« Au téléphone, on essaie d’apaiser le patient et d’amorcer une désescalade. » Tous les jours, Auréliane, psychologue de formation, répond aux personnes dans le besoin. Depuis les locaux du centre d’écoute bordelais situés dans le centre hospitalier Charles Perrens, elle tente de trouver les bons mots :
« On parle d’abord avec la personne pour trouver une solution avec elle. Si ça ne suffit pas, on peut prévoir d’autres appels, prévenir ses proches ou la réorienter vers des professionnels de santé en fonction de sa problématique. »
Le 3114 est un dispositif national créé le 1er octobre 2021 et déployé à l’échelle régionale. Son but : répondre aux besoins immédiats des personnes en recherche d’aide. Piloté par la Direction générale de la santé et par l’Agence régionale de santé Nouvelle-Aquitaine, le centre d’appel de Bordeaux compte douze salariés dont dix répondants, et couvre cinq départements (Gironde, Dordogne, Lot-et-Garonne, Landes et Pyrénées-Atlantiques).
10 000 appels en un an
En moins d’un an, ce centre a reçu 10 000 appels (185 000 au niveau national), soit plus de 27 par jour. Chacun d’eux est différent et le profil des « appelants » varie d’une situation à l’autre :
« Certains sont très anxieux et ont besoin de verbaliser, d’autres ont des idées suicidaires mais n’ont pas l’intention de passer à l’action. Puis il y a les individus qui ont besoin d’aide tout de suite car le passage à l’acte est imminent. »
Les répondants cherchent toujours à savoir si les appelants ont dans leur entourage des personnes ressources sur lesquelles ils peuvent compter, qui sachent discuter avec les bons mots et connaitre les gestes à adopter.
Si la jeune femme de 24 ans est devenue répondante, c’est pour « l’esprit d’équipe » et « l’adaptation dans l’urgence » que requiert la profession. Diplômée d’un master en psychologie du développement de l’enfant et de l’adolescent, elle a suivi une formation d’une semaine créée spécifiquement pour le 3114 avant de prendre ses fonctions :
« Mon travail actuel et mes études sont très complémentaires. Pendant mes stages, j’ai appris à être à l’écoute de différents publics. Ici, je découvre des notions de psychopathologie, de traumatologie et de suicidologie. C’est très varié et enrichissant. J’apprends en permanence. »
Bienveillance, empathie et neutralité
Au quotidien, les problématiques ne sont jamais les mêmes et les « interventions de crises » sont fréquentes. En arrivant au travail, Auréliane est à la fois heureuse et concentrée :
« On a beaucoup de situations difficiles à gérer. Certains appels durent parfois plus d’une heure. Je crois que pour faire correctement notre travail on doit rester dans la bienveillance, l’empathie et la neutralité. Si ce n’est pas le cas, le moment passé ensemble sera à la fois difficile pour nous et notre patient. »
Selon la répondante, ces trois compétences permettent de conserver une écoute sans jugements :
« Pour la plupart des appelants, la parole est salvatrice. Elle les soulage et leur enlève un poids. Après, je pense que c’est une chose de parler. Mais se sentir entendu en est une autre. D’après moi, écouter sans bienveillance et sans empathie reviendrait à avoir un dialogue de sourd avec le patient. »
Travail d’équipe
Pendant sa première année au centre d’appel, Auréliane dit s’être plusieurs fois sentie dépassée :
« Parfois, j’ai la sensation de ne pas pouvoir aider les personnes comme je le voudrais. Le lien ne parvient pas à être créé et les solutions proposées ne leur vont pas. Alors, il m’arrive de me dire que j’ai mal fait. Je me pose des questions et ça me met en échec. »
Dans ces moments difficiles, le collectif prend le relais et un travail d’équipe se met en place :
« Après chaque appel, on crée un dossier pour l’appelant, dans lequel on retranscrit ses données. Ce temps nous permet de nous reposer et de revenir lentement à la réalité. Ensuite, on débriefe avec les collègues. Ça nous aide à nous décharger à travers l’échange et à trouver des solutions. On voit quels éléments ont pu perturber la prise en charge, ce qui m’a perturbée mais qui n’aurait pas forcément touché un autre collègue, etc. »
« Je travaille plus sur moi »
En parallèle, une fois par semaine, l’équipe se réunit aussi à l’occasion de réunions cliniques. Il s’agit de discussions au cours desquelles certains cas spécifiques sont réétudiés :
« Ça peut être des cas complexes ou auxquels on a fait face pour la première fois comme l’appel d’un mineur ou la mort d’un patient. Ces réunions nous permettent de réfléchir ensemble à notre pratique et de trouver d’autres idées de prises en charge. »
Pour Auréliane, ces moments partagés sont essentiels à sa pratique et l’aident aussi dans sa vie personnelle :
« Grâce à ces échanges, je travaille plus sur moi et je comprends mieux quelles situations ne me vont pas. Depuis que je suis ici, j’ai aussi appris à mieux communiquer avec mon entourage. Je dis ce que je ressens, j’affirme mon point de vue et j’apprends à accepter mes émotions. Dans la vie, je ne suis pas quelqu’un de très confiante, mais ça commence à changer. Je crois qu’être ici va encore beaucoup m’apporter. »
Sensibilisation
En fin de journée, Auréliane fait en sorte de se vider l’esprit pour éviter de ramener son travail à la maison :
« Je fais beaucoup de sport, surtout de la course à pied et je vois mes amis. Faire un footing en sortant du boulot me permet de décompresser. Quand je ne me sens pas bien, je parle aussi à mes proches. Bien sûr, je ne rentre jamais dans les détails parce que tout doit rester confidentiel. Mais je peux leur parler de mes émotions. »
Pour la journée mondiale de prévention du suicide à Bordeaux, la répondante sera présente au stand du 3114 au niveau du parvis du hall 2 de la gare Saint-Jean. Un lieu hautement fréquenté, parfait pour sensibiliser le maximum de personnes.
Lors de ce jour spécial, Auréliane sera aussi la figure du 3114 Bordelais puisque son portrait a été peint par l’artiste Jean Rooble sur un mur du parvis. Un véritable « honneur » pour la jeune femme, « heureuse d’avoir été choisie pour représenter les valeurs du 3114. C’est très valorisant et gratifiant ».
D’après elle, sensibiliser la population au suicide va permettre de déconstruire certains préjugés :
“Il y a encore beaucoup d’idées reçues auxquelles les gens croient comme le fait que le suicide est unifactoriel ou qu’on n’aurait rien pu faire pour aider la personne de toutes façons. Réfléchir à tout ça ensemble conduit ensuite les gens à être plus à l’écoute des personnes en détresse et moins dans le jugement. »
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