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France Desneulin, la musique pour ne plus taire les violences conjugales

France Desneulin est pianiste au conservatoire de Bordeaux et au Pôle supérieur de musique d’Aquitaine. Dimanche 6 mars, elle dirigera le chœur Hémiole, à Mérignac, pour un concert caritatif au profit de la Maison d’Ella, qui vient en aide aux femmes victimes de violences. Elle-même abusée par son ancien conjoint, la musicienne a souhaité raconter comment elle est sortie de son emprise.

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France Desneulin, la musique pour ne plus taire les violences conjugales

C’est ce que l’on voit en premier en arrivant dans la pièce. Un piano à queue noir, sur lequel s’entremêlent des partitions. France Desneulin habite une jolie bâtisse du vieux Lormont, avec un jardin en pente. Pourtant, elle dit qu’elle « n’aime plus trop cette maison », qui lui rappelle des scènes qu’elle voudrait oublier.

Ce dimanche 6 mars à Mérignac, elle dirigera, pour la première fois, un chœur. Celui de l’Ensemble vocal Hemiole, qui proposera un concert caritatif au profit de la Maison d’Ella, avec un répertoire allant de Gershwin à Charles Trenet.

« Le chant choral est en cela magique qu’il vous fait oublier le pire grâce au partage des voix », estime la musicienne.

France Desneulin grandit à Tours où elle débute l’apprentissage du piano à l’âge de 9 ans. « Pour ma mère, dans les années 70, l’ascenseur social passait par les cultures classiques », explique t-elle. « Élève brillante », elle quitte l’école après le collège pour se consacrer à l’étude du piano, passe son bac en candidate libre. La jeune musicienne se produit alors aussi bien dans l’Hexagone qu’à l’étranger.

En 2005, elle est recrutée au Conservatoire de Bordeaux comme pianiste accompagnatrice. Elle travaille également au Pôle supérieur de musique d’Aquitaine et met en scène des spectacles. Mais derrière les représentations et les salles de concert, la vie privée de France Desneulin a pendant des années oscillé entre « la peur, la honte et la culpabilité ».

Le deuxième homme

Après un premier amour rencontré à l’âge de 18 ans, avec qui elle a deux enfants, France Desneulin rencontre le « deuxième homme » de sa vie en août 2007, via un site de rencontres. Il a deux enfants aussi, possède une entreprise de menuiserie dans le Pays Basque. Au premier coup de téléphone, qui dure une heure, il « parle pendant 58 minutes », se souvient France Desneulin.

Ils se rencontrent « en vrai » à Bordeaux, déjeunent dans un restaurant à Saint-Michel. S’ensuit une balade dans la ville, où l’homme « lui prend la main », sans rien lui demander, qui ressent une « espèce de sidération ». « Parce qu’on est bien élevé, on n’arrive pas à dire les choses », explique t-elle.

France Desneulin, chez elle, à Lormont Photo : VB/Rue89 Bordeaux

Pendant trois ans, ils se fréquentent sans habiter ensemble. Possessif et jaloux, il la quitte au bout d’un an de relation. Puis il revient, l’attend en bas de chez elle, « l’air penaud ». France Desneulin l’excuse. En septembre 2010, il « lâche son entreprise du jour au lendemain » et vient s’installer chez elle, avec ses deux filles. Pour France Desneulin, c’est là que « ça commence » :

« Il avait 18 000 euros de dettes. Il était interdit bancaire, il a fallu solder l’entreprise. Je me suis occupée de ça personnellement. Pendant un an, il vivait avec ma carte bleue. Je lui payait tout. Nous n’avons jamais partagé financièrement l’eau, le gaz, les charges… Je prenais en charge toute la maisonnée. »

France Desneulin prend en charge l’éducation des quatre jeunes filles, celles de cet homme et les siennes. À la maison, l’ambiance change quand « il » est là :

« Quand on entendait tourner la clé en bas, son pas dans l’escalier, les enfants allaient dans leur chambre. Y compris ses filles. Nous étions soulagées quand nous passions une journée sans sa présence. »

Le rose et le noir

France Desneulin décrit son existence comme un « mélange de deux couleurs » :

« Il y a du rose et du noir. Au début, il n’y a que du rose, puis une touche de noir. Petit à petit, ça s’équilibre. Et puis, vous vous réveillez, il n’y a plus que du noir. C’est trop tard, vous êtes isolée, vous avez honte, vous gâchez votre énergie à cacher aux autres ce qu’il vous arrive. »

À l’instar d’autres femmes victimes de violences conjugales, elle a subi les mécanismes de l’emprise :

« Au début, vous êtes la princesse, la plus belle. Il fait tout pour vous. Mais au fil du temps, vous n’êtes plus rien. J’étais dans cette maison, mais je n’avais plus le droit de parler à table. Je n’étais plus regardée, plus écoutée. »

France Desneulin dit que son ex-compagnon n’a jamais levé la main sur elle, mais décrit des violences psychologiques et des humiliations à répétition. Elle se souvient aussi, douloureusement, des viols conjugaux, « le pire ». Lorsqu’il la « réveille au milieu de la nuit ou à 5 heures du matin », même lorsqu’elle fait chambre à part. « Votre corps ne vous appartient plus », décrit-elle.

Le déclic

Et puis, il y a eu la « fois de trop », où France Desneulin a dit « non ». Son ex-compagnon vient lui réclamer un énième chèque, mais elle refuse. Le ton monte :

« Il m’a dit qu’il allait tout casser, me casser la gueule. Il est arrivé vers moi les poings fermés. Je savais que j’allais mourir. Sa fille s’est interposée entre nous, comme une feuille de papier à cigarette. »

À ce moment, recroquevillée sur le sol de la cuisine, elle a un « trou de mémoire ». Elle raconte se lever, « prendre un sac mais ne rien mettre dedans », et s’enfuir. Elle n’a plus de téléphone, ce dernier a volé en éclat, lancé par son ex-compagnon. Aujourd’hui encore, le carrelage de la maison en porte les stigmates.

France Desneulin trouve refuge dans son club de danse. Le lendemain, elle part vivre chez sa sœur, à Poitiers. Pendant les mois qui suivent, elle présente un état de stress post-traumatique. Elle bégaye, n’arrive plus à parler. Après une première main courante déposée à Poitiers, elle dépose plainte à Bordeaux, en avril 2021. Une démarche « difficile » car il faut « tout raconter », apporter des preuves alors qu’il n’y a pas de témoin. Aux « autres femmes », France Desneulin voudrait leur dire qu’il « faut tout enregistrer ».

Les Autres

Aujourd’hui, France Desneulin est suivie au Centre médico-psychologique de Lormont (CMP) et à la Maison d’Ella. Une structure salvatrice dans laquelle elle retrouve des femmes qui ont vécu la « même histoire ». Elle tient aussi à saluer le travail des soignants, qui lui ont « sauvé la vie ». « Il faut aider les aidants », eux aussi confrontés à un « sentiment d’impuissance » face aux violences conjugales, affirme la pianiste.

À Bordeaux, France Desneulin évite « d’aller en ville toute seule ». Constamment « sur ses gardes », car son ex-compagnon vit toujours ici. L’écriture et la musique composent l’après. Elle voudrait écrire un spectacle, qui s’appellerait « Les Autres » :

« Ceux qui ne vous croient pas, ceux qui vous disent de ne pas s’inquiéter, ceux qui disent “il ne t’a jamais frappée”, ceux qui tournent la tête, ceux qui vous fuient, ceux qui vous disent que c’est juste une dispute de couple. »

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#Maison d'ella

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