La passe d’armes est éclairante. Le mercredi 9 juin sur le plateau de France 3 Nouvelle-Aquitaine, pour le dernier débat avant le premier tour des élections régionales, Edwige Diaz (Rassemblement national) se lâche :
« L’écologie est un sujet trop important pour le laisser aux écologistes qui ne connaissent que l’écologie punitive et la décroissance, un discours dangereux pour les usagers et les entreprises car il porte atteinte au pouvoir d’achat des Français » et supprime emplois
La candidate du RN cite la taxe sur les carburants, l’étincelle ayant déclenché le mouvement Gilets jaunes.
« Ce qui se cache derrière [l’utilisation du terme] écologie punitive, c’est le climatoscepticisme », lui rétorque Nicolas Thierry, candidat EELV. « Pendant 6 ans on vous a vu sur les bancs de la Région, vous êtes les seuls à contester la réalité du dérèglement climatique », martèle vice-président sortant, en charge de la nature.
Geneviève Darrieussecq tente de se poser en arbitre :
« Entre les climatosceptiques et ceux dans la décroissance, c’est le progrès, la recherche, l’innovation et la création d’emploi qui nous permettra d’évoluer », estime la candidate Modem-LREM. Avant d’ajouter : « Les éoliennes , je trouve ça moche, ça enlaidit les paysages ».
« Manque d’ambition global »
En quelques secondes, les candidats ont ainsi rapidement atteint le point Godwin sur l’écologie. Dans un document révélé ce jeudi 17 juin, le Réseau action climat s’est fait fort d’analyser les programmes des quatre principaux candidats. Ce principe valable dans toutes les Régions, s’appuie sur les derniers sondages, excluant ainsi de son analyse le candidat écologiste, crédité de 10 à 11% des voix.
Se fondant sur une analyse de leurs propositions censées « faire face à l’urgence climatique et sociale », l’ONG observe « un manque d’ambition global pour le climat et des écarts entre les candidats ».
Tout d’abord, le RAC considère que « le programme d’Alain Rousset (PS-PCF) propose des mesures intéressantes sur le ferroviaire et l’éducation et la formation aux enjeux environnementaux », mais « reste très flou et insuffisant sur les questions agricoles et alimentaires et est même vide sur les sujets d’énergies renouvelables et pour l’accompagnement à la rénovation des logements ».
Néo Terra, espèce menacée
Le président socialiste sortant vante dans la campagne les rapports Acclimaterra et Ecobiose, ainsi que le lancement de la feuille de route Néo Terra pour décliner leurs propositions dans les politiques publiques – une feuille de route qu’Edwige Diaz veut remettre en cause, et dont Geneviève Darrieussecq veut réévaluer les objectifs et la gouvernance la gouvernance « en mettant tous les acteurs – industriels, agriculteurs, usagers, associations etc. – autour d’une table pour que tout le monde s’accorde sur des objectifs concrets ».
Tout le contraire de Nicolas Thierry, qui compte mettre en pratique au plus vite Néo Terra, avec les moyens correspondant – comme Geneviève Darrieussecq, il reproche au PS de ne pas avoir voté les crédits correspondant.
« Sans écolos dans la majorité il n’y aurait eu ni Acclimatrra, ni Ecobiose, ni Neo Terra, estime d’ailleurs le candidat EELV, qui compte sur sa liste deux scientifiques ayant participé à ces rapports, dont Vincent Bretagnolle. On a constaté quasi quotidiennement en commission permanente des incohérences. On doit s’opposer au financement de pulvérisateurs de pesticides. Et il y a un loup dans l’objectif de Néo Terra de développer d’ici 2030 l’agriculture biologique, puisqu’il parle 80% des exploitations de Nouvelle- Aquitaine certifiées en bio ou Haute Valeur Environnementale (NDLR : un label décrié puisqu’il autorise l’utilisation de pesticides). Nous reviendrons sur ce genre d’ambiguïtés car il n’y a plus de temps à perdre. »
Clémence Guetté (France insoumise-NPA), tenante d’une « écologie populaire », dispose d’un programme fourni sur l’environnement. Elle précise par exemple que les néo-aquitains émettent 8,3 tonnes équivalent CO2 par an, bien plus que la moyenne nationale française (6,8 t CO2eq/habitant/an). Les transports représentant 39 % de ces émissions, elle propose la gratuité des cars et trains régionaux pour favoriser le changement modal, ou encore un plan d’urgence pour le fret.
Les bassines, goutte d’eau qui fera déborder le vase ?
Elle rejoint Nicolas Thierrry dans son hostilité aux LGV et aux bassines, deux points d’achoppement majeurs avec Alain Rousset. Pour les besoins de l’irrigation agricoles, seize bassines voulues par la Coopérative de l’eau 79 (Deux-Sèvres) doivent prélever 6,8 millions de mètres cubes dans les nappes phréatiques qui alimentent le Marais poitevin. Le coût de revient est estimé à près de 60 à 50 millions d’euros, essentiellement sur fonds publics et au profit d’une poignée de gros exploitant (8% des agriculteurs du territoire) pratiquant une agriculture intensive. Ce projet est vigoureusement contesté, et le tribunal administratif de Poitiers a récemment ordonné une profonde révision.
Il est pourtant défendu, tout comme les retenues collinaires ou l’utilisation (modérée ou non) des pesticides, par tous les candidats de droite – Nicolas Florian, Eddie Puyjalon (Mouvement de la ruralité), Edwige Diaz et Geneviève Darrieussecq. Cette dernière, pourtant membre du gouvernement, a scandalisé en rendant visite aux promoteurs du lac de Caussade, cette retenue d’eau illégale dans le Lot-et-Garonne. Tous fustigent l’ »agribashing », ce terme imaginé par la FNSEA et désignant davantage la contestation du modèle économique agricole dominant que celle des paysans.
