« J’ai fait un effort aux deux tours, le premier pour voter utile pour la gauche, donc Mélenchon, le deuxième pour faire barrage à l’extrême-droite, donc Macron. »
Pour les deux occasions, Claire, auxiliaire de vie de 36 ans, a délaissé le NPA de Philippe Poutou (Nouveau Parti anticapitaliste) pour qui elle vote habituellement. Au deuxième tour, elle a répondu à l’appel pour un front républicain contre Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national. Phénomène national qui semble avoir pesé dans la réélection du président de la République.
Avec environ 58% des voix selon les premières estimations, Emmanuel Macron a en effet gagné 30 points par rapport à son score du premier tour, et il le doit manifestement à un bon report des voix de gauche, où se situait sa principale réserve. A Bordeaux, 80,06% des voix reviennent au président réélu.
Pour la gauche, « c’était perdu d’avance »
Rencontrée à Floirac, dans le nouveau quartier bâti derrière l’Arena, Agnès, demandeuse d’emploi de 55 ans, avait voté Macron en 2017, écologiste au premier tour cette année, et a choisi de reconduire le chef de l’État à l’Elysée.
« D’abord parce qu’il est européen et rien que pour cela je ne pouvais pas voter pour Marine Le Pen. Son nationalisme me fait un peu peur et son programme d’allègement de charges est irréaliste, alors qu’elles servent à financer la sécurité sociale. Et puis je ne suis pas mécontente de certaines choses faites par Macron, sa gestion de la crise sanitaire et le fait qu’il ait fait machine arrière et les retraites. »
Margaux et Aymeric, ingénieurs agronomes de 24 et 27 ans, avaient en effet voté pour Yannick Jadot au premier tour. Ce dimanche, à l’école André Meunier, dans le quartier Sainte-Croix, où la gauche a fait ses meilleurs scores à Bordeaux, ils vont pencher pour Emmanuel Macron, « mais pas par conviction » :
« Il ne fait pas de l’écologie sa priorité, mais c’est toujours moins pire que l’extrême-droite. On a vu que Marine Le Pen est arrivée en tête dans les Dom-Tom, où elle a fait plus de 60%. On ne sait jamais ce qui peut se passer. »
Tout comme Yann à Bacalan. Cet ingénieur de 40 ans a voté Yannick Jadot « pour envoyer un signal du fait que l’écologie a été très peu abordée dans la campagne » et a voté Emmanuel Macron au second tour. Cet écolo dans l’âme, qui a voté Pierre Hurmic pour les municipales à Bordeaux, regrette cependant « qu’ils ne se soient pas mis d’accord » :
« Parti comme ça, c’était perdu d’avance. Sans union, je ne me voyais pas voter pour Mélenchon alors que sa personnalité, ses colères – « la République c’est moi », ses accusations portées contre les médias, ne sont pas dignes de quelqu’un qui veut être président. »
« Eviter le pire »
Carte d’électeur à la main, Océane et Perrine, elles, ont fait leur choix. Ces étudiantes à Sciences Po Bordeaux rencontrées place de la Victoire voteront pour Emmanuel Macron. Océane a voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour :
« C’est vraiment pour faire barrage à l’extrême-droite, même si je pense que Marine Le Pen a peu de chance de passer. Au moins, on l’aura fait pour éviter le pire. »
Nadine, 60 ans, sort du bureau de vote de l’école André Meunier. C’est « dégoûtée » qu’elle a glissé son enveloppe pour Emmanuel Macron dans l’urne :
« J’ai voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour. Quand j’entends des personnes dire que Marine Le Pen n’est pas sur la même ligne que son père, ça me fait peur. Les gens ne se rendent pas comptent du danger que représente l’extrême-droite. Je suis étonnée qu’il n’y ait pas eu beaucoup de manifestations contre l’extrême-droite. Il faut toujours rester vigilant, regardez ce qui se passe en Hongrie ou en Pologne. Rien n’est acquis. Marine Le Pen n’est pas moins radicale que son père, elle est juste tenté d’adoucir son image pour grappiller des voix à droite. »
Christophe a 32 ans, agent de la fonction publique, a lui aussi glissé un bulletin Macron après avoir voté Mélenchon, arrivé deuxième du premier tour à Bordeaux avec 29%.
