Le Sababa n’a que ça, une terrasse ! Autant dire qu’au matin de ce 19 mai, c’est l’ensemble de son affaire qui reprend rue Fondaudège où la réouverture était attendue. Depuis une semaine, l’équipe est à pied d’œuvre pour vérifier le stock, contrôler les machines, disposer la terrasse avec les contraintes des tables espacées et prévues pour 6 personnes max :
« Evidemment, il y a des surprises. La machine à café qui fuit, des loupés sur la livraison, des produits périmés et éventés… Mais bon, on s’y attendait de toutes façons. C’est normal après six mois de fermeture, je ne pensais pas retrouver les lieux comme si c’était hier », explique Thomas Labarrède.
Le patron du Sababa reconnaît également être « moins touché que les confrères », qui, pour certains, n’ont pu ouvrir, et pour d’autres, ont du investir une place de stationnement pour installer un espace extérieur.
Effectivement, la mairie de Bordeaux a « décidé de renouveler la gratuité des droits de terrasses jusqu’au 31 août » et « maintenir l’extension des terrasses pour aider à compenser la perte d’exploitation et appliquer la distanciation physique » (voir encadré).
Pénurie de personnel ?
Malgré l’extension, Thomas Labarrède est loin du compte.
« On vient de clôturer le bilan 2020, impacté par 5 mois de fermeture et des jauges réduites en septembre et octobre, et il n’est pas terrible… On ouvre désormais le midi pour espérer rattraper notre chiffre 2021. L’année va être courte et la formule telle qu’elle est aujourd’hui va nous permettre de récupérer 50% de notre clientèle : les tables espacés, tout le monde assis, personne au comptoir… on divise la jauge par deux. »
Mais le tenancier du Sababa concède :
« On a été aidé, il ne faut pas l’oublier, parfois même plus que d’autres professions, même si, sur la fin, on sent que les caisses commencent à se vider. On attend toujours l’aide de mars pour les chômages partiels; »
Thomas Labarrède assure avoir gardé la totalité de l’équipe et embauché « deux personnes assez vite, qui avaient profité du confinement pour changer d’établissement ».
Changer d’établissement pour certains, mais aussi changer de métier pour d’autres. Virginie Alriq, de la guinguette Chez Alriq, peine à compléter ses équipes :
« Nous avons 5 postes de cuisiniers, j’en ai trouvé aucun. On commence la saison sans. Il est difficile de trouver des personnes formées. Selon un formateur, beaucoup ont choisi une reconversion. »
Le fameux spot en bord de Garonne a du s’adapter et miser sur le créneau 16h-21h (actuelle heure du couvre-feu).
« Nous ne sommes pas connus pour le midi et je ne pense pas que la population autour de la guinguette soit en demande d’une proposition de ce genre. On s’est adapté et on s’est tourné vers le gouter et l’apéro, en attendant de retrouver les horaires de juillet qui correspondent à notre concept d’origine. Ce qui important c’est d’ouvrir pour retrouver notre clientèle, mais on mise surtout sur notre programme culturel qui débute le 9 juin. »
Soleil
Place Saint-Michel, Hichem Kaaouachi, gérant du restaurant marocain La Rizana installe tables et chaises pour la réouverture du midi. Les réservations sont complètes :
« J’ai touché des aides. J’ai gardé mes employés : un en salle et deux en cuisine. Mais ça n’a rien de comparable avec une activité normale. Aujourd’hui et demain, nous affichons complet le midi. Heureusement, on a des parasols si la météo se dégrade. Avec la mairie, on a pu bénéficier d’une extension de terrasse. C’est une bonne reprise. Le seul point négatif, ça reste le couvre-feu à 21 heures, qui ne permet pas de faire des réservations pour le soir. »
Quelques pas plus loin, deux étudiants s’installent en terrasse, croissants à la main. En fin de matinée, le choix se porte sur un thé à la menthe. Les pintes de bière, ça sera pour le soir. Face à la Flèche, le salon de thé Au bout du monde n’a jamais vraiment tiré le rideau. Une étudiante raconte :
