Edwige Diaz ne veut plus entendre parler d’extrême-droite. « Je ne vais pas vous empêcher de le dire, mais je ne m’y reconnais pas », prévient-elle. A cette « nuance » lourdement connotée, elle oppose ses mots à elle – tolérance, écoute, camaraderie… – pour parler du terrain qu’elle dit connaître « bien plus que d’autres ».
Et pour décrire les réunions avec les sympathisants et louer l’ambiance qui y règne, elle décrit « des gens comme vous et moi, ce ne sont pas des nazis » : le tatouage arboré par un cadre girondin du RN était selon elle un symbole celtique avant d’être récupérer par une division SS, et elle met en avant ses études d’hébreu.
Bref, « le Rassemblement national est un parti républicain avant tout » et sa secrétaire départementale en Gironde s’époumone à le rappeler… tout en martelant les messages essentiels du parti sur la sécurité et l’immigration, deux thèmes qui ne relèvent pourtant pas des compétences du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, qu’Edwige Diaz, 33 ans, aspire à présider.
Elle annonce néanmoins qu’elle augmentera si elle est élue le nombre d’agents de sécurité dans les lycées ou les TER ou encore qu’elle coupera les subventions aux « associations immigrationnistes » comme SOS Méditerranée, financée à hauteur par la Région Nouvelle-Aquitaine (le tribunal administratif a débouté en novembre dernier le RN d’un recours intenté en 2018 contre cette aide de 50000 euros).
Les régionales, simple étape pour Marine ?
Des propositions du RN entendues partout ailleurs, notamment en Ile-de-France avec le candidat Jordan Bardella. Et une position radicale sur la sécurité illustrée par la visite de Marine Le Pen au commissariat de Bordeaux, où la députée a été reçue par le DDSP, le jour de la manifestation des policiers devant l’Assemblée nationale. D’ailleurs, la patronne du parti est partout, notamment sur la camionnette de campagne d’Edwige Diaz. Alors, les régionales dans tout ça ?
« C’est une étape importante pour préparer la victoire de Marine Le Pen à la présidentielle », assume sa candidate en Nouvelle-Aquitaine, et membre du bureau national du parti.
Connue de seulement 10% des personnes interrogées dans un récent sondage, la Girondine bénéficie à plein de l’effet Marine : dans ce Sud Ouest qui était encore une terre de mission pour l’extrême-droite il y a 10 ans, cette même enquête la donne au coude à coude avec Alain Rousset : 25% pour ce dernier et 24% pour Edwige Diaz au premier tour, donnée à 26% (et battue) au deuxième.
Le clan des Girondins
Actuellement conseillère régionale et municipale à Saint-Savin, petite commune qu’elle a tenté l’an dernier de ravir au socialiste Alain Renard, Edwige Diaz aura du mal à gagner la région, à moins d’un séisme à gauche. Mais elle peut espérer faire mieux que Jacques Colombier en 2015 (un peu plus de 23% au premier tour, un peu moins au deuxième).
« Edwige Diaz est une bosseuse, qui a une puissance de travail et un esprit de synthèse assez remarquable, elle est à l’écoute des adhérents, comprend et tranche », salue ce dernier.
Jacques Colombier, 69 ans, a mis le pied de la jeune femme à l’étrier, qui lui a succédé à la tête de la fédération de Gironde. Il l’a également embauché comme assistante parlementaire lors de son bref mandat de député européen, de 2018 à 2019 – selon nos informations, le duo n’est pas visé par l’enquête pour emplois fictifs visant les parlementaires du RN et leurs attachés.
Aujourd’hui, le président sortant du groupe RN au conseil régional (dont Edwige Diaz est vice-présidente) sera tête de liste pour les régionales en Dordogne. Sa belle soeur Caroline Colombier sera elle chef de file en Charente, tandis qu’Edwige Diaz a imposé un de ses proches, Olivier Guibert, conseiller municipal de Saint-Yzan-de-Soudiac (Gironde), dans les Deux-Sèvres.