« Du côté des idées du RN, il y a du progrès, mais c’est encore trop extrême. Ils veulent revenir en arrière sur plein de choses, par exemple sur les droits LGBT, les femmes, ou notre place en Europe. Et si on repart sur une crise, je vois mal un parti qui n’a jamais gouverner piloter ça. »
« Ne pas abîmer la République »
Aux Aubiers, Myriam affiche le sourire d’un premier vote. Etudiante de 19 ans, après avoir voté Mélenchon au premier tour, elle a « voté Macron pour faire barrage à Le Pen qui tient un discours inquiétant pour une Française comme [elle] qui a choisi d’être voilée ».
« On nous considère comme des femmes soumises, sous influence, et surtout pas féministes. Mais ça n’a rien à voir. Ce sont pour moi des discours islamophobes qui ne veulent pas comprendre la réalité de la société moderne d’aujourd’hui. Elle l’a encore répété pendant le débat d’entre les deux tours. Elle a montré qu’elle n’était pas crédible, même si Macron aussi coche quelques cases de l’islamophobie. Son quinquennat a été très limite sur ces questions. »
Après elle, Karim, 34 ans et chauffeur de transport en commun, souligne surtout sa « déception et [sa] frustration après l’élimination de Mélenchon pour le deuxième tour, avec un programme qui, pour la première fois, allait dans le sens qu’on espérait ».
« J’ai voté Macron bien sûr, mais je n’oublie pas qu’il est le président des riches. Je préfère le supporter lui 5 ans de plus, où rien ne va changer, que de voir l’extrême-droite en France et abîmer la République. »
Même son de cloche chez Karine, 40 ans et cadre de la fonction publique. Après avoir voté Mélenchon, « même pas d’accord avec tout », elle a voté Macron et attend qu’ « il réalise enfin que des Français attendent que leurs salaires soient indexés sur l’inflation, d’augmenter le SMIC et le pouvoir d’achat ».
Ils sont nombreux cependant les Mélenchonistes qui ont donné leurs voix à Macron à attendre les législatives pour « espérer imposer les valeurs de la gauche, encore faut-il que l’Union populaire prenne forme » résume Karine. Rejointe par Nadine qui avoue résignée : « c’est à chaque fois la même musique. »
« Soulagement » des Marcheurs
À 20h, on sort le champagne au Café Bastide, QG ce dimanche soir de La République en Marche. Une cinquantaine de militants sont réunis, ainsi que des élus, dont Éric Pouillat, député de la sixième circonscription de Gironde, Dominique David, députée de la première circonscription de Gironde, Catherine Fabre, députée de la deuxième circonscription de Gironde ou encore Anne Fahmy, conseillère municipale.
Avec plus de 58% des voix pour Emmanuel Macron, c’est le « soulagement » et la « fierté » pour les Marcheurs rassemblés. Aziz Skalli est le référent du parti macroniste en Gironde :
« Nous sommes heureux et soulagés du résultat. C’est un résultat net. Nous allons continuer le combat pour les législatives, même s’il est encore trop tôt pour en parler. Nous avons 9 députés sortants. Avec la prime aux sortants, il reste à convaincre les circonscriptions restantes. »
Mais aussi à ménager les différentes sensibilités de la majorité, entre LREM, Modem et Horizon, le parti d’Edouard Philippe…
Pas un troisième tour
A l’hôtel de ville de Bordeaux, Pierre Hurmic s’est dit lui « soulagé » après avoir eu « peur de voir l’extrême droite aux portes du pouvoir », mais aussi « inquiet au vu de ces résultats » :
« Le débat démocratique a été inintéressant, dépassionné, confisqué par l’opposition droite / extrême droite, contribuant à démobiliser l’électorat, estime le maire écologiste. Une nouvelle page électorale s’ouvre, les législatives, avec de nouveaux acteurs j’espère ancrés dans les territoires et qui présenteront une certaine biodiversité politique, dans laquelle les écologistes doivent avoir une bonne place. Il ne faut pas laisser cette élection confisquée par ceux qui veulent y voir un troisième tour. »
Un message adressé à Jean-Luc Mélenchon et à la France insoumise, avec lesquelles EELV a engagé des discussions animées sur les élections à venir. Avec l’ambition de ravir aux Marcheurs une des deux circonscriptions bordelaises.
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