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A l’Opéra de Bordeaux, Emmanuel Hondré promet « des propositions qui ont du sens pour les citoyens »

Arrivé à son poste plus tôt que prévu, le nouveau directeur de l’Opéra de Bordeaux dit vouloir partager ses idées « avec ceux qui fabriquent et font la vie musicale à Bordeaux, en métropole et sa région ». Il tient cependant à ce que le lieu « se dépasse lui-même » en l’ouvrant à des ateliers de sensibilisations et autres styles musicaux. Entretien.

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A l’Opéra de Bordeaux, Emmanuel Hondré promet « des propositions qui ont du sens pour les citoyens »

Le nouveau directeur de l’Opéra de Bordeaux n’aime pas trop parler de lui, ni de son parcours, « ce qui compte c’est l’action et le temps présent » rétorque-t-il. C’est en cherchant sur internet qu’on saura qu’il est né à Laval en 1968. Qu’il est docteur en musicologie et titulaire de quatre premiers prix au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Qu’il a été professeur de flûte traversière et d’histoire de la musique avant d’intégrer la Cité de la musique.

« J’ai grandi avec des parents qui aimaient la musique mais qui habitaient à la campagne, assez isolés. Quand on est désireux de pratiquer la musique étant dans une zone éloignée, à des kilomètres d’un conservatoire, on a du mal à trouver un sentiment commun avec les autres élèves, un sentiment de groupe. »

Nul doute que cela a forgé la sensibilité d’Emmanuel Hondré, très attentif à certains projets comme Démos [voir ci-contre]. Le Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale a vu le jour en 2010, initié et coordonné par la Cité de la musique – Philharmonie de Paris. Au sein de cette dernière, le nouveau directeur de l’ONBA a été, entre autres, responsable du service culturel du musée de la musique et directeur du département concerts et spectacles, fonction qu’il occupait encore avant son arrivée à Bordeaux.

En poste depuis le 17 janvier 2022, Emmanuel Hondré a accordé à Rue89 Bordeaux un entretien pour expliquer son projet d’ « Opéra citoyen », qui lui a valu sa nomination par le maire de Bordeaux, ainsi que ses ambitions pour la ville, voire la région.

Emmanuelle Hondré Photo : Nora Hougenade

Un projet amené à évoluer

Rue89 Bordeaux : On vous attendait en septembre 2022, pourquoi cette prise de fonction anticipée ?

Emmanuel Hondré : Marc Minkowski [le précédent directeur, NDLR] m’a proposé de reprendre le flambeau prématurément pour me permettre de finaliser la saison 2022-2023. J’étais déjà à Bordeaux à mi-temps depuis le mois d’octobre pour préparer la transition. Je remercie d’ailleurs Marc Minkowski pour sa confiance.

Pourquoi avez-vous choisi de vous porter candidat au poste de directeur de l’Opéra de Bordeaux ?

J’aime le double visage de Bordeaux, entre tradition et modernité. Il y a une énergie. C’est une ville en mutation, intéressante et inspirante. C’est aussi le cas de son Opéra : le Grand théâtre étant la tradition, mais évidemment il y a aussi l’auditorium. Je trouve le dialogue entre les deux lieux riche et stimulant. A l’échelle de la métropole, on peut s’attendre à un plus grand dynamisme.

Pourquoi, selon vous, Pierre Hurmic vous a choisi ?

Il faut lui demander !

A votre nomination, il avait dit de vous que vous étiez « l’homme de la situation » avec un projet intitulé « Opéra citoyen »…

J’ai trouvé ce titre, Opéra citoyen, pour définir mon projet, mais ce sont des mots pour résumer des idées que je veux défendre et que je veux construire avec les équipes de l’Opéra, les musiciens, les danseurs, les partenaires… Je vais certainement changer beaucoup de choses par rapport au projet initial qui va certainement évoluer.

Les publics sont des partenaires

Que pouvez-vous nous dire de ses grandes lignes ?

Je ne vais pas appliquer mon projet d’une manière autoritaire. J’arrive avec des idées et je veux les partager avec ceux qui fabriquent et font la vie musicale à Bordeaux, dans sa métropole et dans la région. J’ai bien en tête une idée assez forte, qui est de considérer qu’un lieu de concert se dépasse lui-même, c’est-à-dire soit davantage qu’une salle où l’on vient simplement pour voir un spectacle ou écouter de la musique. Tout simplement parce que quand vous écoutez de la musique, vous êtes certes attentif mais vous n’êtes pas actif.

