Elles sont pour la plupart jeunes, diplômées et urbaines. Et pourtant, elles remettent en cause des droits comme l’IVG, situent les violences sexuelles sous le seul prisme de l’immigration et s’opposent à la notion d’égalité entre les femmes et les hommes. Dans son dernier livre « Les nouvelles femmes de droite », aboutissement d’une enquête menée pendant 10 ans, Magali Della Sudda livre un panorama de cette génération de militantes, à contre-courant du mouvement #MeToo.
Mercredi 6 avril, la chercheuse a donné une conférence à la librairie Georges à Talence, avec Viviane Albenga, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université Bordeaux Montaigne, qui a modéré la rencontre.
Le tournant de la Manif pour tous
Pour comprendre l’émergence de celles qui se définissent comme « antiféministes » ou « alterféministes », il faut remonter une décennie en arrière. En 2012, la gauche revient au pouvoir et la loi Taubira ouvre le mariage civil aux couples de même sexe. Un « effet d’aubaine » pour Magali Della Sudda, qui sème un terreau fertile pour ces « nouvelles femmes de droite » :
« Les droites sont sidérées et forment le projet de faire une union pour contrer le projet socialiste. La première promesse de François Hollande d’ouvrir le mariage homosexuel au couple de même sexe va susciter une réaction que les socialistes n’ont pas du tout anticipé. Dans l’Église s’opère également un changement : les cathos de gauche, progressistes, sont vieillissants. Ils sont marginalisés par des prêtes et des laïcs aux positions plus dures et conservatrices. »
À Paris, mais aussi à Bordeaux où le mouvement a été très suivi, la Manif pour tous envahit les rues des villes les dimanches, avec en tête de gondole, des figures féminines comme Frigide Barjot ou Ludivine de La Rochère. En mai 2013, Magali Della Sudda décrit la naissance, « le même jour », de deux groupes non-mixtes : les Caryatides à Lyon et les Antigones à Paris.
Les premières sont issues de l’Oeuvre Française et du Parti nationaliste français, mouvements ultranationalistes et antisémites. Le premier a été dissous, en 2013, à la suite de l’affaire Clément Méric. Les Antigones, elles, naissent en réaction aux Femen. Drapées de robes blanches à l’instar des figures antiques, les Antigones rejettent la théorie du genre et défendent une « complémentarité » entre les hommes et femmes. En somme, on naît femme, on ne le devient pas.
Celles qui se décrivent comme « filles de nos pères, épouses de nos maris, mères de nos fils », abordent des positions conservatrices contre la PMA ou l’avortement. Les Antigones s’y opposent non sur une ligne morale, mais parce qu’elles y voient une « atteinte à l’intégrité physique du corps de la femme », selon les termes de Magali Della Sudda.
Réinvestissement du discours écologique
La chercheuse replace cette « naturalisation » des inégalités de genre dans le contexte de la critique de l’Église sur le consumérisme et sa promotion de « l’écologie intégrale » :
« À ce moment là, c’est aussi une écologie qui est portée par le nouveau pape François qui va publier son encyclique Laudato si’. Il va permettre à ces catholiques d’occuper dans l’Église une place plus centrale. On ne va plus s’opposer à la contraception chimique ou à l’IVG pour des questions morales, mais avec un argumentaire lié à la santé. Il y un discours sur la sensibilité écologiste, la nécessité de sortir du capitalisme, des industries cosmétiques, de manger local et bio… »
Ce réinvestissement du discours écologique résonne tout particulièrement ces dernières années :
Ces écologistes cathos « ont des revendications qui se veulent féministes, poursuit Magali Della Sudda. Nous sommes en train de vivre une crise environnementale majeure, le cancer est la première cause de mortalité. Les femmes, elles, sont en premières lignes dans leur corps et dans leur santé pour vivre ces transformations. Il y a une vrai inquiétude générationnelle. En 2012-2013, nous sommes au moment des scandales sur les prothèses PIP et la pilule troisième génération. »
Dès lors les enjeux féministes, jusqu’ici terrains de la gauche et du progressisme, sont réinvestis par des femmes de droite, conservatrices et chrétiennes. Magali Della Sudda cite en exemple la journaliste au Figaro Eugénie Bastié et la philosophe Marianne Durano, cofondatrices de la revue Limite.
