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Pierre, 29 ans, employé de commerce : « La retraite, j’ai déjà fait une croix dessus »

La réforme de la retraite voulue par le gouvernement suscite beaucoup d’inquiétudes et de mobilisations. Pour en parler, Rue89 Bordeaux a rencontré des Bordelaises et des Bordelais et évoqué leur avenir. Employé d’un magasin de jouets à Bordeaux, Pierre considère que les concernés « n’arrivent pas à visualiser le problème et donc ne vont pas se bouger ». Premier portrait de la série « La Retraite en têtes ? ».

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Pierre, 29 ans, employé de commerce : « La retraite, j’ai déjà fait une croix dessus »

Sa grande silhouette accueille les clients derrière le comptoir de vente du magasin de jeux de société Jeux Barjo à Bordeaux. Interrogé sur la réforme des retraites, Pierre, 29 ans, esquisse un sourire las, un peu maussade comme le temps pluvieux de la journée. Son regard se perd un peu.

« A nos âges, on ne rêve plus d’avoir une maison, un chien et deux enfants, en pensant que la vie sera chouette. Il n’y aura pas de situation idéale, souffle-t-il. Non, je ne me dis pas que dans 35 ans la vie sera chouette. »

Comme un mythe lointain, la retraite semble se référer à l’imaginaire d’un autre monde. Elle n’est même pas envisagée. Il sourit. Petit, la retraite se situait à 60 ans. Dans trente ans, « peut-être que l’âge sera passé à 80 ans, et on dira que ce n’est que trois ans de plus », ironise-t-il. 

L’inquiétude est ailleurs

Pierre a signé un CDI en avril dernier. Aujourd’hui heureux de son travail, il profite et ne se pose pas trop de questions pour l’après. Il évoque avec ferveur des horaires de bureau et des conditions agréables, sans trop de pénibilité : même âgé, son corps serait toujours capable d’assumer cette mission, il le sait. Mais il a aussi conscience qu’il ne restera pas employé là toute sa vie.

Après ses études, il a créé une ludothèque associative avec une amie. L’activité est irrégulière, puis la Covid vient tout casser : Pierre est au chômage pendant un an et demi. Compter ses trimestres pour calculer sa retraite devient une entreprise compliquée et puis, à quoi bon. Il ne s’est pas renseigné plus que ça.

 « Je me suis dit que c’était déjà compromis, lâche-t-il. La réforme ne change pas grand chose dans mon cas. Ce n’est pas une angoisse fondamentale de me dire que je n’aurai pas de retraite, j’avais déjà fait une croix dessus, je savais déjà que je n’en aurais pas beaucoup. »

L’inquiétude est ailleurs, et réelle malgré l’ironie :

« Dans 30 ans, d’autres choses pires vont se passer. Il fera dix degrés de plus, la planète sera peut-être déjà morte. »

« Une grève, encore une »

Pour autant, le sujet de la réforme n’est pas nouveau pour lui. Déjà dans les années 2011, il manifestait contre la loi Sarkozy, qui reculait de deux ans l’âge d’ouverture des droits à la retraite. En 2014, il se souvient aussi avoir participé à des mouvements sociaux, sans se rappeler exactement de quoi il s’agissait. Tout ça semble loin. 

« Ce n’est pas que ça ne m’affecte plus, mais cela fait des années que je n’ai pas été dans une manifestation », observe-t-il. 

Pierre travaille à Jeux Barjo depuis avril 2022 Photo : JM/Rue89 Bordeaux

Il a vieilli. Moins militant, « moins l’énergie d’être un rebelle ». En riant, il lance une pique à son collègue, anciennement punk et aujourd’hui portant « un petit pull et des lunettes ». Voilà ce que sont devenus les rebelles d’antan. Pierre ne croit plus vraiment aux manifestations, pas plus qu’aux grèves.

 « Je ne suis pas sûr que ce soit hyper pertinent, même si je comprends tout à fait pourquoi. Aujourd’hui, c’est presque systématique. Tu te dis “ah, encore une” et non plus “ah, pourquoi ?”. Il y a une forme de lassitude et les gens qui prennent les décisions ne sont pas ceux qui sont le plus impactés par la grève. »

Ras-le-bol

Les autres moyens d’actions semblent aussi peu prometteurs à ses yeux.

« Même si ça touche beaucoup de monde, c’est quelque chose qui va se passer dans longtemps. Pour que les gens réagissent, il faut que ça leur arrive, que ça les touche tout de suite. Pendant la Covid, on leur a dit de ne plus sortir de chez eux dans les deux semaines : les gens ont réagi. Là, beaucoup de gens ne réalisent pas, n’arrivent pas à visualiser le problème et donc ne vont pas se bouger. »

Et alors que se déverse son ras-le-bol sur le monde, il évoque ses parents. Eux sont proches de la retraite. Ils comptent leurs trimestres, se perdent dans des calculs stressants, après avoir travaillé toute leur vie. Les études pour devenir infirmière et médecin sont longues, le décompte les inquiète.

Dans trente ans, Pierre ne se projette pas. Mais il se voit déjà « fatigué ». Fatigué de « tout ce qui se sera passé entre temps ». Il se lève et intercale une grande pile de boîtes de puzzle entre d’autres déjà disposées sur l’étagère. A défaut d’imaginer l’avenir, il préfère se réfugier dans un travail qui lui plaît. 


#La retraite en têtes

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