L’innovation de la Philharmonie de Paris a été de constituer à côté de ses cinq lieux de concerts, des lieux de pratiques et des salles-ateliers. Cela a permis de créer entre 7 et 9000 séances d’ateliers chaque année. C’est colossal. Je ne vais pas faire la même chose ici mais j’aimerais commencer l’année prochaine des séances d’ateliers régulières pour que ceux qui s’intéressent à la pratique de la musique puissent le faire, même s’ils n’ont pas été dans des conservatoires ou des écoles, même si c’est juste pour une seule fois. On peut aussi imaginer que les parents viennent aux concerts et les enfants, pendant ce temps-là, aux ateliers.

On dit souvent qu’il faut commencer la musique très jeune, sinon c’est trop tard. Ceci exclut beaucoup de personnes. Il y aura donc des ateliers pour tous les âges. C’est une manière de rendre plus accessibles le geste et la pratique musicale. Que ce soit juste pour une heure ou pour toute une année, la séance imprime la pratique en vous. Vous commencez à sentir ce qui se fait sur scène. Symboliquement, c’est une manière de ne plus considérer les publics comme des clients ou des consommateurs, mais comme les partenaires d’un acte musical.

Dialoguer avec des sujets de notre temps

Qu’est ce que ce projet apporte à la programmation de l’Opéra, souvent considéré comme réservé à une élite ?

Proposer des programmes qui ont du sens pour les citoyens, du sens pour ceux qui les écoutent. Je vais faire des choix menant vers des grandes questions de société et qui seront en dialogue avec des sujets de notre temps. Il ne faut plus avoir l’impression d’un Opéra patrimonial vivant en parallèle du monde contemporain.

Pour illustrer vos propos, vous avez évoqué Carmen comme exemple en lien avec les violences conjugales… Est-ce que cette vision ne restreint pas la programmation à des faits de société et ne contraint pas la culture à devoir répondre à un cahier de charges ?

Oui, effectivement. J’insiste tellement sur cette notion qu’on en oublie l’émerveillement et le divertissement, la découverte et la curiosité. En fait, idéalement, les choix de la programmation seront à divers étages. Tous ceux qui veulent voir un sujet politique pourront en voir un, ceux qui veulent du divertissement verront du divertissement, ceux qui veulent voir de l’émerveillement verront de l’émerveillement… Ceux qui s’intéressent au cinéma, à la photo, ou à l’histoire, doivent aussi pouvoir trouver un intérêt.

C’est ce que je vais essayer de mettre en avant, sans donner une vision restreinte mais plutôt en empilant les angles. Vous verrez lors de la programmation de la saison prochaine, des propositions en phase avec les débats de société.

Des exemples ?

Je ne vais rien dévoiler de la programmation encore. Ce que je peux vous dire est qu’il est important pour moi de mettre dans un même lieu différents styles de musique. Non pas pour varier les plaisirs mais pour montrer du respect entre les genres. Il n’y a pas une grande musique, la musique classique, et des sous-musiques : jazz, pop, électro, musiques du monde…

On a déjà vu Jeff Miles à l’auditorium ou Bartabas au Grand Théâtre. Il est aussi prévu Iggy Pop et l’ex Daft Punk Thomas Bangalter en 2022. Poursuivrez vous dans cette voie ?

Je vais continuer en tout cas et, si c’est possible, densifier les propositions.

Responsabilité et respect

Cette diversité contribue à votre projet d’Opéra citoyen ?

Il y a un mot qui compte beaucoup, c’est celui de responsabilité. Un Opéra citoyen veut aussi dire que chaque membre de l’Opéra de Bordeaux – nous sommes entre 350 et 400 : des interprètes, des chanteurs, des danseurs, équipe administrative, équipe technique… –, chacun doit se sentir responsable de la place de la musique dans la société. Chacun doit se sentir investi de ce sens que nous avons pour les autres.

C’est une responsabilité de trouver un public plus large. Si l’artiste admet que le public est trop homogène, que ça sent de l’entre-soi, il est de sa responsabilité d’aller vers de nouveaux publics et de s’intéresser à eux.

