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Tout est bien qui finit bien pour trois journalistes réfugiés à Bordeaux

A l’occasion de la journée mondiale des réfugiés ce lundi 20 juin, Rue89 Bordeaux revient sur le sort de trois journalistes réfugiés à Bordeaux, menacés pour deux d’entre eux d’expulsion. Finalement régularisés, chacun envisage dorénavant l’avenir à sa manière.

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Tout est bien qui finit bien pour trois journalistes réfugiés à Bordeaux

En 2019, l’avenir d’Urmondzhon Sufiev et Marcel Tolno était sombre. Les deux journalistes, respectivement tadjik et guinéen, voyaient leurs demandes d’asile refusées par la préfecture alors qu’ils étaient en danger dans leur pays.

Cette même année, Khaled Akhtear, journaliste syrien ayant connu des intimidations dans son pays, arrivait à Bordeaux dans l’espoir d’obtenir l’asile politique.

Tous ont pu être régularisés. Ils racontent à Rue89 Bordeaux leurs espoirs et projets.

Urmondzhon Sufiev : « Je veux reprendre le journalisme »

« On a reçu nos cartes de séjours, et maintenant on envisage l’avenir », résume le fils d’Urmondzhon au bout du fil. Depuis un an, en 2021, la famille Sufiev, Urmondzhon, sa femme et leurs trois enfants, entame sa reconstruction sociale et professionnelle. Ayant obtenu l’asile, ils bénéficient d’une aide financière et d’un hébergement.

« Mon père prend des cours de français, ma mère aussi, ma sœur et mon frère se préparent à entrer à Sciences Po Bordeaux, et, de mon côté, je vais partir à Strasbourg pour faire un Master de relations internationales en économie. »

A côté de lui, Urmondzhon Sufiev, poursuit en tadjik et le fils traduit dans un français soigneusement parlé :

« Je souhaite reprendre mon activité de journaliste et continuer mon travail. Mon projet est de remettre mon agence d’informations en route pour travailler sur le Tajikistan et les pays autour, et aussi en France. Il y a encore des choses à dire : hier par exemple, ils ont arrêté trois journalistes qui travaillaient avec moi. » 

La famille arrivée à Bordeaux en février 2019 DR)

Menacé de mort dans son pays, le journaliste tadjik s’était réfugié en France avec sa famille en 2018. Urmondzhon Sufiev avait dû fuir le Tadjikistan en 2015, harcelé par le régime en place. L’association Reporters sans frontières avait attesté du danger qu’il encourait dans les pays voisins où il s’était réfugié.

Arrivés sur le sol français, la famille ne s’était jamais cachée des autorités mais a fait rapidement l’objet d’un arrêté de transfert vers Riga, la capitale de Lettonie où elle avait demandé l’asile, au nom de cette convention de Dublin. Défendu par maître Jean Trébesses dans un recours contre cet arrêté, la « dédublinisation » en France a été rapidement acceptée.

Marcel Tolno : « Mon enquête a changé les choses dans mon pays »

A 35 ans, Marcel Tolno voit l’avenir autrement après avoir enregistré deux victoires : la première est celle d’avoir été régularisé sur le sol français, la deuxième, celle que tout journaliste d’investigation espère, est la condamnation des responsables de la corruption qu’il avait dénoncée dans son enquête en Guinée.

« Le régime a changé depuis mon départ, et je suis plus en sécurité maintenant que les responsables politiques corrompus sont en prison », raconte le journaliste.

En 2014, Marcel Tolno avait révélé les plans de l’Office guinéen de la publicité et du ministère de la Culture qui ont permis de détourner 40 millions de francs guinéens. Menacé de mort, il quitte sont pays en profitant des 45e Assises internationales de la presse francophone à Madagascar, d’où il a pu rejoindre Paris en novembre 2016.