Résonance sur les partis politiques
Magali Della Sudda évoque également l’appropriation de la cause des femmes dans un projet nationaliste et anti-immigration. Ce « fémonationalisme » est notamment représenté par le Cercle Fraternité, créé en 2016 à Lyon par Agnès Marion, ancienne conseillère régionale frontiste qui a rejoint le parti Reconquête :
« C’est dans cette structure que tout le programme de Marine Le Pen, en 2017, à l’égard des femmes a été élaboré. Tous les visuels faisant de Marine Le Pen la « vraie » féministe ont été crées là-bas. Et effectivement, elle va réussir ce tour de force de conquérir l’électorat féminin, les classes populaires féminines et les jeunes. »
Au-delà de cet « adoucissement » de façade du parti frontiste, Magali Della Sudda relève aussi des « raisons culturelles » :
« Les filles qui sont nées dans les années 80-90, sont nées dans un monde où l’enjeu sécuritaire est omniprésent. Depuis dix ans, ce dernier est très étroitement articulé à l’islam, à l’immigration… Il y a une politisation de certains enjeux qui va devenir audible pour des jeunes femmes. La focalisation des violences sexuelles est tournée uniquement sur certains points, le harcèlement de rue serait ainsi le fait majoritairement d’hommes issus de l’immigration. »
« Un vrai travail de politisation auprès d’un public jeune »
Ce discours ouvertement anti-immigration est justement l’apanage de jeunes femmes, qui affichent ostensiblement leur xénophobie, comme le collectif Némésis, crée il y a deux ans à Paris. Composé de jeunes femmes entre 18 ans et 30 ans, le groupe se déclare apolitique. Il met l’accent sur la défense d’une identité culturelle européenne, ses membre se désignant comme « féministes identitaires ».
À Bordeaux, une section a tenté de s’implanter en mai 2021, mais a perduré seulement quelques mois. Sur le compte Instagram de l’antenne locale, les jeunes femmes ont relayé quelques unes de leurs « actions », dont le dépôt d’une gerbe de fleurs devant la maison de Chahinez Daoud, brûlée vive par son ex-compagnon à Mérignac.
Peu nombreuses, les jeunes femmes du collectif Némésis se font surtout remarquer par des actions brèves, par exemple lors de manifestations, suscitant l’indignation et générant une importante couverture médiatique. Des méthodes similaires à celles employées par Génération Identitaire, groupe dissout pour provocation à la haine en mars 2021.
Mais dans une campagne présidentielle marquée par les enjeux sécuritaires, l’extrême-droite peut compter sur ces mouvances pour, selon Magali Della Sudda, « opérer un vrai travail de politisation auprès d’un public jeune qui n’est pas forcément disposer à voter à l’extrême-droite » :
« Certaines de ces militantes, comme Thais d’Escufon [ex porte-parole de Génération Identitaire NDLR], ont rejoint l’équipe de Zemmour. Elles proposent un argumentaire auprès de la jeunesse que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur des émissions de grande écoute comme TPMP. »
Poids dans la campagne électorale
Cependant pour Magali Della Sudda, ces groupes de femmes sont numériquement « très faibles », prenant l’exemple des Antigones :
« Certaines ont connu leur apogée en 2015, comme les Antigones. Elles étaient alors une cinquantaine. Aujourd’hui, le noyau dur est réduit à 5-6 personnes. En revanche, les Antigones continuent de publier des tribunes dans Valeurs Actuelles, leurs publications sont relayées sur Égalité et Réconciliation, le blog d’Alain Soral. Elles ont une audience dans les milieux nationalistes qui s’est étendue, qui compense leur faiblesse numérique. »
Bien qu’il s’agisse de milieux « très fermés », Magali Della Sudda souligne la propagation de leurs idées dans le sphère publique, soulignant qu’elles ont « réussi à imposer dans cette campagne leurs thèmes de prédilection », occultant du débat politique « réels » enjeux liés aux droits des femmes comme l’accès à la santé ou les retraites.
Magali Della Sudda, Les Nouvelles femmes de droite, Hors d’atteinte, 2022
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