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Morti, itinéraire en dents de scie d’un Diamant des Cités

Morti se présente comme le « gardien » du squat La Mine, dans le quartier du Grand Parc. Cet homme au parcours sinueux, du Maroc à Bordeaux, en passant par le Havre et la case prison de Gradignan, s’est affirmé dans le rap et le théâtre, avant de s’engager contre la précarité avec son association Diamants des Cités. Portrait.

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Morti, itinéraire en dents de scie d’un Diamant des Cités

Mohammed Sammoudi, dit Morti, 41 ans au compteur. Morti, parce que timor, en verlan. Le petit Mohammed. Tel était son surnom au Havre. C’est désormais ancré dans le marbre. Car l’homme est haut comme trois pommes et léger comme une plume. Mais attention, il déménage. Par ses mots. Son énergie Duracell. Ses convictions. 

À Bordeaux depuis plus de vingt ans, Morti s’est d’abord fait un prénom dans l’univers du rap et plus récemment dans celui de la précarité. Mais rembobinons. Car son histoire démarre à Oujda, une ville frontalière du Maroc, située à l’extrême nord-est du pays, à la limite du Rif Oriental. Le garçon est issu d’une « famille pauvre » de cinq enfants.

« Nous habitions une maison avec un grand jardin, un figuier, une vigne. J’étais la mascotte du quartier. Les grands venaient me chercher – c’étaient des trafiquants de drogues – et je passais mes journées avec eux. Ils m’offraient des pâtisseries, des boissons. »

« Je n’accepte pas l’injustice »

Morti est tout bébé quand son papa part rejoindre son frère à Paris, travaillant comme couturier. Le petit le voit donc peu, seulement lorsqu’il rentre au pays. Jusqu’à ce que la famille plie bagage et arrive en France. Le bateau d’abord jusqu’en Espagne. Puis, le train. Morti a six ans.

« Ce fut un déchirement. Tu pars vers l’inconnu. »

Durant plusieurs mois, la famille vit entassée dans un hôtel parisien.

« Ce n’était pas facile. Mais on s’habitue à tout ». Fort heureusement, le garçon se retrouve dans le même établissement scolaire que ses frères et sœurs. « On arrivait à s’encourager pour que cela se passe le moins péniblement possible. »

Quelques mois plus tard, direction Le Havre cette fois-ci, dans un T4, au Bois-de-Bléville. Un quartier populaire « avec très peu de mixité sociale et une mauvaise réputation ». Le papa est toujours couturier. La maman, elle, élève ses cinq enfants.

Premier jour d’école et première baston pour Mohammed. « J’ai défendu quelqu’un. Car je n’accepte pas l’injustice. » Sur le plan scolaire, il se qualifie « d’assez bon ». Il aurait aimé suivre une filière générale, « mais la conseillère de désorientation m’a dirigé vers un BEP Plomberie, une voie de garage. J’ai obtenu le diplôme, puis j’ai arrêté ».

Bordeaux, « une échappatoire »

Car, adolescent, il rêve d’autre chose. D’une autre vie et certainement pas celle qui lui pend au nez – la délinquance et ses sombres perspectives. Il aura pourtant mis un « bon pied » dedans, assume-t-il. Précisément dans le vol à l’étalage dans les grands magasins. Comme le Auchan, non loin de chez lui.

« Forcément, quand tu grandis dans un quartier avec beaucoup de délinquance, tu es un peu entraîné là-dedans via tes connaissances, tes copains. Tu y es presque obligé, au fond, sinon tu es disqualifié dans la cité. Tu te retrouves seul. »

Sentant qu’il allait « droit dans le mur », Morti finit par quitter Le Havre avec plusieurs de ses amis pour rejoindre Bordeaux, « une échappatoire ». Nous sommes début 2000.

Morti se présente comme le « gardien » du squat de La Mine, dans le quartier du Grand Parc, à Bordeaux Photo : DR/Rue89Bordeaux

« On a retourné le rap bordelais »

Dans la capitale girondine, il multiplie les petits boulots « pour survivre ». Et intègre, en parallèle, le collectif de rap bordelais Khalifrat, composé d’une douzaine de personnes « du 33 et du 76 ».

