Il porte fièrement son gilet jaune dans l’hémicycle, au point de devenir l’égérie locale du mouvement à Bordeaux. A 27 ans, Antoine Boudinet a fait son entrée au conseil municipal de Bordeaux, grâce à 9,39 % des suffrages au second tour des élections municipales le 28 juin 2020. Il y a constitué un nouveau groupe politique, Bordeaux en luttes, avec Philippe Poutou (NPA) et Evelyne Cervantes-Descubes (France insoumise).
Le jeune bordelais découvre les rouages de la politique au lendemain de ce qu’il qualifie de traumatisme : la perte de sa main par une grenade lacrymogène lors de l’acte IV des manifestations des Gilets jaunes, le samedi 8 décembre 2018. Entretien avec un élu déçu par la politique mais toujours militant.
Que reste-t-il de ce samedi 8 décembre ?
L’engament contre les violences policières. C’est une lutte que je ne menais pas avant, bien sûr, mais je n’étais pas aveugle non plus. Je connaissais l’affaire Théo, celle de Rémi Fraisse, mais je n’étais pas engagé, ni militant. Ce jour-là, je suis allé manifester par envie certes, mais aussi par hasard. J’aurais pu ne pas m’y retrouver.
« Ce n’est pas à moi de regretter, c’est à l’État »
Depuis ce jour là, je vis avec ce traumatisme. Je pourrais regretter ce que j’ai fait, d’avoir laissé mon frère à l’arrière du cortège pour voir ce qui passait à l’avant et me retrouver dans cette zone où on lançait des grenades. Mais est-ce que c’est à moi de regretter ? C’est à l’État de regretter d’utiliser des grenades contre les manifestants, c’est à Didier Lallement [préfet de la Gironde en 2018, actuellement préfet de Paris] de regretter de donner ses ordres, c’est à Christophe Castaner [ministre de l’Intérieur pendant le mouvement des gilets jaunes] de regretter de couvrir ces agissements. Pour moi, ce sont eux les responsables.
Aujourd’hui, vous êtes toujours Gilet jaune ?
Toujours ! Même si aujourd’hui le mouvement est plus discret. Après avoir perdu la main, je l’étais encore plus, j’y étais tous les samedis. Il n’était pas question d’être terrorisé par cette blessure. Au contraire ! J’étais encore plus motivé. C’est au delà du traumatisme. Cette blessure était le révélateur que quelque chose n’allait pas. Ce jour-là a tout fait basculer, et pourtant c’était ma première manifestation.
C’est cette motivation qui vous a conduit vers la politique ?
C’est le hasard des rencontres. Si je n’avais pas rencontré Philippe [Poutou], je n’aurais pas été sur la liste. S’il n’avait pas fait d’alliance, je n’y serais pas allé. Il fallait être collectif, les mutilés Gilets jaunes n’étaient pas encartés. Après il y a eu ce score qui nous a permis d’être élus, à 8 voix près…
« Pas sûr de faire tout le mandat »
Ensuite j’ai joué le jeu. Je ne voulais pas que cet engagement empiète sur ma vie privée [professionnellement, Antoine Boudinet est animateur périscolaire, NDLR]. Il me fallait un équilibre. Ce qui n’est toujours pas évident. Je ne suis d’ailleurs pas sûr de faire tout le mandat. Il est possible que je laisse la place à un camarade.
C’est un exercice qui ne vous convient pas ?
Dans un conseil municipal, en tant qu’élu dans un petit groupe d’opposition, on n’a pas de pouvoir. Cela a peu d’intérêt pour moi. On se doutait bien qu’on n’avait pas beaucoup de marges et, de ce fait, on n’avait pas beaucoup d’attentes.
Finalement, c’est assez violent de prendre autant de mépris de classe de la part de la gauche, comme de la droite. Même si on fait notre boulot avec nos valeurs, il n’empêche que la situation motive à retourner dans la rue, à continuer à manifester. Je suis plus militant que politique ! La politique est un monde que j’apprends à connaître, et plus je connais, moins j’ai envie d’en faire partie.
« On va finir par élire notre propre Trump, en la personne de Zemmour. Mais en réalité peu importe qui sera élu. »
Vous êtes déçus de ne pas être entendu ?
Nous avons été écouté sur une seule motion, celle pour les mineurs non accompagnés. Le moratoire sur l’utilisation des lanceurs de balles de défense (LBD) a été refusé. Le maire a botté en touche sous prétexte que ce n’était pas de son ressort mais de celui du préfet. Pourtant d’autres l’ont fait pour l’affirmer une position politique, même si l’arrêté municipal est ensuite invalidé, ce n’est pas grave. C’est pour marquer une position politique qui demande d’avoir du courage.
C’est une déception pour la cause des « mutilé.e.s pour l’exemple » ?
Des déceptions il y en a tout le temps. A chaque fois qu’on se prend un non-lieu, à chaque fois qu’on doit faire appel, à chaque fois qu’il faut refaire les démarches administratives… On continue de toutes façons. On ne va pas abandonner. L’idée qu’on va s’en sortir par un conseil municipal, une assemblée nationale, ou même l’IGPN (inspection générale de la police nationale) ou je ne sais quelle autre instance légale, je n’y crois plus. C’est dans la rue qu’on aura la solution. Ce sont les manifestants qui subissent les violences policières, ce ne sont pas les élus, ni les députés.
Par la voie politique, en France, on va finir par élire notre propre Trump, en la personne de Zemmour. Mais en réalité peu importe qui sera élu. On continuera de réclamer justice pour les classes sociales. Il faut renverser la table. Il faut revoir le système. Il faut d’autres modèles de société non-capitalistes, non-libérales… Il faut repartir à zéro.
Des nouvelles de votre combat juridique après cette blessure ?
Une instruction est ouverte depuis un an et j’attends les conclusions de l’enquête. On sait que les procédures mettent entre 8 et 12 ans. Je n’en suis qu’à 3 ans. Je ne suis pas inquiet. Je suis las, mais pas inquiet.
Chargement des commentaires…