Je vais vous parler un peu de celui qui nous a quitté cette semaine : Ludo Tranier, punk, poète de la zone et sacré joyeux bon camarade.
C’est embêtant de parler d’un copain mort surtout si chaque fois ou presque qu’on s’est croisé, c’était pour se mettre une chibarde galactique de force 7 qui brouille bien les souvenirs. Mais je vais faire un effort…
Happening banlieusard
J’ai d’abord rencontré sa copine Vigie qui était l’une des voix de la Vie Au Grand Hertz, fameuse radio libre et déglinguée qui a secoué la torpeur bordelaise des années 80 et dans laquelle j’officiais moi aussi. Ludo, à l’époque, devait jouer dans Banal Automne, un groupe new wave au nom tellement affligeant que je ne l’ai jamais écouté.
Les choses ont commencé à se corser quand Vigie est venue nous dire qu’avec son nouveau pote Ludo, ils avaient créé un groupe au nom bien plus inspiré : Le Crashmoon Project… Un truc bizarre de chansons françaises bastringues avec un paquet de femelles hystériques qui faisaient office de choristes et de hyènes diaboliques, aussi… Là, on a commencé à rentrer dans une autre dimension où, même si bizarrement, le groupe jouait globalement ultra faux, le public devenait complètement dingue, jetant des pintes pleines et des soutiens gorges vides, en l’air au milieu d’une mêlée indescriptible… Une sorte de happening banlieusard déjanté…
J’ai dit banlieusard ? Oui, car c’est là le coup de génie de Ludo Tranier : c’est le premier à avoir compris que dans les banlieues flasques de la Belle Endormie, toute une jeunesse se faisait chier à mourir, faute de lieux pour s’éclater ou de moyens de transports pour aller au centre ville de Bordeaux (et surtout pour en revenir bourrés). Ce concept de folklore de la jungle urbaine leur a fourni un échappatoire à ce monde de vieux, pavillonés à crédit et Ludo Tranier est devenu leur Che Guevara, leur offrant un pavillon bien à eux : le Noir.
De Pessac
Et au tournant des années 90, pendant que les branchés bordelais se touchaient le zgeg en se pâmant sur le dernier Smiths, une contre culture aussi festive qu’enragée s’est développée à vitesse grand V dans les déserts culturels qu’étaient à l’époque les banlieues sud bordelaises.
Noms improbables, musiques déglinguées, mélange de tout ce qui traine avec du Punk dedans, on se serait cru, indeed, revenus à l’effervescence de 77.
Un bar allait devenir leur QG, le bien nommé Bateau Ivre à Pessac où la bande à Ludo va lancer le concept de la Fête de la Fougère. Un mini festival d’un soir dans lequel on pouvait rentrer gratos si l’on se pointait muni d’une brassée de fougères. Les fougères, c’est vert et c’est joli. Ça évite de glisser sur le carrelage plein de bière quand tu pogotes et surtout ça ne pousse pas au centre ville. Pour en trouver, il faut sortir des boulevards (chose impensable à l’époque pour la jet set rock bordelaise).
Bref, le parfait sésame pour passer une bonne soirée entre gens qui ne se la pètent pas. Et, mine de rien, tout ça a fini par générer un esprit, une scène s’est crée et quand on te demandais « Tu es bordelais ? », tu pouvais fièrement répondre « Ah non, moi je suis de Pessac ».
Un peu d’envie, un peu de Do It Yourself, beaucoup de copains copines, quelques pintes et pas mal de sueur et, pour pas cher, voire trois fois rien, on donne un sens à la vie de toute une génération…
Lareplik
Pendant ce temps, au ministère de la Culture, on enchaine les projets de création de comités Théodule pour décentraliser au plus près du bon peuple. Je vous tiendrai au courant quand ils y seront arrivés.
On a autre chose à foutre que de perdre notre temps à champollioniser des appels à projets hors-sols, rédigés en Novlangue. La vie est trop courte quand on peut mourir à 53 ans.
Ludo Tranier, désormais à la tête d’une raïa, enchaîne l’activisme local, entre autre au sein du Local, rue de Tauzia, près de la gare, où se produiront tous les combos bordelais qui comptent à l’époque mais aussi de la crème alternative venue des quatre coins du Globe.
C’est la naissance également de Lareplik, le plus fameux groupe de baloche pirate que l’hexagone ait jamais engendré, spécialistes de la punchline qui déglingue le beauf et des coups de mains à toutes les causes et luttes sociales, qui enchaineront pendant des années, concerts de soutien, sets à l’arrache dans les squats et autres lieux improbables et dont le nom est encore pour beaucoup d’entre nous, synonyme de fiesta plus que de concert.
Comme la Saint-Roger, ce concept, déclinaison géniale de la Fête de la Fougère, d’organiser une énorme bacchanale entrecoupée de concerts, la veille de la Saint-Sylvestre pour pouvoir se pointer, sans avoir dormi et encore à trois grammes, au réveillon familial du lendemain, suffisamment anesthésié pour ne pas péter un câble ente les huîtres, le foie gras et les discours du tonton relou.
Saint-Roger
La Saint Roger, une exception culturelle bordelaise qui je l’espère, sera à jamais reconduite pour la paix des familles. (Et là, en cette période d’élections régionales, je m’adresse aux candidats : décréter aujourd’hui une fête régionale pour la Saint-Roger, serait un bon moyen de vous attirer les votes de la jeunesse et de ne pas vous faire botter le cul par le Front National.)
Ludo avait ensuite ressenti l’appel du large et de l’ambiance des ports, allant puiser l’inspiration dans les bouges des docks de l’Amérique du Sud pour donner naissance à Buscavida, un projet plus personnel et c’est là que je l’ai croisé pour la dernière fois, il y a deux ans à l’occasion d’un concert à l’ABC de Blanquefort. Je ne veux pas blasphémer, mais il avait bu du Perrier pendant l’interview, alors qu’on a séché tellement de pichets ensemble. Il était un rien désabusé, un peu bougon et sarcastique, mais ça, il l’a toujours été. Lutter contre le système, il n’a jamais été dupe, ça comporte un prix à payer et l’addition est arrivée la semaine dernière.
Ludo Tranier avait choisi de monter en première ligne pour imaginer un monde meilleur. Beaucoup d’entre nous lui doivent de merveilleux moments de déconne et de bonheur et si, le fourbe, il est parti en premier pour toper la meilleure place au comptoir de l’au-delà, on s’y retrouvera d’ici pas si longtemps pour dire un max de conneries en buvant du Picon-Bière dans des crânes de néo-libéraux-crypto-facistes, comme il se doit.
Et pendant ce temps, le drapeau noir, frappé du Jolly (Saint) Roger, flotte toujours sur nos banlieues, grâce à toi Ludo. Il en sortira forcément quelque chose et tu as très finement décidé de laisser la place aux jeunes pour continuer le boulot, je te reconnais bien là.
Bon, maintenant, les jeunes, on arrête de se la coller et on reprend le chantier.
Fuck le Système, Génération Leader Price, en avant !
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