Choses revues dans Bordeaux et ailleurs de Dominique Boudou (éd. Aux cailloux des chemins) est un recueil de textes courts, autant de vignettes pleines de trouvailles, d’humour et de nostalgie que Boudou ramène de ses vagabondages dans Bordeaux. Il faut un talent tout particulier pour réussir cet exercice et Boudou y parvient avec une délicatesse et une pénétration qui ont donné au lecteur que je suis un de ses plus grands plaisirs du moment.
Boudou revient sur les mêmes lieux, de Bacalan aux allées d’Amour – le tram lui est un poste d’observation sans égal – ; il rêve à partir des choses et des passants qu’il croise.
« La vue au ras des pâquerettes sur les bouts de pelouse entre les rails du tram n’est pas facile. Le veilleur le sait. Les araignées livrent une guerre sans merci aux fourmis et le sol tremble en permanence. » (Rue Achard 12, p.72)
« Un homme regarde une poche en plastique poussée par le vent vers les quais […] L’homme ne bouge pas. Les voitures autour de la place non plus. Il n’y a que le mouvement de la poche. Et son silence. Quand l’homme reprend enfin sa marche, il n’est plus sûr de savoir où il va. Mais l’a-t-il jamais su ? Quelle différence vraiment entre un homme seul et une poche poussé par le vent ? » (Place des Quinconces, 7, p.56)
Vision décalée
Boudou sait s’arrêter pour laisser le lecteur poursuivre son chemin. S’il n’aime pas, et on le comprend, la laideur de la société marchande dans laquelle nous vivons, s’il regrette qu’elle recouvre les traces d’un monde d’avant – « La vie moderne est un montage express. La mémoire peine à suivre et s’oublie » (Rue Achard, 11, p.68) –, il continue de croire que la vision décalée, la fenêtre ouverte sur une lumière improbable, le vol d’un oiseau ou le regard d ‘un chat, en un mot la poésie est la seule issue possible.
« Que serait le réel sans l’invisible qui le soutient ? Emma devine que les mots n’en finissent jamais de chercher la réponse et ouvre au hasard quelques livres de poésie. C’est là que la patience résiste à l’épreuve des marges. » (Rue Vital Carles, 13, p.90)
Que Dominique Boudou continue à être le veilleur qu’il est et à nous réveiller de nos indifférences et de nos lassitudes pour, à notre tour, veiller sur ce qui demeure – si fragile.
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