de plus pour ces gens qui n’ont pas voulu monter dans les bus ? Vous savez bien qu’avec des enfants, on ne part pas à 6 heures du matin sans savoir où aller ! Vous mettez ces gens en situation d’échec. Si l’expulsion avait été bien organisée, il n’y aurait pas 100 personnes avec des bébés, sur la place Pey-Berland ! »

Une expulsion pour raison sanitaire

La mairie décide donc d’ouvrir l’Athénée Municipal, où les personnes vont être provisoirement mises à l’abri. De son côté, Philippe Barre, le patron de Darwin, promet l’ouverture de 50 places d’hébergement dans l’ « écosystème ».

Ce midi, des colis alimentaires sont distribués à l’Athénée aux 34 familles présentes. Avec l’appui des militants associatifs et politiques révoltés par la situation, mais sans celui de l’Etat, que la Ville presse de mener « un diagnostic social en partenariat avec le CCAS de Bordeaux, pour que des solutions acceptables soient trouvées avant le couvre-feu de 18h ».

Lors d’un point presse informel à Cenon, près de la Zone Libre, Delphine Balsa, directrice de cabinet de la préfète de la région rappelait que « l’ordonnance du juge de janvier 2020 validant l’expulsion comportait la levée de la trêve hivernale ». Elle justifiait l’évacuation du squat par « les conditions de sécurité et de santé préoccupantes », mais aussi son timing :

« Dans une période où ici, les indicateurs de crise sanitaire sont en retrait, nous effectuons cette opération pour prévenir aussi l’arrivée des virus variants. »

Mettre tout le monde autour de la table

Présente au rassemblement devant la cathédrale, Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique critique au contraire « une folie en pleine trêve hivernale et pandémie ».

L’ancienne adjointe d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux, qui depuis la veille tente d’actionner ses réseaux dans les ministères de la santé et du logement, se dit « scandalisée par cette évacuation pas du tout préparée », qui a « détruit en une nuit » le processus d’intégration amorcé par certains.

« La préfecture de la Gironde [dirigée par Fabienne Buccio, qui a fait évacuer la “jungle” de Calais en 2016, NDLR] considère les associations comme des activistes et des ennemis, pas comme des partenaires potentiels. Or il n’y a pas de solution miracle pour un problème comme celui-ci, il faut mettre tout le monde autour de la table. »

En fin d’après midi, la DDCS devait effectuer un recensement des personnes présentes à l’Athénée, où il n’était pas envisagé qu’elles passent la nuit, faute de de lits et de douches. Un accueil à Barbey et dans un gymnase est à l’étude.

Par ailleurs, « tous les occupants ont pu récupérer leurs affaires personnelles avant de quitter » le squat, précise la préfecture. « Le reste des biens a été stocké dans un garde-meubles par l’huissier de justice pour une durée maximale d’un mois comme le prévoit le cadre réglementaire applicable ».

Enéal va désormais pouvoir mener sur place le projet immobilier envisagé avec le promoteur Pichet, qui prévoit la construction de plus de 200 logements.


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