L’Agence régionale de santé (ARS) de Nouvelle-Aquitaine, qui assure le suivi de la qualité sanitaire des eaux de baignade, indique dans le classement 2020 qu’en Gironde sur 62 sites contrôlés en 2020, 98% sont conformes. Mais que l’on ne s’y trompe pas, ces différents rapports et mesures de la qualité de l’eau laissent de côté un certain nombre de paramètres. L’ARS recherche uniquement la présence d’Escherichia et entérocoques intestinaux, des bactéries.
« A l’heure actuelle la qualité des eaux de baignade n’évalue que la pollution microbienne, explique Marc Valmassoni. Pour le dire simplement, on se contente de rechercher les traces de caca dans l’eau. »
Ce surfeur, installé en Nouvelle-Aquitaine, est aussi hydrogéologue et Coordinateur de campagne au siège européen de la Surfrider Foundation à Biarritz. Il est l’initiateur d’une expérience inédite, le projet CURL – dans le jargon surf, le curl est le creux, où la vague a le plus de puissance.
Surfeurs en danger ?
Tout est parti d’une conversation avec des membres de l’Ifremer. Marc Valmassoni en tant que pratiquant se pose alors une question : les surfeurs et autres pratiquant d’activités nautiques ( nageurs en eaux vive, plongeurs..) mettent-il leur santé en danger en pratiquant leur activité favorite ?
« c’est une écotoxicologue de l’Ifremer qui m’a parlé des capteurs passif développés par EPOC, un laboratoire du CNRS de Bordeaux. Dans la foulée la Surfrider Foundation a déposé le projet et c’est comme ça que l’expérience a été lancée. » explique-t-il.
CURL, est une expérience de science participative. Celle-ci a pour but d’équiper des usagers d’activités nautiques de capteurs chimiques pour évaluer leur niveau d’exposition à différents polluants. Surfeurs, nageurs en eau vive ou encore la plongeurs sont ainsi équipés de kit échantillonneurs pour prélever les polluant chimiques présents dans l’eau. Ces échantillonneurs sont ensuite envoyés au laboratoire EPOC de Bordeaux pour être analysés.
L’expérience a débuté en juin dernier avec un petit groupe d’une dizaine de volontaires, est encore dans une phase de de test. Elle a vocation à être étendue dès le début de l’année 2022 à un plus grand nombre de participants.
Glisser équipé de capteurs
La première phase de tests est déterminante. Elle a démarré en juillet dernier, grâce à des surfeurs volontaires. Les premiers prélèvements sont en train d’être récupérés par le laboratoire EPOC. Ils devraient permettre de recueillir de premières données qui permettront de caractériser le niveau d’exposition des usagers de la mer aux substances chimiques, des informations nécessaires des risques sanitaires.
« L’objectif est d’évaluer le niveau de risque lié à une pratique sportive dans une eau potentiellement contaminée, précise Marc Valamssoni. On sait que les polluants chimiques ont un impact sur les écosystèmes et la biodiversité, qu’en est-il quand on va surfer régulièrement ? Si un surfeur est l’équivalent d’un capteur, qu’est-ce qu’il absorbe quand il passe 24 jours dans l’eau sur une saison ? »
Au sein du laboratoire EPOC, qui mène des recherches en écotoxicologie et chimie de l’environnement, Hélène Buzenski supervise l’expérience.
« Depuis maintenant 15 ans a Bordeaux on développe des échantillonneurs passifs, on est experts dans ce domaine là, précise cette chercheuse au CNRS. Ce sont des petits pièges à contaminants que l’on immerge et qui accumulent sur une période de plusieurs jours à plusieurs semaines. »
Le dispositif avait déjà été testé sur des tortues et même dans des bénitiers d’église pour la recherche de bactéries, mais c’est une première sur des surfeurs.
Le projet CURL cherche à échantillonner des micropolluants organiques (pesticides, résidus de médicaments, cosmétiques…) et des micropolluants métalliques (aluminium, cadmium, cuivre, mercure…), bien présents dans les eaux de notre littoral.
