Au cœur de la forêt amazonienne, coule le fleuve Oyapock qui sépare le Brésil de la Guyane française. Les sons de la nature envahissent le paysage par l’eau et par la forêt. Portée par une pirogue à moteur, la caméra débarque sur les rives de Camopi où le chef coutumier, Jean-Baptiste Breteau, raconte la légende d’un anaconda qui s’en était pris au village. Bienvenue sur les terres des communautés Wayãpi et Teko.
Avec Camopi One, documentaire de 53 minutes, Laure Subreville signe une exploration ethno-musicale à tiroirs. Partie pour « filmer seulement la musique des tule avec les anciens », après des repérages en janvier 2021, elle découvre d’autres facettes de cette terre française lointaine auprès d’une jeunesse autochtone séduite par les chants des sirènes métropolitaines.
Traditions et revendications
Le tule (prononcez tulé) conjugue à la fois musique et danse, convivialité et spiritualité, et s’associe à des rites festifs de dons, d’accueil, et de bains purificateurs dans l’eau de la rivière. Dans son village, Jean-Baptiste Breteau est le chef musicien qui sélectionne les bambous dans la forêt voisine et fabrique les « clarinettes ». Il se laisse suivre et filmer par Laure Subreville dans les préparatifs d’une cérémonie intimiste avec les « anciens ».
« Le tule est un élément très important parce qu’il est très représentatif de la culture Wayãpi, explique la réalisatrice. Il y a une revendication de la musique des tule et surtout de la langue Wayãpi qui tendent à rayonner au-delà des frontières du village. Plus largement, dans notre culture occidentale, on parle depuis plusieurs années d’anthropocène et beaucoup d’autres termes relatif à l’écologie du monde. Le tule est un symbole fort de cette communion transhumaniste qui est au centre de la vision des peuples amérindiens. »
Avec la complicité de l’ethnomusicologue Jean-Michel Beaudet, Laure Subreville s’immisce délicatement dans cet héritage et découvre parallèlement une jeunesse en soif de reconnaissance qui la sollicite pour filmer ses productions rap, compas haïtien, et reggae. La réalisatrice décide alors « que la musique serait au centre du film et permettrait de créer un dialogue entre les différentes générations ».
« La rupture avec la musique des tule est très nette auprès de la jeune génération dans le village. Il y a plusieurs de raisons à cela. Tout d’abord, peu d’anciens pratiquent et connaissent encore les chants des tule. Il est alors difficile pour les jeunes de reprendre le flambeau. Les jeunes sont dans une démarche plus individualiste et rêvent de faire carrière sur la côte guyanaise d’abord, puis en métropole. Le rapport à l’image était bien plus compliqué pour les musiciens de tule, alors que les jeunes comprenaient la visibilité potentielle que pourrait amener un clip. Les clips ont été un moyen également de connaître le sens des paroles de leurs chansons et de mettre en évidence les problèmes de la jeunesse autochtone : chômage, dérives d’alcool et de drogue et surtout le suicide. »
Le fleuve comme fil rouge
Cette nouvelle génération donne son titre au film comme l’explique la réalisatrice :
« Camopi One provient d’un leitmotiv présent dans beaucoup de chansons récentes. “Camopi Wan” signifie en Wayãpi “qui vient de Camopi”. Adapté à l’anglais mondialisé – Wan devient One –, il s’agit donc d’un slogan identitaire qui revendique l’appartenance à une communauté propre, à un village et à un territoire. »
Richardson, Siméon et d’autres jeunes improvisent des freestyles sur la place du village ou scandent le reggae sur les rives du fleuve. Avec un smartphone et une enceinte Bluetooth, ils se font les chantres de toute une génération amérindienne, partagée entre la culture traditionnelle des abattis et les rêves glorieux d’une maison de disques.
De ces rencontres et leurs diversités, le documentaire offre une polyphonie dans laquelle musique et image conversent entre effets auto-tune et crécelles à coquillages. Les destins tiennent à un fil, celui de l’eau d’Oyapock, le fleuve qui « relie naturellement tous les personnages du film », ceux qui pêchent au filet le koumarou et ceux qui se la coulent douce.
Artiste vidéaste et plasticienne diplômée de l’école des Beaux-Arts de Bordeaux, Laure Subreville vit entre Bordeaux et Lyon. Après plusieurs court-métrages en lien avec la musique, Camopi One est son premier documentaire en partenariat avec l’Ensemble Variances, le compositeur Thierry Pécou, le Parc Amazonien et Massala production. Il est visible au cinéma L’Utopia ce lundi 26 septembre à 20h30, suivi d’une discussion avec la réalisatrice.
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