L’alerte a été lancée fin décembre par le Centre Départemental de l’Enfance et de la Famille (CDEF), en vertu de l’article obligeant toute autorité à dénoncer au Procureur de la République des crimes et délits portés à sa connaissance.
« Nous avions depuis quelques semaines des suspicions envers une adolescente de 14 ans, qui faisait des fugues récurrentes, explique à Rue89 Bordeaux Franck Bottin, directeur du CDEF. Nous avons fait un travail de mise en confiance pour comprendre, et des propos ont pu être étayés par des captures d’écran envoyées à la justice. »
L’enquête a abouti le 5 avril dernier à l’interpellation de deux mérignacais de 28 et 21 ans, placés en garde à vue puis mis en examen pour proxénétisme aggravé et infraction à la législation sur les stupéfiants. Ils avaient contraints à se prostituer sept adolescentes du CDEF.
« Détresse sociale et affective »
Les deux hommes « profitaient de la détresse sociale et affective de ces jeunes filles pour les enrôler dans des activités de prostitution via des petites annonces postées sur les réseaux sociaux, en marge d’activités de trafics de produits stupéfiants », indique le communiqué du parquet, qui a révélé l’affaire ce jeudi 7 avril.
Le principal mis en cause, le plus âgé, avait « séduit dans un premier temps l’une des mineures et l’incitait ensuite à rabattre d’autres jeunes filles, mettant en avant la possibilité pour elles d’obtenir facilement de l’argent. Pour cela, il mettait à disposition son appartement pour la réalisation de prestations sexuelles en échange de 50% des gains ».
Selon le CDEF, 5 des adolescentes vivaient alors dans des petites unités familiales, des maisons disséminées dans la métropole et occupées par 6 jeunes sous protection de l’aide sociale à l’enfance (ASE), avec la présence permanente d’un éducateur et celle d’un psychologue à mi temps. Les deux autres étaient déjà sorties de ce dispositif d’accueil d’urgence, qui compte 130 places pour les ados et préados, et où ceux-ci passent en moyenne 5 à 6 mois.
« C’est une maison ouverte, pas un centre fermé, poursuit Franck Bottin. Les jeunes vont à l’école, en formation… Et ils échangent sur les réseaux sociaux et les groupes whatsapp, ce qui permet que des jeunes filles qui ne se connaissent pas puissent entrer en contact. »
Mais pour le directeur du CDEF, l’institution, mise en cause dans un passé récent, a fait son maximum :
« Près de 700 agents travaillent au CDEF et vont se poser la question si l’institution a été en faute ou pas. Or le travail a été fait et bien fait pour tisser la confiance avec des jeunes. C’est parfois compliqué et cela prend du temps mais quand nous avons de telles informations elle doivent être dénoncées. Il ne faut pas baisser la garde. »
Rôle des réseaux sociaux
Le communiqué du Procureur de la République alerte sur le phénomène de proxénétisme « de cité », visant des jeunes filles en fragilité sociale, une pratique qui a augmenté de 39% entre 2019 et 2029. Franck Bottin confirme que la prostitution « devient un sujet prégnant, amplifié avec les réseaux sociaux ».
« Parmi les 7 à 10000 mineurs qui se prostituent en France, tous ne relèvent pas de la protection de l’enfance. Mais on a des jeunes fragiles. Elles peuvent tomber sous le joug de certaines personnes mal intentionnées qui feraient semblant de s’intéresser à elles, car elles sont en demande affective de reconnaissance. Ce moment de tumulte intérieur qu’est l’adolescence s’ajoute pour elles à des situations de crise. Elles sont placées en urgence à cause d’échec familial ou scolaire, ou de rupture sentimentale. Et ils ont parfois envie de défier les autorités, quitte à être dans le déni et se mettre en danger. »
Un phénomène dont le CDEF se méfie particulièrement alors que ses services sont actuellement « sous tension » : faute de place dans les structures d’hébergement pérennes, comme les Maisons d’enfants à caractère social (Mecs), les séjours dans ces foyers s’allongent. Le Centre départemental suit actuellement plus de 400 enfants, adolescents et jeunes, de 0 à 21 ans.
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