« La relance par le Premier ministre des grandes infrastructures ferroviaires et singulièrement de GPSO est une nouvelle historique, car il s’agit de boucler un projet de ligne à grande vitesse (LGV) à l’échelle de l’Europe », estime Alain Rousset, président de la Région Nouvelle-Aquitaine
Au printemps dernier, l’annonce de Jean Castex que l’Etat financerait pour plus de 4 milliards d’euros avait en effet relancé le projet de LGV Bordeaux-Toulouse, Emmanuel Macron effectuant un beau rétropédalage après avoir martelé en début de mandat que la priorité irait aux déplacements du quotidien.
Suite aux élections régionales, la constitution de majorités sans les écologistes en Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine levait les derniers obstacles politiques, avant que l’ultime recours juridique ne soit épuisé. Un investissement public massif se profile donc pour construire cette ligne, ainsi que la branche Bordeaux-Dax, vouée à être ultérieurement prolongée vers le Pays basque et l’Espagne – la Nouvelle-Aquitaine « revendique la simultanéité des deux lignes ».
Les collectivités mises à contribution
Ce lundi, le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine débattra donc (sans vote) d’une communication « visant à informer les élus régionaux sur l’avancement du GPSO ». Ce document détaille l’intérêt présumé du projet, notamment celui de « favoriser une mobilité durable et décarbonée en réponse à l’urgence climatique » – un Paris-Toulouse en TGV émettrait par exemple 4 kilos de CO2, contre 130 en avion et 40 en voiture.
Surtout, il détaille la répartition envisagée de la charge financière, considérable : 14,3 milliards d’euros courant 2021, dont 10,3 milliards pour la première étape (LGV Bordeaux-Tolouse, aménagements ferroviaires au sud de Bordeaux et au nord de Toulouse) et 4 milliards pour la branche vers Dax.
« La difficulté, c’est de réunir le financement, concède Alain Rousset. Aujourd’hui, l’Etat apporterait 40% du montant, les collectivités territoriales 40% et l’Europe 20%. Sur la part des collectivités locales, qui est de 5,7 milliards, la clé de répartition est de 55% pour l’Occitanie et de 45% pour la Nouvelle-Aquitaine. »
Plus un sou
Bilan des courses : la Région doit trouver 2,6 milliards. Une partie, estimée à 800 millions, viendrait de nouvelles ressources fiscales – une taxe spéciale sur les bureaux et d’une taxe spéciale d’équipement dans les quartiers profitant des retombées des lignes. L’hypothèse d’une écotaxe sur les poids lourds n’est pour l’heure pas mentionnée, mais Alain Rousset veut encore y croire.
Cette fiscalité additionnelle serait collectée par un établissement public local (EPL), ayant pour mission de concevoir et d’exploiter une infrastructure (le canal Seine-Nord Europe ou le Grand Paris Express, par exemple). Celle pour le le GPSO doit prochainement être créée par ordonnance, promet le gouvernement.
Le reste à charge serait donc de 1,8 milliards pour les collectivités locales néo-aquitaines. Mais lesquelles seront prêtes à mettre au pot ? Certaines parmi celles sollicitées par la Région ont déjà fait savoir qu’elles refuseraient de financer le prolongement de la LGV Tours-Bordeaux. Sophie Borderie, présidente du Lot-et-Garonne, avait prévenu qu’elle ne verserait « pas un euro » pour Bordeaux-Toulouse, et l’a répété lors d’une première réunion de financement, où il était demandé entre 80 et 100 millions d’euros à son Département.
Pas écolo-compatible
Idem du côté de Jean-Luc Gleyze. Le président girondin est depuis toujours très réticent face à ce projet dont la fourche, qui se trouverait sur son territoire d’élection, le Sud Gironde, suscite l’ire de la population et des maires locaux. Il doit en outre composer avec les écologiste associés à sa majorité départementale.
