Après la vérification des documents au Bureau d’aide aux réfugiés du Centrum Handlu i Magazynowania Korczowa Dolina (centre commercial devenu camp d’accueil), le policier se retourne vers les familles installées dans les hangars : « Quelqu’un veut aller en France ? » Quelques mains se lèvent. Des femmes et des enfants s’avancent timidement.
« Où ? ». « Pauillac » répond Florent Fatin. Le maire de la commune du Médoc tend son téléphone affichant la localisation de sa ville sur Google Maps.
« Un moment à la fois difficile et étonnant, raconte l’édile à Rue89 Bordeaux. On se retrouve en quelques minutes sur le parking avec 8 réfugiés. Une femme et ses deux enfants ados, une femme avec deux jeunes enfants en compagnie de sa sœur et d’une amie. Elles ont quelques affaires dans des sacs de sport. Les deux groupes ne se connaissent pas et tous sont sur le point de partir à plus de 3000 kilomètres de chez eux. C’est une situation incroyable ! »
Ces réfugiées ukrainiennes étaient arrivées depuis deux semaines à Przemyśl, une ville polonaise qui se trouve à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne.
Images terribles
Florent Fatin n’était pourtant pas tout à fait sûr de mener cette opération ainsi. Le mardi 15 mars, il quitte Pauillac avec un chargement de produits d’hygiène et des médicaments fournis par les pharmacies de sa commune, de la nourriture et du matériel offerts par les commerçants. Et « un appel lancé la veille aux habitants pour répondre à une liste de biens demandés par des ONG sur place, a permis de réunir des dons en quelques heures ».
Deux véhicules sont chargés à ras bord – le mini-bus de la mairie et un camping-car mis à disposition par la Maison du tourisme et du vin de Pauillac. Le directeur de celle-ci, Fabrice Fatin, père de l’édile, et son oncle, William Fatin, participent aussi à l’expédition, tout comme Pierre Revelle, adjoint à la culture. Le convoi prend la route à 10h.
« J’ai un petit garçon de 4 ans qui a connu l’hôpital pour un problème grave, raconte le maire. C’est une épreuve qui m’a marquée. Quand j’ai appris la semaine dernière que la maternité de Marioupol a été bombardée, avec des images terribles, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose pour aider ces gens dans cette tragédie. J’ai évoqué la question avec des élus de la majorité. Tous étaient d’accord. »
Après 24 heures de route d’une traite, les deux véhicules arrivent à destination.
Visages fermés
Depuis l’invasion de l’Ukraine, l’ambassade de France s’est installée dans la ville de Przemyśl. Florent Fatin s’y rend pour proposer de prendre en charge des réfugiés et les ramener à Pauillac, « vu qu’il y avait de la place pour le retour ».
« L’ambassade nous a orientés vers une ONG française, Corridor citoyen, qui met en place les évacuations. Nous avons expliqué que nous étions les élus d’une mairie et j’avais pris des papiers pour le prouver, car ils sont très réticents sur ces démarches. Ils craignent la traite humaine, que des trafiquants prennent des femmes et des enfants pour les exploiter, notamment pour les prostituer. Malheureusement, tous les jours, il y a des disparitions d’enfants. »
Le convoi prend la route du retour jeudi 17 mars vers 14 h. « Les visages étaient fermés » raconte Florent Fatin joint par téléphone à hauteur de Tours.
« On n’a pas envie de poser des questions. On sent qu’ils sont dans la souffrance et on s’étonne déjà de leur courage d’accepter de partir vers une destination inconnue avec quatre hommes. »
Mais sur la route, les sourires sont revenus vite assure le maire. Les échanges se font via Google translate et d’autres en anglais :
« Une des femmes s’appelle Oxhana, 36 ans. Elle est avec ses deux enfants de 11 ans et 14 ans, une fille et un garçon. Elle était coiffeuse à Kramatorsk, une ville de la région du Donbass, une des premières à subir l’invasion russe. Elle nous a dit que la ville était rasée. »
Solidarité unanime
Ce vendredi, les réfugiés devraient poser un pied à Pauillac en fin de journée où les attend un comité d’habitants et d’élus de tous bords. Florent Fatin rapporte « une solidarité unanime » et d’un accueil qui « ne peut être que chaleureux » :
« Tout est déjà prévu pour recevoir les deux groupes. Dans un premier temps, ils seront logés dans une maison habituellement prévue pour les stagiaires d’été de la Maison du tourisme et du vin. Nous allons ensuite définir les besoins et prévoir un appartement pour chaque famille comme elles l’ont souhaité, et les accompagner administrativement pour les papiers. Pour les enfants, les deux petits, 4 et 5 ans, commencent dès lundi à l’école où leurs places sont déjà prévues. Les grands seront inscrits rapidement au collège. »
Florent Fatin évoque déjà trois postes à pourvoir dans sa commune qui seront proposés aux quatre nouvelles arrivées.
Quant à la polémique sur l’accueil des réfugiés ukrainiens jugé simplifié par rapport à d’autres vagues de réfugiés, le maire de Pauillac répond :
« Je fais ce que je peux faire. L’Etat de droit me permet d’aller chercher des Ukrainiens et de leur offrir un toit, donc je le fais. S’il me permettait de faire la même chose avec d’autres réfugiés, je le ferais aussi. Quand j’entends certains justifier cet accueil en disant que les Ukrainiens sont comme nous, après tout, on en sait rien, et on n’a pas besoin de le savoir. »
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