« Ici gît les humanités sous Blanquer et Mathiot ». Mercredi 23 juin, aux alentours de 14h, rendez-vous étant donné dans la salle du musée d’Aquitaine qui accueille le cénotaphe de Michel de Montaigne. Pendant 30 minutes, une dizaine de professeurs, de philosophie principalement, se sont allongés autour du tombeau du penseur humaniste. Ils dénoncent une exclusion des enseignants de philosophie des jurys de la spécialité Humanités, Littérature et Philosophie (HLP) au Grand oral du bac.
« Censurés »
Depuis la réforme du bac et la suppression des filières générales, les lycéens suivent, à partir de la Première, une spécialité. Mais dans l’Académie de Bordeaux, les élèves qui auront travaillé un sujet en lien avec la philosophie pour le Grand oral ne passeront pas devant un enseignant de la discipline.
« Aucun professeur de l’Académie de Bordeaux ne peut être présent dans un jury de Grand oral pour cette spécialité », affirme Arnaud Lalanne, professeur de philosophie au lycée de Bazas en Gironde :
« Pourtant, des élèves ont travaillé pendant deux ans sur la matière, poursuit l’enseignant, qui préside le bureau bordelais de l’Association de professeurs de philosophie de l’enseignement public (Appep). Un élève qui présente un thème relatif à la philosophie peut tout aussi bien passer devant un enseignant d’EPS ou de physique-chimie. […] En mars dernier, la Direction des examens et des concours (DEC) annonçait que 45 professeurs de philosophie pourraient être parmi les jurys. Finalement, nous sommes censurés. »
Le 17 juin dernier, les élèves de Terminale ont passé les écrits de philosophie. Un simulacre d’épreuve pour les professeurs réunis devant le musée d’Aquitaine :
« Ce qui est certain, c’est que nous n’avons pas beaucoup de pages à corriger. C’est la meilleure note entre l’épreuve sur table et le contrôle continu qui sera choisie. Alors forcément, les élèves n’ont pas donné le meilleur d’eux-mêmes. Et même ceux qui voulaient ont vu leurs camarades partir au bout d’une heure d’épreuve. La plupart des copies font deux pages et n’ont pas grand chose à voir avec un raisonnement et une pensée philosophiques. »
Non-sens
Des enseignants d’autres disciplines ont rejoint leurs collègues de philosophie, au musée d’Aquitaine. Plus largement, c’est la nature même de l’épreuve du Grand oral qui est contestée. « Un scandale », estime même Thierry Vigier, professeur de philosophie à Périgueux :
« C’est une évaluation arbitraire. Seuls 4 points sur 20 sont dédiés aux connaissances dans la discipline. Le reste de la note, ce sont des critères liés à l’attitude et la gestuelle de l’élève. La philosophie est un prétexte pour dire que le bac existe encore. Les élèves sont tous tournés vers Parcoursup. A ce titre, la philosophie n’est pas considérée comme une discipline majeure. L’épreuve écrite s’est déroulée après la sélection Parcourssup. Les jeux étaient déjà faits. »
En filigrane, les enseignants dénoncent un fait politique et la nécessité, pour le Rectorat, « d’écarter de potentiels grévistes ».
Affectation automatique
D’après les enseignants, le Rectorat met en avant l’évaluation de la « transversalité » des compétences, et non les connaissances dans une discipline. Contacté par Rue89 Bordeaux, le Rectorat nous a répondu par mail que les raisons de cette affectation des professeurs ne sont pas politiques mais… algorithmiques :
« Comme dans toutes les académies importantes, l’académie de Bordeaux s’est aidée d’un outil d’affectation automatique, ceci dans le but d’assigner, à chaque élève, deux enseignants : l’un étant un spécialiste des sujets choisis par le candidat, l’autre étant un non spécialiste. Respectant cette règle, les professeurs de philosophie pouvaient tout à fait être convoqués, au même titre que les autres professeurs. Cela a d’ailleurs été le cas pour plusieurs d’entre eux. »
Les enseignants opposés au Grand oral prévoient, eux, d’autres manifestations dans les jours à venir dans la capitale girondine.
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