Est-ce que ce que ça ne rejoint pas la notion des droits culturels chers à l’actuelle majorité municipale ?

Vous me verrez rarement évoquer ce mot là : droits culturels. Jusqu’à maintenant, je ne l’ai pas fait. Je n’ai évidemment rien contre parce que je trouve même cela très intéressant si on est d’accord sur le sens qu’on donne à cette expression. Je constate tellement de malentendus que je me méfie de certains mots. Le sens de droit culturel qui me semble intéressant, c’est de définir comme une sorte d’obligation morale de respecter l’autre et sa culture, et de fonder une relation sur un dialogue.

Ce qui m’intéresse, c’est le fait d’insister sur le lien qu’il y a entre les personnes, et celui qu’une création culturelle met entre les personnes. Et je reviens aux ateliers que j’évoquais précédemment, pour donner encore plus de sens à une œuvre. Ça passe évidemment par du respect.

Est-ce que, si on s’en tient au respect, une œuvre comme Le Bourgeois gentilhomme de Molière, qui était sur votre scène récemment, aurait-elle sa place puisqu’elle moque un personnage turc et sa langue ?

On peut dire que la satire de l’univers ottoman dans cette pièce peut prêter aujourd’hui à débat. Mais la question est : est-ce qu’on peut se moquer de la culture de l’autre ? est-ce qu’on peut la rallier ? Depuis Charlie, on sait que l’humour est un droit, qui est même établi.

En même temps, il ne faut pas franchir le seuil de l’agression. Dans cette pièce, je n’ai pas senti d’agression puisque tout le monde est tourné en dérision. Tout le monde a un petit côté « bourgeois gentilhomme ». Si on ne voit que la dérision de l’autre, c’est qu’on n’a pas bien regardé chez soi !

Travailler avec les territoires

Il y a plusieurs mouvements sociaux et des revendications syndicales au sein de votre institution, de quelle manière allez-vous les gérer ?

La priorité est le retour à un dialogue social, que j’espère apaisé et constructif. Nous avons déjà eu des échanges avec les partenaires syndicaux. Ces échanges vont devenir formels. Ce sont des instances importantes à mes yeux que je ne considère pas comme des instances d’opposition. Nous ne sommes pas d’accord sur tout. Nous allons avoir probablement des rapports de force. Je ne le chercherai pas, mais ça peut arriver.

Où en êtes vous des recrutements pour la direction musicale et direction lyrique ?

Le processus va être mis en route. Il est important de savoir dans quels délais et comment nous allons faire. Pour l’instant je suis incapable de le dire. Je vais choisir la meilleur option après avoir consulté tout le monde. Je ne vais pas imposer. Choisir un directeur ou une directrice musicale, c’est choisir quelqu’un qui va faire travailler les artistes ici. De ce fait, il faut que je connaisse mieux les artistes.

L’Opéra est pointée par les autres acteurs culturels comme étant la structure la plus couteuse dans le budget de la Ville. Comment prenez-vous cela ? Pensez-vous qu’il y a une meilleure répartition possible, ou qu’il est nécessaire de confier l’équipement à la métropole ?

Le budget total de fonctionnement est de 30 millions d’euros (M€). La Ville apporte 16 M€, l’État 5M€ et la Région Nouvelle-Aquitaine 1M€. Le reste vient principalement de la billetterie. 16M€, c’est un cinquième du budget de la culture à Bordeaux qui est au-delà des 70 millions…

Pour ce qui est de la métropolisation, c’est trop tôt pour moi d’avoir un avis. Ce qui me semble un argument très important, c’est que la moitié du public de l’Opéra vient de la métropole et au-delà, et l’autre moitié de Bordeaux. Donc je comprends qu’il y ait un sujet.

Une métropolisation pourrait donner une autre dimension à votre projet citoyen ?

Il y a des cercles concentriques et Bordeaux en est le cœur. Ensuite la métropole, le département et aussi la région. Ce sont effectivement des priorités. Démos est un projet intéressant et très structurant pour nos liens avec le département. Il a un dialogue entre les structures à établir en région, notamment comment réfléchir aux tournées… C’est mon désir de structurer ces liens.

Et ainsi rattraper la subvention de la Région qui a été revue à la baisse ?

Il faut reprendre le débat pour savoir pourquoi il y a eu cette baisse et voir ce que je peux apporter. Il faut croiser des attentes.

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