« A l’époque, on a retourné le rap bordelais. On dénonçait ce que l’on vivait, comme le racisme ou les discriminations dans nos quartiers, l’injustice. »

Influencé par les anciens du rap américain – Wu-Tang Clan, Tupac Skaur, Biggie – et français – IAM, NTM, La Rumeur – Morti faisait partie des plumes du collectif : « Je n’étais pas dans du quantitatif, j’écrivais plutôt quand j’avais un truc à dire. »

Il pondra notamment le titre « Jeu de clés » lors de son incarcération, à la maison d’arrêt de Gradignan (une peine d’un mois et demi, en 2014, pour usage et détention de stupéfiants). Le message de la chanson ? « Au fond, c’est celui qui a les clés qui décide. »

« En prison, coucher sur papier mes émotions, mes interrogations fut une réelle thérapie. Ce passage aura même été une force : en sortant de là, je me suis promis de ne plus jamais y retourner. Car sinon, la taule peut devenir l’école du crime où tu apprends tous les stratagèmes. »

Au placard, Morti trouvera également le moyen et l’énergie « de dénoncer les injustices ». Il se souvient notamment d’avoir écrit à « la Garde des Sceaux qui avait enclenché une enquête administrative à Gradignan. Car on subissait de la violence de la part de l’institution pénitentiaire ».

Lutte des classes

L’homme rature des pages blanches puis touche à d’autres branches, celle du théâtre, sur laquelle il est accroché depuis l’enfance, le CM1 précisément. Un peu honteux, il n’en parlait pas à ses potes du quartier havrais. « Dans une cité, ce genre de choses ne se raconte pas. Cette passion est simplement ancrée en moi. » Il obtiendra le premier rôle d’une pièce, Le Rallye Papa Noel, a fait partie des Petits Tréteaux, jouant des pièces engagées.

Il va également découvrir le cinéma grâce à son ami, Daouda Diakhaté. « J’ai bossé sur son premier court métrage, Bulles d’air, qui a remporté pas mal de prix. Il a même été présenté au Festival de Cannes, en 2019, durant la quinzaine des réalisateurs ». Une joie incommensurable couplée d’un sentiment de revanche.

« Je n’ai pas monté les marches officielles. Le tapis n’était pas rouge mais bleu. Mon plus grand plaisir ? Celui d’avoir été invité dans des soirées prestigieuses à Cannes. On était arrivé en mode ghetto avec nos paires d’Air Max. À côté de nous, on voyait des gens hyper bien fringués se faire refouler. C’était le monde à l’envers. J’étais fier. »

En 2022, Morti envisage de réaliser son premier film documentaire. Le pitch ? « Celui-ci retracera un projet de A à Z qui porte sur un travail de sensibilisation avec les enfants autour de l’écologie, entre Oujda (ville natale) et Bordeaux. L’idée est vraiment de construire des ponts entre les écoles de ces deux villes. »

Un déclic à la sortie de prison

Il faut aussi revenir sur son engagement social total. Le déclic est survenu peu de temps après sa sortie de prison, en 2014. 

« C’était l’hiver. J’avais oublié de fermer les fenêtres de mon salon. En rentrant chez moi, j’étais frigorifié. Et là, je me suis dit : des gens sont en train de dormir dehors. J’ai réfléchi et j’ai décidé de lancer une cagnotte pour organiser une maraude. Tout est parti de là. »

En juin 2020, il fonde l’association Diamants des Cités (une bonne vingtaine de bénévoles, aucun salarié). Qui organise notamment des maraudes, chaque vendredi soir, avec la distribution de repas et autres colis alimentaires, « entre 150 et 200 à Bordeaux et parfois dans sa métropole ».

Les bureaux sont installés dans le squat de La mine au Grand Parc. Il passe ses journées et quelques nuits dans cet immeuble occupé illégalement par une cinquantaine de personnes depuis septembre 2020. Le reste du temps, il habite dans une barre d’immeuble au 4e étage, juste en face. « Je surveille le lieu depuis ma fenêtre », sourire en coin. 

« Aider les gens, chez lui, est viscéral »

Si le bâtiment squatté doit être détruit l’année prochaine, Morti n’a finalement qu’un souhait : la mise à l’abri de ces familles, de ces hommes et femmes seules. L’homme ne lâchera pas le morceau, « jusqu’au-boutiste », glisse un travailleur social girondin. Isabelle Vallade, amie de longue date et fondatrice des Petits Tréteaux : 

« Il gêne les politiques. Il ne se met jamais en avant. Et puis il est acteur et non spectateur pour lutter contre la misère sociale. Comme moi, il fait de l’humanitaire sans complexe. »

Mehdi, alias Fils du béton et mentor du collectif Khalifrat, parle d’un homme « très généreux. Aider les gens, chez lui, est viscéral. Ça vient des tripes ». Quitte à s’oublier lui qui veut se marier et avoir des enfants. « C’est mon prochain gros projet. » Et un engagement en politique ? 

« Ma vocation n’est pas d’en faire. Car j’ai tellement à faire sur le terrain. Mais si je n’ai pas le choix, je me lancerai. On braquera la mairie de Bordeaux avec des sourires. »


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