Un autre Girondin, Michel Dufay (70 ans), candidat aux municipales à la Teste-de-Buch l’an dernier, dirige quant à lui la liste aux régionales dans les Landes, dont il a récemment pris la fédération en main. Les chefs de file ont été présentés à la presse ce mercredi au Cap Ferret, en présence de Marine Le Pen.
Probité
Mais ces investitures ont provoqué des remous au sein du parti dans les départements concernés. Dans les Landes « 100 % des membres du bureau ont démissionné » le 16 janvier dernier, assurait dans Sud Ouest l’ex délégué départemental Christophe Bardin, remplacé sur décision du bureau national.
Edwige Diaz justifiait cette décision par le souhait de « développer l’implantation locale du parti dans les Landes », où on compte moins de 150 adhérents à jour de cotisation, et où la majorité du bureau ne résidait pas dans le département.
A Rue89 Bordeaux, elle évoque aussi « la défense de la probité et de l’intérêt général » dont doivent faire preuve les représentants du RN. Car le délégué départemental des Landes avait été condamné à trois mois de prison avec sursis pour fraude à la TVA et « devait rembourser 320000 euros au fisc » (autour des activités de l’association de sécurité routière agréée pour la formation de personnes handicapées, gérée par Christophe Bardin, et de l’auto-école de son épouse Yveline Brun, ex élue régionale RN).
Touche pas à mon népote
En Charente et en Dordogne, les décisions prises par la commission nationale d’investiture, présidée par Jordan Bardella sur avis d’Edwige Diaz, valent à cette dernière des accusations de « clanisme », voire de « népotisme », de la part des cadres locaux du RN, relégués ou évincés des liste.
« On n’accepte pas ces parachutages en Charente, aussi j’ai décidé de démissionner de mes fonctions de déléguée départementale du RN, rappelle Isabelle Lassalle. les 9 binômes qui étaient constitués pour les départementales ont eux aussi démissionné. On ne peut pas prôner le localisme ou dénoncer les travailleurs détachés et prendre des gens extérieurs, c’est incohérent. »
Arnaud Humbert, délégué départemental dans les Deux-Sèvres, critique aussi « une dichotomie dans le discours de Mme Diaz » :
« Elle défend la démétropolisation et la ruralité, et envoie quelqu’un de Bordeaux au détriment d’un représentant des Deux Sèvres, territoire agricole par excellence. C’est une espèce de parisianisme déconnecté de la réalité. »
Si le délégué départemental de Dordogne Alain Rodriguez est lui aussi encore à son poste – « C’est plus efficace de se battre de l’intérieur » -, et a saisi la commission des conflits du parti, il défouraille contre son propre camp :
« Personne n’est en capacité de gérer la région dans l’équipe actuelle, Mme Diaz en tête. Et le RN n’est pas non plus capable de diriger le pays. Ils préfèrent éliminer tous ceux qui pourraient leur faire de l’ombre, pour les remplacer par des copains. Et il y a un problème de surendettement du parti qui n’arrive pas à payer ses cadres. Donc ils les parachutent un peu partout pour qu’ils soient payés avec des indemnités d’élus. »
Crises d’égos
Les élus régionaux, qui deviennent membres de la commission permanente, bénéficient en effet d’une indemnité de 2600 euros brut par mois. Edwige Diaz minimise ces problèmes :
« En Charente et en Dordogne il n’y a pas de crise dans les fédérations, mais des crises d’ego d’une petite poignée de personnes. Isabelle Lassalle et Alain Rodriguez avaient pensé que parce qu’ils étaient délégués départementaux ils devaient être chefs de file dans leurs départements. Nous avions proposé aux deux d’être troisième sur la liste, et ils auraient été élus car j’envisage de gagner la Région ou de disposer du premier groupe d’opposition. »
Elle appelle ses cadres à « faire preuve de patience et travailler », et prévient qu’elle « ne laissera pas salir le mouvement », se disant prête à poursuivre pour diffamation ceux se laisseraient aller.
Mais ses choix risquent de laisser des traces, prévient Arnaud Humbert. Le délégué départemental des Deux-Sèvres, qui revendique une multiplication par quatre des adhésions, ne digère pas l’arrivée d’Olivier Guibert.
