Il est l’un des opéras les plus joués au monde. C’est dire le pari osé de reprendre l’œuvre vedette de Bizet, Carmen, et de surcroît à l’auditorium de Bordeaux privé de sa fosse d’orchestre pour raisons sanitaires. La dizaine d’interprètes et la cinquantaine de musiciens (avec le masque) se côtoient dans un espace commun, sur la scène. Les choristes sont dans les gradins (avec le masque aussi), placement on ne peut mieux pour exulter les vivats.
Quatre actes – la place, la taverne, la montagne et la corrida – se tiennent dans un petit périmètre scénique grâce à des astuces bien vues du metteur en scène, Romain Gilbert. Le jeu de lumières, parfois hors scène, complète un dispositif réduit à l’essentiel. C’est effectivement une prouesse qui est relevée ici avec un recours sans complexe à peu de décors pour un classique qui a souvent eu tendance à en faire des tonnes.
Après une première version au format court d’une heure qui s’est tenue du 30 mai au 3 juin (avec des représentations consacrées aux personnels soignants), la complète est enfin à l’affiche jusqu’à samedi 12 juin.
Zingara rouquine
Marc Minkowski est tout sourire. D’abord accueillant le public à « une heure presque normale », le soir du couvre-feu repoussé à 23h et devant une jauge remplie à 60%, et ensuite à la baguette où le chef d’orchestre frise à plusieurs reprises le duende avec ses musiciens et les bravos enthousiastes des spectateurs. Aude Extrémo (dans le rôle de Carmen) et Stanislas de Barbeyrac (Don José) y sont pour beaucoup. Emouvants jusqu’à l’apothéose de la scène finale, les deux interprètes girondins ont rivalisé de justesse, tout comme Chiara Skerath en délicate Micaëla et Jean-Fernand Setti en improbable toréro géant entré dans l’arène comme un Maitre Gims.
Si le rôle de Carmen est connu pour la complexité de sa tessiture, Aude Extrémo a relevé le challenge jusqu’à la cour des grands. Les éloges de la presse spécialisée ne s’y trompent pas : « une énergie suicidaire, désinvolte, aguicheuse, brutale, dédaigneuse, sensuelle » pour Opéra magazine, « c’est LA voix de Carmen » pour Opéra Online… La zingara rouquine, rebelle classe ou bohème chic, entourée de contrebandiers façon West Side Story, a mis tout le monde dans sa poche.
Don José compris. C’est écrit, mais on parierait que Stanislas de Barbeyrac tombe sous le charme de sa Carmen à chaque représentation. La chaleur de sa voix bluffe tout autant que sa puissance avec, en sus vers la fin de l’opéra, un difficile exercice de chant depuis les coulisses et progressivement dans la salle. Le brigadier campagnard venu à Séville jongle avec aisance entre l’exemplaire fils à maman et l’effrayant amant possessif.
La fin du spectacle venue, au bout de deux heures et quarante cinq minutes avec un entracte, l’on regrette de quitter autant de bonnes compagnies, amoureux transi d’un spectacle libre et vivant.
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