C’est aussi le cas de Bordeaux Métropole. Du temps d’Alain Juppé et de Patrick Bobet, l’agglo bordelaise roulait à fond pour la LGV. Mais si Alain Anziani serait à titre personnel favorable au projet, le président de la métropole a conclu avec Pierre Hurmic et les écologistes un projet de mandature, prévoyant de « ne pas financer au cours de ce mandat la LGV GPSO (exceptés les bouchons ferroviaires au sud de Bordeaux et au nord de Toulouse) ».
Jointes par Rue89 Bordeaux, les deux collectivités girondines n’ont pas explicité leurs positions. De son côté, Alain Rousset ne cache pas son impatience, affirmant notamment que la LGV permettra de libérer des sillons pour faire circuler plus de RER métropolitain vers Langon :
« La position d’Alain Anziani est on ne peut plus claire : on ne peut pas ne pas y aller, ce serait totalement incohérent alors que l’entrée sud est de Bordeaux est totalement encombrée et la rocade garrottée par une file ininterrompue de camions. On a besoin de report modal et cela suppose une deuxième ligne ferroviaire. Et est-ce qu’on prend en otage Bayonne où d’autres collectivités qui ont financé la LGV Tours-Bordeaux et être à ce point égoïste ? Il serait inconcevable que la LGV s’arrête à Bordeaux alors que les collectivités d’Occitanie y ont participé. »
Des transports du quotidien à la rue ?
Alain Rousset ne désespère pas de convaincre Pierre Hurmic, qui a pourtant défendu en tant qu’avocat les associations anti-LGV… La Région va donc sûrement devoir se mettre en quête d’un plan B, ou se préparer à payer plus que prévu (600 à 800 millions d’euros). Ce qui fait tiquer le CESER (conseil économique, social et environnemental régional). Dans un avis rendu ce mercredi, il « met en garde sur les dangers et limites d’un financement du projet, par des collectivités territoriales pour une grande partie ».
« Alors que leurs ressources sont déjà limitées, un tel engagement au financement d’une infrastructure nationale hors champs de compétence, pourrait obérer leur capacité à financer les politiques publiques dans leurs propres domaines de compétence, à commencer par les transports du quotidien. »
Le président de la Nouvelle-Aquitaine répond que son engagement pour la LGV n’a pas empêché la Région de financer la rénovation des petits lignes et d’inscrire dans le budget supplémentaire qui doit être voté ce lundi 320 millions d’euros pour les mobilités durables (dont 212 pour la rénovation des rames TER).
« Manque d’analyse »
Le CESER affirme pourtant que « les éléments d’analyse manquent pour se prononcer pleinement sur le projet et de nombreuses questions restent en suspens ». Il s’interroge sur l’impact environnemental d’un projet qui détruira des milliers d’hectares agricoles ou naturels (dont certains proches de zones très sensibles, comme la vallée de Cron qui abrite des chauve-souris très rares, ou celle du Ciron, près de Sauternes) :
« Le gain de temps sur le trajet, le report modal et les enjeux d’aménagement du territoire justifient-t-ils la consommation foncière induite, la démultiplication de la consommation énergétique, la destruction d’écosystèmes et de réseaux hydrographiques précieux, la réduction des puits de carbone utiles à l’atténuation du changement climatique ? »
L’instance consultative du conseil régional demande, en outre, si les émissions de gaz à effet de serre dues à la construction de la ligne seront « compensées par le report modal espéré depuis le réseau routier (tant pour les voyageurs que pour le fret) ».
Le retour d’expérience (d’avant crise) de la LGV Paris-Bordeaux démontre en effet que si celle-ci est un succès public (3,8 millions de voyageurs par an contre 3,5 prévus en fourchette haute), elle n’a pas fait baisser considérablement la fréquentation des lignes aériennes. Un Toulouse-Paris en 3h10 en TGV, au lieu de 4h10 actuellement, pourrait ne pas détourner des milliers de passagers de l’avion.
Qu’en sera-t-il des voitures avec un train Bordeaux-Toulouse mettant une heure ? C’est ce, qu’entre autres, les sceptiques de la LGV voudraient pouvoir mesurer. Afin de voir si cette promesse, comme celle de mettre les camions sur des trains, qui demandera sans doute bien d’autres efforts qu’une seule nouvelle ligne, méritent d’artificialiser toujours plus d’espaces.
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