Une page se tourne dans le milieu de la solidarité à Bordeaux. Ce mercredi 5 octobre, le Wanted Café situé place des Capucins va baisser définitivement son rideau, quatre ans après son ouverture, presque jour pour jour, le 31 août 2018. Jérémie Ballarin, un des trois fondateurs, évoque un problème de rentabilité :
« Wanted est un projet qui cherche son modèle depuis qu’il existe. Sa vision la plus pleine et entière est de créer un modèle qui allie économie et solidarité. On a envie que ces deux façons de voir le monde cohabitent. […] Aujourd’hui Bordeaux ferme parce que dans l’expérimentation de ce modèle le curseur de la solidarité a été poussé très haut. Ce qui a rendu difficile l’économie du projet. La balance aurait dû être plus équilibrée. »
L’équipe à l’origine de la communauté Wanted qui a réuni en quelques années plus d’un million de membres sur le réseau social Facebook autour d’un groupe d’entraide, tourne la page de son café bordelais avec philosophie et tire un bilan raisonnable.
« On ferme un modèle où on a expérimenté des choses qui sont bonnes et des choses moins bonnes » ajoute Jérémie Ballarin.
Bordeaux Paris
Inutile donc de chercher des excuses du côté de la licence 3 que le café n’a jamais réussi à obtenir de la préfecture, malgré des dérogations accordées par la mairie de Bordeaux. « On pouvait s’adapter », répond le cofondateur. Encore moins du côté de l’insécurité relevée dans le quartier.
« Ce n’est pas tellement l’insécurité le problème dans ce quartier, le problème est la perception qu’en ont les gens. […] On nous avait dit qu’on ne tiendrait pas trois mois, et on est resté quatre ans. On nous avait dit avec votre concept, on allait être dépassé ou ça va mal se passer. Pendant quatre ans, on a fait 25000 cafés et plats suspendus, une quarantaine de tablées solidaires. On a travaillé avec une cinquantaine d’associations de la solidarité et distribué 20 000 euros à une trentaine d’associations [la société reversait 2% de son chiffre d’affaires aux assos, NDLR]… Pour y avoir passé tout ce temps, c’est un lieu plein de promesses. »
Inutile également de supposer que Bordeaux ferme parce que Paris a ouvert. « C’est un raccourci qui va exister » reconnaît Jérémie Ballarin qui tient à rappeler une certaine chronologie :
« Le Wanted Café Bordeaux ouvre en septembre 2018. Fin septembre, Facebook annonce vouloir aider financièrement cinq communautés dans le monde pour se développer. Nous en sommes. L’argent reçu a été rapidement fléché vers Paris, puisque, contrairement à ce qu’on croit, le premier groupe Wanted était parisien et le groupe de Bordeaux s’est lancé trois ans après. Pour nous c’était logique qu’il y ait un café à Paris. Si Bordeaux pouvait fonctionner, il y aurait eu les deux. »
Tirer des leçons
Dans la nouvelle entreprise parisienne inaugurée début septembre 2022, riche d’une grande terrasse, d’un bon emplacement et d’une licence 4, « un outil plus adapté », l’expérience bordelaise sera une référence :
« Le curseur de la solidarité sera légèrement plus bas. Nous allons attendre notre point mort question rentabilité avant de distribuer nos 2% de chiffres d’affaires aux associations. Mais le suspendu a pris de suite. A date, on a distribué 300 cafés et plats suspendus. On accueille des associations comme La Cloche tous les jeudis pour son point-repère ou se retrouvent 20 à 30 sans-abri. L’équipe Dans ma rue se sert du lieu pour stocker, préparer les sandwichs et démarrer la maraude. Et on va faire notre première tablé solidaire le 9 octobre. »
Les fondateurs de la communauté Wanted ne délaissent pas Bordeaux pour autant. S’il n’est pas question d’une nouvelle adresse pour Wanted, Jérémy Ballarin dit travailler sur Bordeaux Nord, « dans un projet de grande envergure avec les habitants, où Wanted ne sera pas forcément visible ». On n’en saura pas plus.
« Nous avons une expertise que nous mettons à la disposition de qui veut. Nous avons démontré qu’il est possible d’ouvrir et mener des projets solidaires et nous savons maintenant ce qu’il faut éviter. Il y a des choses qui vont se faire, pas forcément dans nos lieux, mais dans les lieux des autres qui sont intéressés par notre expérience. »
L’équipe de Wanted promet notamment d’accompagner toute étude pour la reprise de son adresse aux Capucins. De nombreux restaurateurs se sont manifestés, et également une association « qui a fait de ce lieu son camp de base et qui est intéressée pour le reprendre ». Laquelle ? A suivre.
Réactions
Dans le quartier, les commerçants ont accueilli la nouvelle de la fermeture de Wanted Café avec beaucoup de regrets. Le restaurant vietnamien Bimbao comme La Laiterie Burdigala, proches voisins du café, reconnaissent « une activité qui participe à la dynamique du quartier » :
« Ils permettent une certaine mixité et que des gens de plusieurs milieux se rencontrent, commente l’employée de la Laiterie. C’est à l’image des Capucins et la particularité de ce quartier. »
Du côté des associations, c’est aussi la surprise. Ovale Citoyen, Les Gratuits, La Maraude du cœur… et bien d’autres venaient y tenir des réunions ou organiser des actions. Eric Chevance, du collectif Bienvenue, en témoigne :
« Lors de la dernière mobilisation de Bienvenue, en avril dernier, le collectif a pu salarier un réfugié qui a travaillé tout le mois avec nous. Si nous avons pu dégager un salaire pour lui, c’est parce que le Wanted Café avait décidé de nous donner une fraction de son bénéfice de ses deux mois d’activité de l’été précédent. Cette aide, quelques centaines d’euros, peut paraître modeste, mais elle est essentielle pour des organisations qui fonctionnent essentiellement ou uniquement sur la base du bénévolat, et disposent de peu de moyens. Elle montre aussi qu’au-delà des cafés ou plats suspendus et des repas solidaires régulièrement offerts aux plus démunis, l’engagement du Wanted Café n’est pas dans les mots ou l’affichage mais est aussi réel que nécessaire. »
Tenu par une SAS fondée par Jérémie Ballarin, Christian Delachet et Luc Jaubert, le Wanted Café employait quatre salariés, 3 CDI et un CDD.
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