Tout était attendu dans ce spectacle qui se joue actuellement sur les planches du Grand Théâtre à Bordeaux : l’aboutissement de trois années de partenariat (quatre si on compte l’année de confinement) entre le ballet Preljocaj et celui de Bordeaux, la réinterprétation d’un panel étendu de mythologies des très anciennes au plus contemporaines – jusqu’à Roland Barthes –, et bien sûr, la collaboration avec l’ex-Daft Punk Thomas Bangalter.
La première de cette création mondiale 2022 s’est déroulée ce vendredi 1er juin dans un Grand théâtre plein à craquer. A l’applaudimètre, le public est conquis. Certes « Mythologies » offre une succession de tableaux pouvant réunir dans certains d’entre eux les 20 danseurs avec une cohésion gestuelle irréprochable, ainsi que des duos d’une esthétique poétique et parfaite. Il n’en demeure pas moins que la lecture des thèmes est difficile et l’absence de poussée finale laisse les frissons sur leur faim.
Du Catch à Icare et l’Ukraine
Le spectacle se termine comme il démarre, par des corps au sol. Dès les premières minutes, des projections géantes de regards en fond de scène fixent le public ou suivent des yeux les danseurs qui s’animent. Pour le tableau suivant, les regards se couvrent de masques de catch et balayent la scène ou luttent des duos suivants les codes du combat. « Sur le Ring et au fond même de leur ignominie volontaire, les catcheurs restent des dieux » disait Roland Barthes. Preljocaj prend au pied de la lettre ce texte du philosophe et chorégraphie la gestuelle combative ou vaincue du catcheur.
Les luttes se suivent et ne se ressemblent pas. Pêle mêle se succèdent les croyances des Mayas avec les combats contre les monstrueuses créatures ou les seigneurs de l’inframonde, et les mythes grecs lourds de sens chargés d’armées de Ménades, d’Amazones, de Gorgones… ou encore l’appétit guerrier d’Arès, la fabuleuse monstruosité du Minotaure, ou la suprématie de Zeus, Dieu des Dieux.
Sans oublier l’envol d’Icare pour défier le soleil, qui pouvait laisser croire à un final et qui cède finalement sa place, après un étonnant trombinoscope géant des danseurs (un générique ?), à d’autres luttes récentes : les guerres. Y compris celle de l’Ukraine évoquée en message quasi subliminal.
Deux légendes
Côté musique, s’enchaînent des inspirations de Prokofiev, de Boulez, de Reich… avec zéro dose d’électro. Thomas Bangalter a voulu un rendez-vous là où on ne l’attend pas, mais il est rattrapé tel Ulysse par des nappes en furie dignes d’une première maquette sur synthétiseur. L’enfant prodige, d’une mère danseuse et d’un père compositeur, génial moitié de Daft Punk, laissait espérer bien plus.
Surtout que l’amour pour la French touch – en fait peu perceptible ici en dehors de quelques glissandos déjantés –, Preljocaj l’a déjà avoué sans détour dans des collaborations avec Air (« Near Life Experience » en 2003 et « La Fresque » en 2016), et avec Laurent Garnier (« Fire Sketch » en 2006 et « Suivront mille ans de calme » en 2010). Il s’est même déjà accommodé aux riffs psychédéliques de Jimmy Hendrix (« Deleuze/Hendrix » en 2021).
On peut alors dire que l’exploration des expériences musicales, Preljocaj, ça le connaît. D’un vieux baroudeur, on était alors en droit de réclamer bien plus qu’une heure et demie passée devant des tableaux à l’esthétique hautement léchée, avec un son qui évoluerait péniblement seul et sans image. Une drôle d’idée que de sonder la mythologie des Dieux avec deux légendes sans tutoyer l’apothéose.
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