Elle s’appelait Chahinez. Elle avait 31 ans. Elle est la 39e victime d’un féminicide cette année. Mercredi 5 mai en fin d’après-midi, entre les rubalises de police et les décombres de l’incendie, des fleurs et des bougies ont été déposées devant la maison de la jeune femme, avenue Carnot à Mérignac. 400 personnes ont répondu présentes à l’hommage organisé par le collectif NousToutes33.
Recueillement
Dans la rue, certains enfants jouent. D’autres, plus âgés, pleurent. Parmi la foule venue se recueillir, il y a l’instituteur de Mélissa, la fille de Chahinez. Ce matin à l’école du Burk, il a fallu trouver les mots :
« Accompagné du psychologue scolaire, on a dialogué avec les enfants. Leurs questions se sont plutôt portées sur leur camarade : où est-elle maintenant ? Va-t-elle revenir à l’école ? Ils n’ont pas beaucoup parlé de la violence des faits, comme si la mort est quelque chose dont ils avaient l’habitude, sûrement dans un contexte actuel où elle est assez présente : dans les jeux vidéos, sur les réseaux sociaux, à la télévision… Mais ce n’est que le lendemain du drame. Ils ont conscience de la gravité de la situation, ils arriveront peut-être mieux à exprimer leurs ressentis dans quelques jours. Il faut du temps. Les enfants nous font aussi comprendre qu’il faut que la vie continue. Je pense aussi à ceux dont la mère a été tuée. »
Plus loin, une assistante de l’école maternelle est venue avec ses deux filles :
« J’ai su que quelque chose de grave s’était passé. Ce sont mes filles qui m’ont appris la nouvelle. J’aurais aimé leur expliquer. A l’école, les petits en parlent peu. Ceux qui sont en primaire ont plus de facilités pour se livrer et échanger. »
Dans le quartier, on savait que c’était « une situation compliquée », surtout après la séparation du couple. Si Chahinez s’exprimait rarement sur ce qui se passait « derrière les volets clos », des voisins de la jeune femme témoignent :
« Il y a deux mois, il l’a agressée devant un supermarché. Elle s’est enfuie, mais il a essayé de la faire monter dans un fourgon. »
Un homme déjà condamné
Et puis Chahinez a été tuée ce mardi 4 mai à 18h10 sur un trottoir de Mérignac, blessée par balle avant d’être brûlée vive. Son ex mari, a été rapidement interpellé par la BAC, à Pessac, porteur d’un fusil de calibre 12, d’un pistolet à gaz et d’une ceinture de cartouches. Il venait aussi d’incendier le domicile de son ancienne épouse, où les trois enfants de Chahinez, âgés de 5, 8 et 12 ans, n’étaient heureusement pas présents.
Placé en garde à vue, l’homme est visé par une enquête pour homicide volontaire et destruction par incendie. Il avait été condamné le 25 juin 2020 par le tribunal correctionnel de Bordeaux dans le cadre d’une comparution immédiate pour violences volontaires sur sa femme. La peine était de 18 mois de prison, dont 9 mois assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans, avec mandat de dépôt décerné à l’audience. Aussitôt sorti de prison, il a tué sa femme.
Mise en place d’une cellule psychologique
« Compte-tenu de l’émoi des témoins de ce crime », une cellule psychologique à destination des riverains a été mise en place à la Maison des habitants du Burck en partenariat avec le SAMU, ont indiqué ce mercredi le parquet et la mairie de Mérignac. L’éducation nationale a organisé un soutien psychologique au sein de l’école où sont scolarisés deux des enfants de la victime.
Dans un communiqué, Alain Anziani, maire de Mérignac, a condamné « ce féminicide d’une barbarie inouïe qui soulève une vague d’émotion dans la ville ». Il apporte son soutien au rassemblement à l’initiative de collectifs de défense des droits des femmes, et « salue le travail quotidien des services sociaux, de la justice et de la police pour épauler les victimes de violences faites aux femmes et lutter contre ces actes abjects ».
« Les violences conjugales sont un vrai fléau dans ce pays et on vit ce qui s’est passé à Mérignac comme un drame absolu, qui laisse trois orphelins victimes au même titre que leur mère », réagit Naïma Charaï, directrice de l’Apafed (association pour l’accueil des femmes en difficulté de la Gironde).
Cette dernière ne faisait pas partie de 2500 femmes qui appellent chaque année l’Apafed, et sont pour certaines hébergées avec leurs enfants dans le foyer de l’association ou en nuitées d’hôtel.
Hausse des violences dans un contexte de confinement
Son meurtre s’inscrit dans une vague préoccupante de violences conjugales liées au confinement : si les chiffres de 2020 ne sont pas arrêtés, plus de 11000 faits ont été constatés en Gironde l’an dernier, en hausse de 60%. 30% des femmes victimes ont porté plainte, déclenchant l’ouverture de 1500 procédures, dont 1000 traitées ont fait l’objet de réponses pénales, avec 65 ordonnances de protection et 24 téléphones d’urgence mis à disposition des victimes.
« En 2019, 12 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou de leur ex en Nouvelle-Aquitaine, dont trois en Gironde et une à Bordeaux, indique Naïma Charaï. En 2020, au moins une femme a été victime d’un tel crime, au Grand Parc. Mais le confinement a probablement fait baisser le nombre de féminicides car ceux-ci interviennent au moment de la séparation, or les femmes n’ont pas pu quitter le domicile conjugal. Le fait d’avoir un décompte, certes macabre, des féminicides nous oblige a avoir des réponses fermes et adaptées pour prévenir ces violences. »
La directrice de l’Apafed constate certes « une vraie volonté et une mise en mouvement des services de judiciaires et de l’Etat d’apporter une réponses pénales aux violences conjugales », avec des personnels dédiés à l’accueil des victimes dans les commissariats. Mais elle « s’interroge sur la première peine bien peu sévère » du meurtrier de Mérignac :
« Son premier acte de violence aurait dû être qualifié de tentative de meurtre ce qui l’aurait conduit aux assises, et peut-être à une condamnation bien plus lourde. Nous sommes aussi interpellées par le fait qu’il n’avait pas de bracelet électronique, ce qui est étonnant vu la gravité des faits. Comment pouvait il en outre être armé jusqu’aux dents, alors que suite au Grenelle des violences conjugales, il était bien indiqué qu’il fallait confisquer les armes à feu, en cause dans un tiers des féminicides ? »
« Que fait le ministre de l’Intérieur ? »
En février, Gérald Darmanin a demandé aux préfets de saisir les armes des conjoints violents, sitôt qu’une plainte a été déposée. La Fondation des Femmes et d’autres associations déplorent une confiscation qui n’est pas encore systématique. Ce mercredi, cette dernière a publié un communiqué, interpellant le gouvernement sur cette question du port d’arme.
Sur les lieux du rassemblement, mercredi en début de soirée, plusieurs collectifs de défense des droits des femmes présents sont sur cette même ligne. Entre les larmes et l’incompréhension, il y aussi la colère. Une pancarte avec l’écriteau « Stop féminicides. Protégeons les vivantes » s’est élevée au dessus de la foule, dénonçant « l’inaction des politiciens face aux féminicides ».
Avenue Carnot, le quartier se vide à l’approche du couvre-feu. Quelques riverains restent encore pour discuter, ou simplement se recueillir en silence. Des proches de Chahinez ont organisé une cagnotte afin qu’elle puisse être inhumée en Algérie.
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