Emmitouflée dans son écharpe, les joues rougies par le froid et la pluie, Mathilde observe le cortège de la manifestation contre la réforme des retraites. Le rendez-vous était fixé à midi mais, comme bien souvent, les drapeaux volent mais ne bougent pas. Il est 13 heures, les regroupements par corporations s’organisent encore.
Mathilde, 26 ans, a revêtu son uniforme d’infirmière par-dessus son sweatshirt, dont seules les longues manches dépassent. Assorti à la blouse rose et blanche, son bonnet pâle laisse s’échapper quelques petites mèches de cheveux.
« J’ai commencé ce métier en 2018, amorce-t-elle. A Paris, je travaillais dans l’hôpital public. Les conditions étaient vraiment mauvaises, alors je suis descendue à Bordeaux pour travailler dans une clinique, dans le privé. »
Vivre des choses
Elle espérait que tout irait mieux. Mais non, pas du tout. Et malgré ce qu’elle décrit, Mathilde rit de bon cœur, comme quelqu’un qui vient de raconter une bonne blague. Elle évoque la diminution des moyens, le manque de personnel et de matériel et surtout, le manque de temps avec les patients.
« Les patients souffrent de ces conditions de travail déjà compliquées. À 64 ans, on va devoir continuer à se baisser pour faire nos soins ? Ça va être difficile de les porter, de les mobiliser alors que nous aurons nous-même des problèmes pour nous déplacer. C’est tout ça qu’il veut dire, mon slogan : la retraite avant l’arthrite ! »
Mathilde ne connaît pas exactement l’impact qu’aura la réforme sur sa carrière, elle sait juste que son départ sera repoussé. Et cela suffit : ses projets s’éloignent avec la réforme.
Elle rêve d’une maison, d’avoir du temps pour ses petits-enfants. Elle imagine une vie de voyages, permise par la retraite : partir « pas forcément loin », vivre des choses. Et se reposer, aussi. Comme ses parents, aujourd’hui retraités. Sa mère était femme de ménage puis maîtresse de maison, s’occupant de l’accueil des parents d’enfants hospitalisés. Son père était éboueur.
Un coup en plus
Alors pour que la maison de ses rêves trouve ses fondations, elle s’est mise en grève aujourd’hui. Et elle recommencera si les syndicats initient un mouvement reconductible. Pourtant, elle n’a pas de lien avec les organisations syndicales. « Ça reste assez flou ce genre de choses pour moi », confie-t-elle, n’excluant pas pour autant les rejoindre un jour.
En attendant, elle répond à leurs appels. Et ce n’est pas la première fois. En 2019 déjà, elle se mobilisait avec le corps hospitalier qui défilait dans les rues pour dénoncer le manque de moyens dans les hôpitaux. La réforme des retraites est un coup de plus.
« C’est à nous d’y aller »
Ce jeudi, Mathilde est venue avec son mari Jean-Sébastien, maître nageur sauveteur. Lui n’a pas un passif militant, au contraire, il faisait partie de ceux qui s’énervaient contre les grévistes.
« Je vivais ça derrière ma télé, de loin, se rappelle-t-il. Je ne comprenais pas, surtout que généralement, ça ne donne pas de résultat. Mais aujourd’hui on prend de l’âge et on se dit que c’est à nous d’y aller. Peut-être que ça ne va rien faire, mais on le fera ensemble. »
Mathilde acquiesce, les yeux pétillants et un grand sourire toujours accroché aux lèvres. Ils saluent ensemble la solidarité et la multitude de métiers présents : tous sont impactés par la réforme.
« Ça montre bien qu’il y a un problème ! » pointent-ils.
Hors de question, donc, de rester chez soi, même si les parapluies s’entrechoquent à chaque pas, distribuant sans vergogne des gouttes d’eaux sur les têtes déjà dégoulinantes. Et alors que le cortège se dirige lentement vers la Place Gambetta et quitte la Place de la République, le couple se noie dans la foule qui, enfin, sort de sa torpeur.
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