C’est le premier rendez-vous culturel de l’année. Et pour 2022, il est toujours au programme et nous croisons les doigts pour qu’il le reste. Depuis sa création en 2004 par la compagnie de théâtre Les Marches de l’Été et son metteur en scène Jean-Luc Terrade, Trente-Trente défend une programmation de formes courtes, moins d’une heure, hybrides et pluridisciplinaires.
Pour sa 19e édition, Trente-Trente propose 11 artistes régionaux et 16 nationaux et internationaux du 18 janvier au 10 février 2022. 29 spectacles dont 9 créations, 4 étapes de création, et une avant-première, se dérouleront aussi bien à la Salle des fêtes du Grand Parc, à l’atelier des Marches, au Marché de Lerme, à la Halle des Chartrons, l’Hôtel Ragueneau, la Bakery Art Gallery et la Manufacture CDCN à Bordeaux, mais aussi au théâtre des Quatre saisons à Gradignan, sous le Chapitô à Bègles, ou encore à l’Agora à Boulazac (24).
Trois questions à Jean-Luc Terrade
Comment avez-vous conçu cette édition 2022 dans ce contexte de crise sanitaire ?
J’aimerais, pour répondre à cette question, évoquer la thématique qui s’est imposée à cette édition. On peut déjà parler d’un thème commun à tous les spectacles : le rapport au corps. Il est abordé d’une façon générale, par le geste ou la voix. Il s’agit d’un rapport qui part de l’intime du corps présenté, pour parler in fine à l’universel. Selon moi ce thème a d’autant plus de sens après la crise sanitaire qui a éloigné les corps entre eux.
Il se trouve également que nos propositions sont à 80% des solos ou des duos. Ce qui était à la base une contrainte financière, est devenu un choix de Trente-Trente : souvent dans la performance ce sont des artistes seuls qui présentent leur travail. Je citerais en ce sens Volmir Cordeiro, mais aussi Steven Michel, ou encore François Chaignaud : même s’ils travaillent aussi avec des pièces de groupe, une partie de leurs travaux est un travail en solo.
Ce format est le plus intime, et il est très difficile à obtenir, encore plus après le confinement. Car quelque part, l’idéal de l’intime est d’enlever au maximum les barrières entre l’artiste et le spectateur, or depuis presque deux ans nous n’arrêtons pas d’en établir des barrières. Par nécessité bien sûr, mais pas sans impact sur le monde du spectacle vivant. D’où l’interrogation plus grande encore cette année sur ce type de format, en espérant que ce lien à l’intime reviendra, et que l’on pourra le retrouver.
Et du côté de la programmation ?
Parmi les compagnies et artistes invités, une intention particulière a été de mettre en lumière les talents locaux, plus d’un tiers de la programmation. La première raison à cela est qu’avec le confinement, les programmateurs ont moins eu la possibilité de se déplacer pour découvrir de nouvelles créations en résidence. Mais au-delà de cette contrainte, je pense qu’il est essentiel de s’engager et de soutenir nos artistes en région. Hors circuits, ou hors institutions, créer et présenter leur travail a été d’autant plus difficile.
Parmi les propositions made in Nouvelle-Aquitaine, nous allons présenter le travail passionnant de Sophie Dalès, ou encore de Sthyk Balossa que je suis depuis plusieurs années. Comme le duo Éric Charron et Annabelle Chambon qui présentera sa nouvelle création. Ou comme Yacine Sif El Islam qui portera une parole très forte avec Sola Gratia.
Il faut noter qu’il y a un suivi des artistes. Nicolas Meusnier, qui va proposer Sitcom et Heartbreaker(s), est l’un des rares artistes parmi celles et ceux que j’ai rencontrés qui travaille à partir de son vécu (sa famille, sa vie…). Il faut citer également une chorégraphe russe qui vit à Bordeaux, Nadia Larina, qui surprendra j’en suis sûr avec le duo Every drop of my blood. En juin 2021, Nicolas et Nadia ont d’ailleurs participé, durant l’édition tronquée de Trente-Trente [seules les résidences à huis-clos ont été maintenues en janvier 2021 en raison de la crise sanitaire NDLR], à un stage passionnant avec Steven Cohen, qui pour moi est LE performeur.
Sans oublier Leila Ka ! Elle va présenter le troisième volet de son triptyque de danse, Se faire la belle. Cette artiste avait dévoilé son premier solo à Trente-Trente il y a quelques années, qui à présent tourne partout.
C’est notre objectif de pouvoir proposer un grand nombre d’artistes au début de leur parcours artistiques pour qu’ils puissent être découverts par des programmateurs et diffuseurs durant les rencontres, comme ce fut le cas par exemple pour Claudio Stellato.
Est-ce que cette crise qui dure maintenant depuis deux ans a changé votre manière de travailler ou celle des artistes que vous suivez ?
Par goût et par choix, j’aime les formes atypiques, singulières et dérangeantes car je pense tout simplement que l’art doit bousculer. Ce qui n’est pas évident d’ailleurs, car pour vraiment bousculer, il faut que l’artiste lui-même se mette en danger sur le plateau. C’est ce point qui revient souvent dans ce contexte portant encore de nombreuses inquiétudes et interrogations.
Il faut aussi que le public suive. Il doit se rendre disponible pour recevoir quelque chose, et se défaire des codes habituels et des idées conformistes. Il doit accepter la parole de l’autre en abandonnant la sienne. Si l’on garde trop de codes, nous n’irons pas chercher ailleurs une parole différente. Avec la performance et l’art alternatif, quelque part, les gens sont obligés de lâcher prise. Dans l’absolu, c’est pour cela que Trente-Trente porte une programmation hybride, et avec encore plus de conviction après deux ans de contraintes imposées.
Il y a 20 ans lorsque nous avons créé le festival, le côté expérimentation était assez rare. C’est pour cela que dès le départ j’ai également voulu créer un festival où tous les arts se mélangent pour que le public ne soit pas mis dans des cases, que le public de théâtre soit mélangé à celui de la musique, des marionnettes, etc.
La crise aujourd’hui, avec ces contraintes, nous offre de nouveaux champs d’expérimentation. Les voies sont différentes pour y arriver, mais l’objectif reste le même : interroger le monde, et le rôle de l’art. Ce qui serait une mauvaise direction, ce serait de l’aborder d’une manière frontale. Je pense qu’il faut passer par une fiction ou un rêve, de façon plus abstraite, car si nous interrogeons le monde de façon trop frontale, nous ne pouvons pas aller très loin dans la réflexion collective comme individuelle.
Toutes les informations sur le site internet du festival
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