Marcel Tolno est arrivé à Bordeaux en 2017 Photo : DR

Le journaliste guinéen a obtenu une carte de séjour d’un an, bientôt renouvelable pour une plus longue durée. Après une licence en Sciences de l’information et la communication à Bordeaux Montaigne à Bordeaux Montaigne, il a repris les études pour un Master mais s’est retrouvé rapidement confronté à la précarité estudiantine. Il a interrompu son année pour un « travail alimentaire dans la restauration ».

« Il faut que je trouve un logement et que je stabilise mes revenus dans l’espoir de reprendre mon Master. L’université a promis de faciliter ma réinscription ce mois de juillet. »

Marcel Tolno n’exclut pas de retourner dans son pays pour continuer sa carrière de journalisme, « selon l’évolution de la situation ». En attendant, il a un projet avec le Club de la presse de Bordeaux de mise en lien avec les étudiants en journalisme originaire des pays africains.

Urmondzhon Sufiev et Marcel Tolno avaient témoigné des risques encourus dans leurs pays lors d’une intervention soutenue par Rue89 Bordeaux à l’IJBA (Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine).

Khaled Akhtear : « J’ai besoin d’écrire loin du journalisme »

Khaled Akhtear le reconnaît : « Je n’ai jamais été sommé de quitter la France et j’ai toujours vécu ici rassuré. » Arrivé en France en 2017 via le « corridor humanitaire » mis en place entre Paris et Beyrouth (Liban) pour les réfugiés syriens qui ont fui la guerre, il a été pris en charge par le Diaconat de Bordeaux et hébergé par une famille solidaire.

« Je suis toujours reconnaissant pour la confiance qu’on m’a accordée, insiste-t-il. Une famille avec enfants m’ouvre sa maison, me laisse les clés et m’accueille sans conditions. A chaque fois que j’y pense, je suis touché. »

Dans son parcours administratif, le journaliste syrien était confiant dans l’obtention de l’asile en France. Il reconnait surtout avoir été un peu désemparé face à la nouvelle vie qui s’offrait à lui : « Apprendre le français, envisager l’avenir et gérer les quelques économies… parce que c’est pas évident de repartir dans la même voie professionnelle ».

« Je n’avais pas la tête reposée pour reprendre le journalisme ou envisager un autre boulot. J’ai besoin d’écrire autre chose que des articles, j’ai écrit un livre de poésies et j’entame le deuxième », ajoute cet homme de 45 ans.

Khaled Akhtear Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Khaled Akhtear connaissait déjà la France avant d’y entrer comme réfugié. Par sa profession de journaliste, il a eu l’occasion de voyager jusqu’aux Etats-Unis, déplacements facilités par une famille proche du régime syrien.

« Je me posais des questions après le printemps arabe en Tunisie, puis en Egypte. Je savais qu’en Syrie, quelque chose se tramait. J’admirais des intellectuels qui y réfléchissaient, qui organisaient la révolution. Je n’osais même pas prononcer mon nom, ou je m’arrangeais pour mal le prononcer, me disant que la personne en face de moi était peut-être dans les geôles syriennes poussée par quelqu’un de ma famille. Je me suis dis que ma participation à cette révolution serait le journalisme pour informer de la vérité… »

Vite repéré par les renseignements du régime, il est régulièrement convoqué « pour boire le café » et interrogé par « des officiers qui posaient sur la table des copies de [ses] mails ». « L’officier n’en parlait pas, c’était juste pour me dire qu’il savait… » Suite à ces intimidations, Khaled Akhtear quitte la Syrie pour le Liban où il devient « fixeur » pour des journalistes étrangers :

« Je voulais qu’ils fassent le boulot à ma place, en quelque sorte. Je leur disais : “Je vous emmène où vous voulez pour que vous voyez les atrocités, je ne vous oblige à rien, vous écrirez ce que vous voulez »… »

En 2017, le journaliste syrien décide de quitter le Liban « à bout et fatigué ». A Bordeaux, il affirme « ne pas être une victime » : « Je suis ici car je veux être ici. »

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