De mémoire, c’est la première fois que Patrick Rojo assiste à pareille grève. Le délégué CGT en a vécu une petite dizaine, après 38 ans et demi de service à l’usine Sanofi d’Ambarès-et-Lagrave. « Mais là, on est dans une situation de ras-le-bol général. »
Lancé le 14 novembre, ce mouvement national et intersyndical (CGT, CFTC, FO, CFDT) touche aujourd’hui une quinzaine de sites. Les raisons du mécontentement ? La tournure prise pour les négociations annuelles obligatoires (NAO), démarrées le 15 novembre (la date a été avancée par Sanofi).
Face à une inflation de plus de 6% (entre novembre 2021 et novembre 2022), les salariés réclament une augmentation de leur rémunération de 5% pour 2022, avec effet rétroactif. Ainsi qu’une hausse de 10% pour 2023, avec une minimum de 500 euros brut pour les plus bas salaires. Ils souhaitent, par ailleurs, le versement d’une prime exceptionnelle de 10 000 euros sur les profits du groupe. Le message ? Ils considèrent leur demande légitime « au regard des bénéfices de Sanofi », glisse un employé syndiqué, sous couvert d’anonymat.
« De l’argent, il y en a. Je rappelle qu’en 2021, le bénéfice net de SanoFric était en hausse de 11,8% et s’élevait à 8,21 milliards d’euros. »
« On accuse Sanofi de maltraitance »
Implanté sur 14 hectares, l’usine d’Ambarès-et-Lagrave fonctionne depuis 1968. Celle-ci est spécialisée dans la « production de solutions thérapeutiques essentielles pour les patients, comme par exemple des traitements contre les maladies cardiovasculaires et thrombose et les maladies du système nerveux central comme l’épilepsie », explique le service communication du groupe.
« On fabrique principalement trois produits, qui sont les locomotives de notre site : à savoir la Dépakine, l’Irbésartan et le Plavix », précise le délégué syndical CGT et son débit mitraillette.
« Plus de 90% de sa production part à l’export, dans 120 pays dans le monde comme les États-Unis, le Japon ou encore l’Europe de l’est », indique le site internet.
Aujourd’hui, cette usine compte 610 CDI et une centaine d’intérimaires. « Il s’agit du premier employeur local, une sacrée vitrine et une chance pour notre ville d’environ 18 000 habitants », note Nordine Guendez (PS). Ce dernier se veut « un facilitateur », dans ce conflit, entre les grévistes et la direction.
« À l’époque, des générations entières voulaient y entrer. Sanofi jouissait d’une certaine réputation », se souvient Patrick Rojo.
L’homme aime revenir sur les belles heures du site. Mais aussi sur des heures, semble-t-il, plus sombres. Il cite les plans sociaux, une détérioration des conditions de travail et un épuisement des salariés tant physiquement que psychologiquement.
« Certains ont des problèmes de cervicales, d’usures aux épaules, aux coudes. On accuse Sanofi de maltraitance. »
« Les site continue à produire des médicaments »
Autant de sujets discutés au quotidien parmi les grévistes – « environ 150 par jour », selon la CGT – depuis presque trois semaines. Du lundi au vendredi, ils se retrouvent sur un terrain prêté par le comité des fêtes, juste en face de l’usine où l’activité « serait plus qu’au ralenti », assure Patrick Rojo, de la CGT. Des propos démentis par la direction pour qui « le site continue à produire des médicaments ».
Certains débrayent une heure, d’autres la journée entière. Partagent un casse-croûte solidaire sur place le midi et/ou le soir (le mouvement est autofinancé par une caisse de solidarité), malgré le froid. Avec des prises de parole quotidiennes, vers les 12h30.
« Dans une ambiance plutôt bonne et sans débordement, on ressasse nos souvenirs. On parle aussi de choses qui ne vont pas depuis tant d’années. Le travail s’est dégradé. C’est vraiment le bordel. On est moins nombreux, il est donc impossible de tout bien faire. La qualité franchement, c’est parfois limite. Des personnes s’autorisent des choses qu’elles ne devraient pas, sous prétexte qu’il faille sortir des lots », confie un employé expérimenté, sous couvert d’anonymat.
« Face à une telle détermination et des réponses de la direction non-satisfaisantes », le bras de fer pourrait s’étirer dans le temps. A Ambarès-et-Lagrave comme partout en France.
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