« Il affirme avoir des attaches chez nous du côté de sa belle famille. Mais ma femme est née à Ingwiller et cela ne me rend pas légitime pour aller siéger pour l’Alsace à la Région Grand Est ! On ne l’a pas vu une seule fois dans le département et aucun membre du bureau n’a accepté d’être sur la liste ou de faire campagne. Or pour le RN, la Nouvelle-Aquitaine reste une terre de mission. Pour réussir à s’implanter, cela ne passe que par le maillage territorial et cela ne peut se faire que si c’est incarné par des gens du cru. Pourquoi faire péter un département à huit mois d’une présidentielle ? »
Au doigt et à l’oeil
A priori pas pour des raisons idéologiques. Certes, Alain Rodriguez reproche à Edwige Diaz de faire campagne contre les éoliennes, et Arnaud Humbert estime que la position du RN sur les bassines n’est « pas tenable, car personne n’est pour dans les Deux-Sèvres, où seuls 5 gros agriculteurs y sont favorables ». Mais tous disent se rejoindre sur les fondamentaux du parti, notamment la fidélité au chef, Marine Le Pen.
« Certes je suis plus conservatrice qu’Edwige Diaz, et je pense que le parti évite trop les sujets tabous de laïcité et d’islam pour gommer certaines différences avec la droite et rallier les Républicains, avance Isabelle Lassalle. Mais ce n’est pas le mobile de ces parachutages. Il lui faut s’assurer de la fidélité de personnes qui obéissent au doigt et à l’œil. »
Les chefs de file présentés au Cap Ferret ce mercredi sont ainsi soit des vieux grognards aux ambitions limitées, soit des jeunes qui seront redevables de cette promotion, à l’instar d’Albin Freychet en Haute-Vienne, ou de Sébastien Delbosq en Lot-et-Garonne.
Objectif : se prémunir d’un éclatement du groupe tel que l’a vécu le RN dans la mandature qui s’achève. 9 conseillers régionaux RN sur 29 l’ont quitté suite à des désaccords d’investitures, de management du groupe par Jacques Colombier et Edwige Diaz, ou parce qu’ils ont été victimes de la volonté d’écarter des brebis galeuses comme Yveline Brun ou Vincent Gérard (condamné pour violences en 2012, puis poursuivi pour incitation à la haine raciale, et relaxé pour dépassement du délai de prescription).
« Edwige veut mettre en place une structure afin de pérenniser son assise et d’avoir un rideau de défense qui répond présent sans sourciller, analyse un ancien compagnon de route de la patronne du RN girondin. Des gens qui se sont défoncés et se sont ainsi retrouvés évincés de façon plus ou moins obscure, témoignant d’un certain modus operandi. Et ce n’étaient pas des skinheads ou des anciens d’Assas. Mais ils ont eu une parole malheureuse à un repas ou à un congrès. »
Plafond de verre
Edwige Diaz tente donc d’assurer ses bases en interne, et de séduire largement en dehors du parti. Elle a investi en Charente Nicolas Calbrix, ex candidat aux régionales en Normandie de Debout la France, le mouvement de Nicolas Dupont-Aignan.
Affirmant son « estime » pour Nicolas Florian, elle ne désespère pas de récupérer l’électorat des Républicains, et pourquoi pas de faire de nouvelles prises, après le ralliement de l’ancien député UMP de Gironde Jean-Paul Garraud, candidat RN en Occitanie.
Insatiable, Edwige Diaz est aussi candidate aux élections départementales, et a constitué pour cela un binôme avec un élu étiqueté divers gauche, Alain Montangon. Le maire de Gauriaguet (depuis 1977) juge en effet les Verts « plus dangereux que le Rassemblement national » (presque normal pour un chevènementiste attaché à l’ordre, à la patrie et au nucléaire).
Elue, l’assistante de direction de métier enterrerait en effet la feuille de route de transition écologique Néo Terra, qui selon elle nuit à la compétitivité des entreprises. Elle opèrerait aussi une sélection dans les subventions accordées au secteur culturel, en privilégiant les créations valorisant l’identité française et les bonnes mœurs. Mais il lui faudra d’abord briser un plafond de verre, et ce depuis un plancher qui craque un peu.
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