« Ils sont en train de sacrifier les jeunes des classes populaires qu’on retrouve principalement en lycées professionnels. » Mardi 18 octobre, plusieurs centaines d’enseignants ont manifesté devant le rectorat de Bordeaux contre le projet de réforme de la voie professionnelle.
Une mesure est particulièrement au centre du débat : l’augmentation de la période de stage en entreprise. Qualifiée « d’inadaptée pour le public concerné », certains la jugent même « dangereuse » pour l’avenir de leurs élèves. Dans l’Académie de Bordeaux, 24 277 étudiants sont concernés par cette réforme.
Réforme limitante
Avec la réforme, le temps de présence en entreprise devrait augmenter de 50%. Ainsi, plusieurs matières jugées « non essentielles » telles que « le français, l’anglais et l’histoire-géo » devraient être impactées car moins enseignées. Pour les grévistes, cela entraînera plus tard « des difficultés d’insertion dans la société ».
« En classe, on apprend à nos élèves à vivre en groupe. À avoir une opinion, l’exprimer, mais aussi à écouter celle des autres. Le français, l’anglais et l’histoire-géo sont des matières à ne pas négliger. C’est de la culture générale qui les aide à forger leur propre vision du monde et qu’ils n’auront pas en entreprise », déplore Nathalie, professeure de bio technologie au lycée professionnel Flora Tristan, à Camblanes-et-Meynac (Gironde).
Les professeurs soulignent également « l’absence de polyvalence » induite par cette réforme. Les élèves seront formés « à quelques tâches spécifiques » en entreprise, alors que la formation proposée au lycée est « pluridisciplinaire ».
En parallèle, d’après les enseignants, la réforme conduira « inévitablement » à limiter « les poursuites d’études ».
« De plus en plus d’élèves pensent à poursuivre leurs études après le bac pro. 50% des places en BTS leurs sont d’ailleurs réservées. Le manque de connaissances lié à la réforme pourrait modifier la tendance », regrette Coralie, professeure d’arts appliqués dans le même lycée que Nathalie.
Éviter les abus
Si les professeurs manifestent leur mécontentement, c’est aussi parce qu’ils craignent un manque d’accompagnement des élèves par les entreprises. En stage, certains sont régulièrement amenés à faire des « tâches ingrates » et à « combler le manque de main d’œuvre » :
« Plusieurs fois, on a dû retirer des jeunes de 15 ans en stage chez des employeurs qui ne prennent pas le temps de s’occuper d’eux. Ils font parfois des tâches répétitives, qui n’ont pas forcément de rapport avec leur formation. Par exemple, l’un de mes élèves, en stage chez un plombier, avait fait de la peinture et réparé un portail », explique Fabrice, enseignant en plomberie/chauffage au lycée professionnel de Blaye.
L’ensemble des enseignants s’accordent à dire que « les stages restent essentiels », mais craignent de voir leurs élèves « sacrifiés au profit des entreprises ».
« La seule mission de nos élèves est de trouver la voie dans laquelle s’épanouir et non de devenir de la chair à patron ! » s’exclame François, du lycée professionnel La Ruche à Bordeaux.
Un public à besoins
Les adolescents scolarisés en lycées professionnels sont généralement en « rupture avec le système éducatif », comme le détaille Nathalie, professeure au lycée professionnel Flora Tristan, à Camblanes-et-Meynac :
« On accueille à la fois des jeunes en difficultés scolaires, mais aussi en situation de handicap. Certaines classes sont composées à 80% d’un public avec des traitements lourds et des emplois du temps aménagés. Si on augmente le rythme en entreprise, ils ne tiendront pas. »
D’après Fabrice, enseignant à Blaye, ces derniers ont surtout besoin « de suivi et de motivation » :
« Notre relation n’est pas juste scolaire. Comme ils sont en petit groupe, une affinité et une complicité s’installent. Ça nous permet de comprendre leurs difficultés et de leur proposer des solutions pour y remédier. On passe du temps avec chacun d’entre eux et on voit que ça fonctionne. Ils reprennent goût à l’école, leurs notes augmentent et ils se sentent valorisés. La réforme risque de fragiliser cela. »
En fin de matinée, les syndicats ont discuté avec le rectorat afin d’exposer leur ressenti. D’après Géraldine Jousseaume du SNUEP-FSU, présente à la réunion, « aucune issue n’a pu être trouvée ». Une rencontre qui laisse les grévistes sur leur faim. La réforme devrait entrer progressivement en vigueur à partir de la rentrée 2023. Mais une expérimentation pourrait être envisagée à partir du mois de janvier, selon « le Parisien ».
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