« Nos élèves méritent mieux que ça », peut-on lire sur les stickers. Il est un peu plus de sept heures ce jeudi 3 février, et le jour n’est pas encore levé, mais une cinquantaine de personnes est déjà regroupée devant les grilles du lycée lormontais Élie Faure. Pendant qu’une partie des organisateurs prépare le petit-déjeuner sous une tonnelle, plusieurs militants – CGT, FO, Gilets jaunes – habillent les barreaux de l’établissement avec banderoles, drapeaux, pancartes.
Le lycée Élie Faure est l’unique lycée en éducation prioritaire de Gironde. S’il prend place au sein d’un quartier d’habitat social, et que 40% de ses élèves sont issus des catégories socio-professionnelles défavorisées, il ne bénéficie pas d’un traitement de faveur de l’Académie de Bordeaux.
300 heures ont ainsi été supprimées depuis 2018, entraînant le départ de 20% des enseignants. Résultat : moins de profs, davantage d’élèves par classe (35 l’année prochaine), et une offre éducative fragilisée dans certains enseignements.
« Les élèves vont avoir des conditions d’apprentissage moins propices au progrès »
Et l’hémorragie pourrait se poursuivre l’année prochaine : la dotation horaire globalisée prévoit 140 heures en moins, soit une suppression d’environ 8 postes. Motif : une réduction de l’effectif estimée à 45 élèves, sur plus de 1000 actuellement. Trois classes pourraient être fermées, dont une des 7 terminales générales.
Les manifestants sont rejoints par des lycéens étonnés par ce rassemblement et attirés par le café et les croissants. Ils entonnent chants, slogans et discours, afin d’alarmer sur la mise en péril du fonctionnement du lycée par les services académiques.
Si Sébastien, professeur d’anglais, rigole avec ses élèves, il estime que ceux-ci auront « des conditions d’apprentissage moins propices au progrès » :
« Les demi-groupes vont être supprimés, ça ne va être que des cours à 33, constate-t-il. Prendre la parole, s’occuper individuellement des élèves : au fur et à mesure, ça disparaît. Je suis aussi prof de cinéma. Comme c’est une option, je ne sais pas si ça va être financé l’année prochaine. »
Inquiets pour le bac
35 par classes l’année prochaine, c’est « beaucoup trop » pour Marine, élève en classe de première, surtout si les jeunes ont des difficultés.
« Je n’imagine pas l’état des classes s’ils suppriment 7 postes, elles vont être surchargées. Pour l’écoute, ça va être un vrai problème. Je suis inquiète pour l’année prochaine car c’est l’année la plus importante, celle où on va préparer le bac. C’est pour ça qu’on est venus ce matin. »
La surcharge menace particulièrement les cours de langues et de sciences, matières nécessitant des effectifs plus réduits (entre 18 et 24 élèves) pour un apprentissage qualitatif. Le constat est similaire pour les enseignements de spécialité, indique Camille, également élève de première :
« Apprendre des nouvelles matières à plus de 30 par classes, c’est vraiment galère. L’année dernière, on avançait bien mieux en demi-classe. »
« La fracture sera énorme »
Natacha enseigne les SVT à Élie Faure. Dans l’éducation nationale depuis 27 ans, elle a aujourd’hui le sentiment de travailler sur une planche savonnée. Avant de récupérer sa classe pour le premier cours de la journée à 8h, elle explique avoir l’impression de ne pas pouvoir aider ses élèves correctement :
« A Élie Faure, on a beaucoup d’élèves qui sont en difficulté. On proposait des structures d’aides individualisées entre midi et deux : des « SOS » en Maths, Physique, SVT, Français… Mais si on a un effectif de 35 par classe, la démotivation va nous gagner. On n’aura plus le temps et l’envie de consacrer des heures supplémentaires à ces coups de pouce. La fracture sera énorme entre ceux qui sont aidés chez eux dans leur travail personnel et ceux qui ne le sont pas. »
L’enseignante met en cause les contournements de carte scolaire, qui font que beaucoup d’élèves qui devraient être scolarisés à Élie Faure s’inscrivent aux Iris, l’autre lycée du quartier.
« On a un vrai soucis de perte d’élèves, on attend que le directeur académique des services de l’Education Nationale (DASEN) répartissent les élèves en fonction de leur dossier. Il y a deux ans, il avait fait un rééquilibrage : des élèves destinés aux Iris étaient venus chez nous. Aujourd’hui, ils sont très heureux d’être ici, et cela nous a permis d’avoir des classes avec une vraie hétérogénéité positive. Si on a que des élèves en difficulté, on ne peut pas aider tout le monde. »
« Quelle est la vision politique derrière ? »
Aujourd’hui, les enseignants reprochent carrément aux services académiques d’organiser des baisses d’effectifs en autorisant des dérogations de secteur. Un salarié du lycée l’interprète comme des rétorsions suite aux précédentes mobilisations des professeurs à Élie Faure. Contacté par Rue89 Bordeaux, le rectorat n’a pas donné suite.
Émilie a contribué à introduire à Élie Faure l’option latin, qu’elle enseigne. Derrière le micro, cette passionnée de lettres classiques ajoute qu’un agent parti à la retraite ainsi qu’une assistante sociale absente depuis mars 2021 n’ont toujours pas été remplacés. Après avoir posé le micro et avalé quelques gorgées de café, elle fait part de son désarroi :
« Les suppressions de postes seront actées la semaine prochaine, mais on est regroupés par groupes de disciplines, donc on n’a aucune vision globale. Ça a été un coup de massue, on ne comprend pas ce qui nous arrive. Pour nous, la situation est vécue comme une injustice, c’est extrêmement violent. On devrait justement donner plus à ceux qui ont moins, mais cette année, on a vraiment l’impression que c’est l’inverse qui se passe. Quelle est la vision politique derrière ? »
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