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La dernière parade de Philippe Sollers

L’écrivain né en 1936 à Talence est mort ce vendredi 5 mai. L’auteur bordelais Eric des Garets salue un « éditeur avisé et ouvert ». Mais il n’est « pas sûr que la postérité soit généreuse » avec les nombreux ouvrages de ce bourgeois admirateur de Mao puis de Jean-Paul II. S’il se voulait libertin, son « côté sulfureux était, au bout du compte, assez convenu ».

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La dernière parade de Philippe Sollers

Philippe Sollers est mort. Le personnage m’agaçait même si j’appréciais l’amoureux de la littérature (il parlait merveilleusement de Dante, de Rimbaud). Son œuvre n’a jamais été à la hauteur de cet amour. Sans doute le savait-il. Ce qui expliquerait pour partie le personnage. Il n’a pas su « tuer la marionnette ».

C’était un causeur de qualité, mutin, vif, assez proche d’un d’Ormesson dans ses manières. Des êtres de salon, brillants, cultivés, qui possédaient, comme peu, l’art de converser. Cela en fait-il de grands écrivains pour autant ?

Sollers, longtemps, a voulu accompagner la modernité et en être un artisan. Sa bibliographie en témoigne. On fut admiratif de ses romans sans ponctuation. Il n’y avait rien de bien nouveau dans ce parti pris. On lui préférera La disparition de Pérec qui était d’une tout autre force, un livre sans le moindre e.

Il entendait aussi se placer du côté de la révolte en politique. Quitte à s’égarer dans un maoïsme naïf et aveugle. Il est revenu de ses extrêmes, s’est assagi, s’est pris de passion pour le pape Jean-Paul II. Il a commis sur le tard des ouvrages assez convenus. Comme son Mystérieux Mozart

Bourgeois de Talence

Sa grande affaire était, peut-être, l’amour, le plaisir. Il se voulait libertin mais c’était un homme d’attachement. En témoigne sa relation avec Dominique Rolin. Son côté sulfureux était, au bout du compte assez convenu ; c’était un bourgeois. Ses dernières années en témoignent. Il est revenu à la case départ de fils de bonne famille, né à Talence, dans un milieu aisé.

Il fut un éditeur avisé et ouvert. Sa collection « L’Infini » (chez Gallimard) a révélé de précieux auteurs comme Schuhl, Forest ou Haenel. Et « Tel Quel » fut une revue de belle tenue. Philippe Forest a écrit cette belle histoire.

Philippe Sollers Photo : Guiness88/Wikimedia/CC

Que restera-t-il de ses très nombreux ouvrages ? La postérité fera sa besogne. Pas sûr qu’elle soit très généreuse. Demeurera une figure du monde littéraire. 

Tout avait commencé par Une Curieuse solitude, les émois d’un jeune bourgeois pour une domestique espagnole. Mauriac et Aragon saluèrent cette nouvelle voix qui avait été repérée par Jean Cayrol dans sa revue « Écrire ». C’est Jean Cayrol qui accueillit le premier un texte de Sollers, Le Défi. C’est lui qui lui proposa de changer de nom. Il créa son pseudonyme de Sollers à partir des mots latins « sollus » et « ars » (« tout entier art »). Et Philippe Joyaux devint Philippe Sollers. De Cayrol, il est peu fait mention dans les hommages.

Grand séducteur

Je lis les louanges de Marc Lambron qui le considère comme « le plus grand écrivain français vivant. » Diable ! Michon, Bergounioux, Ernaux, Quignard, et quelques autres sont d’une autre trempe me semble-t-il. Ou Pérec encore, né la même année, en 1936, mort en 1982 il est vrai.

J’écris ces quelques lignes après avoir lu un inédit de Julien Gracq, La Maison. Je mesure la distance qu’il peut y avoir entre un authentique écrivain et un grand séducteur. Entre celui qui refusait les honneurs et la lumière, et celui qui n’aimait rien tant qu’être sur le devant de la scène. Les charmes de la séduction ne durent que le temps d’une vie. « Mon métier et mon art, c’est vivre » écrivait Montaigne. Sollers a bien illustré cette pensée d’un écrivain qu’il chérissait.

Eric des Garets
Auteur de romans, essais, et recueil de poésies


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