« J’habite vers les Capucins, donc je venais souvent ici . A défaut de pouvoir rester, j’allais chercher mon thé pour le boire plus loin sur la place. J’attendais depuis longtemps le moment de pouvoir profiter du soleil en terrasse. »
« Un jour festif »
Au soleil justement, où le restaurant italien La Tripletta accueille ses premiers clients déconfinés. Les tables extérieures sont soigneusement espacées et du gel hydroalcoolique trône à l’entrée du restaurant. Pour siroter un Spritz au comptoir, il faudra encore attendre. Nakissa Ovaissi est directrice de l’établissement :
« La vente à emporter ça a bien marché pour nous. Il faut dire aussi que la pizza est un plat qu’on peut faire en quantité, assez rapidement. Nous avons deux antennes à Bordeaux : une à Saint-Michel, et l’autre aux Chartrons. Pour le moment, on fonctionne sans réservations. On verra sur le moment comment gérer le flux. Il y a 38 places dehors, à Saint-Michel. Nous n’avons pas fait de demande pour étendre la terrasse. »
Rue du Port, dans le quartier Sainte-Croix, pas besoin d’attendre le début de soirée pour boire une caïpirinha. Pour marquer le coup, le Central do Brasil est ouvert de midi à 21 heures. Le reste de la semaine, le bar/restaurant sera ouvert de 16h30 à 21h. La dizaine de salariés, en chômage partiel depuis la deuxième confinement, reprend du service :
« Les réservations ne s’arrêtent pas. On est vraiment content de revoir les clients, mais aussi de retrouver une équipe. C’est un jour festif. »
Trouver une place
En fin d’après-midi, vers la place de la Bourse, les festivités montent d’un cran et les serveurs multiplient les allers-retours. Scrutant une terrasse, un client lâche : « c’est surplein ! », son comparse lui répond : « On dirait qu’on a gagné la coupe du monde ! »
Planté devant le Charles Dickens, un groupe d’étudiants attend que des chaises se libèrent. C’est peine perdue. A plus de six, il faut se séparer. « Il y a deux options : il faut avoir l’œil ou de la patience », témoigne l’un d’eux. Parmi ceux qui ont la chance d’être à une tablée, certains ont fait l’ouverture, à 16 heures, et comptent bien rester jusqu’au couvre-feu.
Retour place Saint-Michel en fin de journée. Alors qu’une fanfare vient d’arriver, le temps n’est pas à la distraction pour les serveurs. Au Beer Box, place Canteloup, le terminal des cartes bleues ne fonctionne plus. Batterie épuisée. Ouvert depuis midi, la petite équipe enchaîne. Un quart d’heure avant le couvre-feu, les clients sont priés de partir. Des gobelets pour finir les pintes sont distribués.
Devant le HMS, à côté de la place de la Victoire, l’apéro traîne. Un fond de verre à la main, des groupes d’amis veulent poursuivre la soirée. Dans les bars et restaurants, l’heure est à la plonge et au rangement des terrasses. « A demain ! « , lance une serveuse aux derniers passants. Mais ce jour de fête ne semble pas terminé.
Jour de fête ?
Jour de fête pour tout le monde ? Rue Fondaudège, une riveraine se souvient du premier déconfinement : « Sans l’extension, le Sababa faisait un bruit de dingue, alors imaginez avec ». Il y a un an, les plaintes étaient tel que la mairie a du retirer l’extension à l’établissement.
« Sur 10 voisins autour, il y en avait 8 qui étaient chez nous et les 2 autres qui râlaient chez eux », ironise Thomas Labarrède. Le patron se veut conciliant et assure avoir corrigé le tir après des analyses du bruit :
« On a pris des mesures avec l’installation de panneaux phoniques à 12000€ pour être dans les règles. On est conscient qu’il y a des familles avec des enfants, mais il y a aussi des gens ravis d’avoir un peu de vie. Quand on baissait la musique, ils continuaient leurs discussions animées. On n’y peut rien. »
A noter que le couvre-feu oblige pour l’heure les établissements à baisser le rideau à 21h. Puis 23h à partir du 9 juin. Et après la fin du couvre-feu annoncé le 30 juin ? « Ecoutez, pour l’instant, le verre est à moitié plein » lâche Thomas Labarrède.
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