Au quartier général de la Nuit de la solidarité, 22 cours Barbey, les bénévoles affluent. Virginie Bertrand, référente QG, est chargée de les accueillir et de les répartir par groupes. Vers 20h30, 320 bénévoles et 180 professionnels volontaires partent quadriller les 91 secteurs de Bordeaux, munis d’une carte de la ville et d’un questionnaire adressé aux sans-abris. C’est la deuxième Nuit de la solidarité organisée à Bordeaux.
Mina et son équipe se dirigent vers le secteur 52, à Saint-Michel. Pour Marie et Benoît, c’est une grande première. En revanche, Mina, Jacques et Claire sont rodés. Ils étaient là l’année dernière. Malgré les 3 degrés et la bruine, l’ambiance est chaleureuse, est au rendez-vous. Mina chantonne, les autres font connaissance.
En passant par les Capucins, un homme s’approche du groupe, identifiable par les gilets oranges floqués Nuit de la solidarité. « Pour les sans-abri que vous croiserez cette nuit », dit-il en leur confiant une poche remplie de beignets. Mina accepte volontiers.
« J’ai peur d’être agressé »
Mais dans les rues et leurs recoins, personne. Jacques explique cela par la présence de bars « trop nombreux ici ». Il note sur sa carte les rues empruntées. Vers 21H20, non loin de la place Saint-Michel, , le groupe tombe sur Malik, 33 ans, Sénégalais d’origine. Ce demandeur d’asile est sans logement depuis cinq mois. Il montre aux bénévoles une chambre de fortune qu’il s’est aménagé dans un local technique. Un matelas et une chaise, pas de lumière.
« Tous les soirs, en venant dormir ici, j’ai peur. Peur qu’on me déloge et peur d’être agressé. Il faut faire quelque chose. On est fatigué. C’est dur », confie-t-il.
Claire et Mina lui tendent un beignet, dont Malik se saisit en les remerciant. Il se prête à un entretien d’une quinzaine de minutes. « Un peu trop long », selon Claire qui s’excuse à plusieurs reprises auprès du jeune homme de poser toutes ces questions.
La moitié des sans domicile dans les bidonvilles
Des personnes sans domicile fixe comme Malik, les bénévoles de la Nuit de la Solidarité en ont dénombré 554 jeudi soir. 213 personnes l’ont été dans les rues, mais aussi les parkings, les urgences hospitalières, les transports en commun et la gare Saint-Jean, des secteurs qui n’avaient pas été explorés l’an dernier.
273 personnes dont 128 enfants (mineurs en famille) ont été recensées dans les bidonvilles, et 68 personnes se trouvaient dans deux campements bordelais non recensés par les équipes (données issues de la DIHAL).
« Cette réalité alerte quant à l’amplitude de la crise sociale actuelle, dans un contexte où pourtant, un nombre important de places d’hébergement d’urgence hivernales ont été ouvertes par l’Etat et alors que les familles avec enfants sont systématiquement mises à l’abri depuis la circulaire ministérielle de novembre 2022 », indique la Ville dans un communiqué.
Plus de polémique
Cela explique un chiffre en légère baisse : pour la première Nuit de la Solidarité, 561 personnes sans domicile fixe avaient été recensées dans les rues par les 450 bénévoles et les 165 agents de la Ville, de la Métropole et du CCAS. Mais la mairie avait aussi comptabilisé les 297 hommes, femmes et enfants présents dans les squats, concluant que 858 personnes nécessitaient une mise à l’abri d’urgence à Bordeaux.
Cette année, aux 554 personnes nécessitant une mise à l’abri s’ajoutent 182 personnes actuellement en squat à Bordeaux (données issues de la plateforme de résorption des squats et bidonville de la DIHAL), relève la mairie.
« Ce sont autant de personnes dont l’accès ou le maintien dans des conditions de vie dignes et sécurisantes n’est pas garanti », juge cette dernière, qui n’inclut toutefois pas cette année cette catégorie dans son calcul total. Cela avait été l’un des motifs d’une polémique l’an dernier avec la préfecture de la Gironde, qui ne s’est cette fois pas associée à l’opération.
« L’État finira par se joindre à nous »
La préfète de Gironde, Fabienne Buccio, avait contesté la crédibilité des résultats et évoqué « un amalgame des situations » entre « les personnes dormant réellement à la rue, les campements de roms et les personnes en squat ».
« Les chiffres sont donnés par des gens de terrain, qui constatent et qui comptent, a désamorcé ce jeudi Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux. Nous essayons de les étayer avec des professionnels afin qu’ils soient le moins contestables possible. […] Concernant l’État, il finira par se joindre à nous. Je ne désespère pas. Il faut peut-être encore que le système se perfectionne pour qu’il comprenne l’intérêt d’être partenaire. »
Cette année, des personnes sans domicile fixe ont participé à la formation des bénévoles, ainsi qu’à l’amélioration des questionnaires. Suite au recensement, ceux-ci seront analysés par un comité scientifique, composé entre autres de La Fondation Abbé Pierre, de l’a’urba (agence d’urbanisme) et de sociologues du centre Emile Durkheim.
L’année dernière, les informations obtenues ont notamment permis la création de douches sur l’espace public, d’une halte de jour et d’une colocation pour les sans-abris.
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