Cocktail chimique sur le Bassin
« Mais les gens n’ont à l’heure actuelle aucune information sur la pollution chimique de l’eau dans laquelle ils se baignent, avertit Marc Valmassoni. Car ces polluants ne sont pas recherchés, or on sait qu’ils sont présents dans les eaux du littoral. Des associations comme la Sepanso ou encore l’Ifremer publient des rapports, des bulletins de surveillance et des cartes qui en font état. »
Tout les six ans, l’Ifremer publie ainsi les résultats de l’évaluation de la qualité chimique de l’eau où sont recherchés pas moins de 45 substances (métaux et contaminants organiques) dans l’eau et les sédiments. La dernière publication mentionne par exemple la présence d’une pollution aux hydrocarbures dans la partie orientale du Bassin qui augmente de manière préoccupante. Ceux-ci proviendraient du lessivage des chaussées par les eaux de pluie, ainsi que des moteurs de bateaux.
Quant à l’estuaire de la Gironde, des taux de Cadmium « très supérieurs au seuil de santé public » y ont été retrouvés. Cette pollution provient selon l’Ifremer d’une usine de métallurgie, Les Mines et Fonderie « La Vieille Montagne », située en amont de l’estuaire de la Gironde à proximité de Decazeville (Aveyron). Le Cadmium qui se retrouve dans les boues passent ensuite du Riou Mort vers le Lot pour continuer jusqu’à la Garonne. 90% du cadmium qui arrive en Gironde provient de cette usine.
L’exposition prolongée au Cadmium peut entrainer des atteintes rénales, une fragilité osseuse, des effets sur l’appareil respiratoire, des troubles de la reproduction ainsi qu’un risque accru de cancer. Il est aussi suspecté d’entrainer des effets sur le foie, le sang et le système immunitaire.
Océan lessivé
Le dernier bulletin de surveillance de l’Ifremer (édition 2020 portant sur les résultats 2019) fait également état de métaux lourds très nocifs pour la santé tels que du cuivre, et du mercure, concentrés dans les mollusques du Bassin d’Arcachon. Celui-ci confirme également une pollution par les hydrocarbures aromatiques polycycliques a des niveaux élevés.
De même en 2020, la Sepanso, une association de défense de l’environnement, s’était déjà inquiétée de la présence vraisemblablement importante de molécules pétrochimiques relevées dans les eaux de baignade de l’océan entre Bordeaux et Biarritz. Une pollution visible à l’œil nu puisque c’est en effet la présence de résidus de produits ménagers, non filtrés par les stations d’épuration.
« Lorsque l’océan est agité, cela remue les sédiments et on peut observer de la mousse en grande quantité sur les plages ces jours là, explique Marc Valmassoni. Cela n’a rien de naturel, le phénomène est dû à la présence de résidus de lessive et de produits ménagers dans les eaux usées ».
Ce sont autant de contaminants auxquels seraient exposés les pratiquants d’activités nautiques du fait de leur temps d’immersion prolongé dans l’eau.
Vers un réseau mondial
En fonction des premiers résultats attendus en début d’année 2022, le laboratoire EPOC a prévu d’équiper un plus grand nombre de surfeurs, notamment en Gironde. Dans un second temps, les données, analyses et interprétations seront valorisées à l’échelle locale, nationale et européenne afin de sensibiliser et d’informer toutes les parties prenantes compétentes sur les enjeux « Eau, Usages, Santé & Environnement ».
« Les échantillonneurs passifs que nous développons sont un outil d’analyse simple et low cost que l’on peut envoyer partout, estime Hélène Buzenski. Le coût du dispositif est actuellement de l’ordre de quelques dizaines d’euros. Il peut être financé par des agences de l’eau, ou des associations. On a l’ambition de développer un réseau de surfeur dans le monde qui en seraient équipés. »
Au travers de cette expérience la Surfrider Foundation souhaite attirer l’attention sur les défauts d’analyse de la qualité de l’eau existant actuellement pour lesquelles manquent de nombreux paramètres. Elle attend avec impatience les premiers résultats et espère que l’expérience réveillera suffisamment les consciences pour faire évoluer la législation.
L’ONG voudrait également étendre les périodes de prélèvements pour informer les pratiquants de sports nautiques à l’année et pas uniquement en été.
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