« Beaucoup de candidats ont mis en avant le thème de la ruralité de manière générale sans montrer ce que ça recouvrait, et comme si ce qu’on proposait n’était pas en phase avec la ruralité », regrette Isabelle Loulmet, présidente de France nature environnement Nouvelle-Aquitaine, qui a envoyé 90 propositions « pour une région solidaire et vivable » à tous les candidats. Or toute une partie de la population s’inquiète de l’usage des pesticides près de chez eux et de la perte de la biodiversité. Cette majorité silencieuse ne s’exprime pas forcément mais elle est préoccupée par les questions de santé, et se rend bien compte qu’on peut pas vivre en bonne santé si l’environnement n’est pas protégé. »
Le RAC souligne en outre pourtant que l’agriculture est le second secteur émetteur de gaz à effet de serre pour la Région, et que celle-ci se doit donc « de soutenir les pratiques agricoles et les élevages durables, tout en favorisant une alimentation plus végétarienne, biologique et locale ».
« Carbashing »
Après l’ « agribashing », les candidats de droite se sont faits les pourfendeurs du « carbashing », accusant Alain Rousset d’avoir été sur le sujet des routes otage de ses alliés écologistes. Ils défendent d’une même voix la mise l’élargissement de l‘autoroute Bordeaux-Arcachon, la construction (concédée au privé) de l‘A147 entre Poitiers et Limoges voire même, pour Edwige Diaz et Eddie Puyjalon, le grand contournement de Bordeaux via la création d’un barreau autoroutier Mussidan-Langon.
Militant tous par ailleurs pour le développement des petites lignes ferroviaires, les candidats de droite ne précisent pas comment financer ces axes routiers, qui sont autant de projets « climaticides » pour le RAC. L’ONG juge d’ailleurs le programme de Geneviève Darrieussecq « faible sur le domaine des transports durables, de l’énergie et de la conversion des emplois et des formations ». Quant à celui de de Nicolas Florian, « il ne tient tout simplement pas compte de l’enjeu climatique » :
« Hormis un soutien au ferroviaire, les mesures concernant l’alimentation, la relance écologique et sociale, ou encore la formation sont absentes. Le programme LR va même à l’encontre de la transition écologique en défendant les projets nucléaires et les projets routiers. »
Des éoliennes aux poubelles
Si selon le RAC « l’absence de site internet et donc de programme accessible pour Edwige Diaz (RN) à quelques jours des élections permet encore moins aux citoyens de connaître ses propositions », les déclarations d’Edwige Diaz et sa profession de foi vont dans le même sens : pro-nucléaire, elle s’oppose au SRADDET qui planifie le déploiement des énergies renouvelables sur le territoire, axant une bonne partie de sa campagne contre les éoliennes, comme nombre de candidats .
Une autre association, Zero Waste Nouvelle-Aquitaine, s’est penchée sur les positions des candidats sur les déchets, une compétence régionale, adressant un questionnaire à tous les candidats. Seuls trois d’entre eux l’ont rempli : Clémence Guetté, Nicolas Thierry et Eddie Puyjalon. S’ils sont « unanimes sur la nécessité d’aller plus loin dans la réduction des déchets et de revoir en ce sens le Plan Régional de Gestion des Déchets », les moyens pour y parvenir diffèrent :
« L’ambition de Nicolas Thierry étant de parvenir à un territoire 100% zéro déchet d’ici 2028, souligne l’ONG. Tandis que Clémentine Guetté mise d’avantage sur le recyclage. Solution qui vient après la réduction dans la hiérarchie de traitement des déchets du code de l’environnement. »
Concernant le traitement des déchets, poursuit Zéro Waste, « l’enfouissement est présenté comme une solution à bannir définitivement par les candidats ». « L’incinération sous couvert de valorisation énergétique est reconnue utile par les listes d’Eddie Puyjalon et Clémentine Guetté. Nicolas Thierry estime qu’il ne s’agit pas d’énergie renouvelable et qu’elle ne doit pas être perçue comme telle. » Les trois s’accordent en revanche sur la tarification incitative, le paiement des taxes sur les déchets en fonction de la « production » des ménages.
« Les liens ne sont pas faits »
Zéro Waste a cherché des informations sur la politique déchets dans les programmes des autres candidats. « La question des déchets est sur les différentes listes très peu évoquée et il nous est donc difficile de retranscrire leurs projets en ce sens », conclut l’association. Ce peu d’appétence de la plupart des candidats rejoint ainsi le constat de France nature environnement Nouvelle-Aquitaine : seul Nicolas Thierry a répondu à l’ONG, se disant favorable aux 90 propositions avancées.
« Pourtant, les enjeux sont compris, en tous cas appréhendés, estime Isabelle Loulmet. Peu de listes ne parlent pas de biodiversité ou de changement climatique. La différence réside dans la façon dont ils sont repris dans les politiques publiques. On ne peut pas mettre on peut pas mettre la biodiversité dans un coin et l’économie dans l’autre, déconnectées voire en contradiction l’une envers l’autre. Ce qui est inquiétant, c’est que ces liens ne sont pas faits. »
Certains parmi les candidats martèlent pourtant la nécessité d’agir vite – la fenêtre de tir pour inverser la courbe de nos émissions est de 10 ans, selon les scientifiques. Une urgence encore illustrée ces jours ci par l’actualité brûlante du réchauffement climatique sur toute la planète. A voir dimanche si le relatif désintérêt des candidats est partagé par les électeurs.
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